Chapitre 1

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Les talons de l'infirmière Claire Hautman claquaient dans le couloir silencieux de l'hôpital psychiatrique St Claude. A sa suite, Romain Perret s'efforçait de bien observer les différentes salles devant lesquelles il passait afin de ne pas trop se perdre dans les locaux gigantesques. A l'étranger depuis un an durant lequel il avait pu se spécialiser dans la psycho-thérapie, il n'était rentré en France que depuis quelques jours. 

Claire, infirmière en chef de cet hôpital, l'observait du coin de l'œil. Grand et à l'allure de colosse, il avait un air menaçant. Ses yeux noirs et sa mâchoire cisaillée ne faisait qu'amplifier ce côté sombre. Si elle n'avait pas été chargée elle-même de lui transmettre tous les dossiers des patients dont il devrait s'occuper à compter d'aujourd'hui, elle l'aurait sans aucun doute prit pour un malade. Mais sa réputation l'avait précédé. Pourtant difficile à croire en détaillant sa carrure, on disait que ses méthodes étaient très efficaces et que les patients faisaient des progrès prodigieux grâce à lui. Pour cet hôpital, compter dans son personnel soignant un jeune médecin aussi talentueux était un atout majeur. Parfait, elle allait le tester en lui donnant le dossier de la jeune femme internée depuis cinq ans. Celle-ci était un cas désespéré. Les médecins avaient tout tenté pour lui venir en aide, et rien n'avait pu la mettre en confiance. 

Elle entra dans son bureau et invita le docteur Perret à en faire de même. 

-Docteur Perret, nous sommes ravis de vous accueillir au sein de l'hôpital St Claude, dit-elle de sa voix sévère et confiante dont elle ne se départissait jamais lors de ses heures de travail. Comme promis, je vais maintenant vous détailler les dossiers que vous aurez à votre charge.

Romain fronça les sourcils, signe de sa concentration. Les explications que Claire allait lui transmettre étaient particulièrement importantes pour ses premiers contacts avec les patients. Toute information sur leur personnalité allaient lui permettre d'engager une conversation et de mettre en confiance la personne. L'infirmière lui parla de chaque patient : de la nature de ses problèmes, de ses habitudes, de la façon dont elle réagissait habituellement, de son passé... Il se contentait de poser de temps à autre une question.

Claire s'étonnait de ne pas le voir prendre de notes. Habituellement, tous les nouveaux médecins en prenait. Mais elle lui faisait confiance. Son attitude avait tout de professionnelle et il semblait savoir ce qu'il faisait. Enfin, elle saisit le dernier dossier de la pile, celui d'Ambre Verreman.

-Cette patiente-ci est de loin la plus difficile à gérer. Internée depuis cinq ans dans cet hôpital, elle a commencé à se montrer très méfiante de la nature humaine après son agression lorsqu'elle avait quinze ans. Elle était en vacances en Italie avec ses parents. Cette épreuve a été un choc terrible pour cette jeune adolescente, expliqua Claire mécaniquement.

Elle avait dû faire tellement de fois le portrait d'Ambre qu'elle n'avait même plus besoin de regarder ses fiches.

-Un mois après être rentrés, ses parents sont morts dans un accident de voiture. Elle ne s'est jamais relevée. Elle éprouve une peur paralysante dès que l'on s'approche trop près d'elle. Quant aux contacts, n'en parlons pas. Elle se nourrit très peu. 

-Comment opérez-vous pour les examens journaliers ? s'informa Romain.

-Ils se font dans la force, soupira-t-elle. La plupart du temps, nous sommes même obligés de l'endormir par peur qu'elle ne se blesse en se débattant. 

-Que fait-elle de ses journées, si elle reste seule ?

-Elle dort. La nuit, elle est paniquée par l'obscurité et tout ce qui peut se rapporter au ciel ou à l'extèrieur.

-Y a-t-il une raison à cette peur de la nuit ? haussa-t-il les sourcils.

-Sans aucun doute, mais nous ne la connaissons pas. Elle reste murée dans le silence. Nous ne sommes pas optimistes concernant une éventuelle guérison. Cinq ans et toujours aucun progrès. Nous avons tout essayé, absolument tout.

Son ton trahissait son émotion par rapport à ce "cas désespéré".

-Je vois... Merci pour ces renseignements. Pouvons-nous aller la voir maintenant ?

-Bien entendu. Plus tôt seront les premiers contacts, mieux ce sera.

Romain se laissa guider jusqu'à la chambre de cette fameuse Ambre Verreman. En effet, d'après ce qu'on venait de lui dire, elle serait très difficile à guérir. Et même si on pouvait constater une amélioration, le traumatisme qu'elle avait subi ne se résorberait jamais tout à fait. Mais pour l'instant, il avait surtout besoin de la voir pour se faire un avis. Claire s'arrêta devant une porte, une lueur d'inquiétude dans le regard. On voyait qu'elle tenait à ses patients. 

-Bon courage, murmura-t-elle tandis qu'il poussait la porte lentement pour ne pas effrayer la jeune femme.

Avant même de l'apercevoir, Romain entendit un bruissement. Elle s'était déplacée avec une rapidité fulgurante, comme si elle se tenait déjà en alerte. Il referma la porte, craignant que les bruits du couloir ne l'atteignent davantage. Il la vit alors, roulée en boule dans un recoin de la minuscule chambre.

Ambre sentait les frissons incontrôlables qui secouaient son corps, comme à chaque fois qu'une personne entrait dans cette chambre. Une épine qui tentait de percer la bulle dont elle s'entourait depuis cinq ans. Une voix qui perturbait son silence si réconfortant. Une voix qui ressemblait quoiqu'il arrive à celle de son agresseur ou de ses parents. Les pas qui s'avançaient vers elle la tétanisaient. Elle se battait, à la fois contre sa peur mais également contre tout ce qui pouvait la détruire à nouveau. Cependant, quelque chose était différent des autres jours. La personne qui venait d'entrer ne tentait pas de l'approcher ni de lui parler. Elle n'entendait rien. Soit la personne était partie, soit elle restait si silencieuse qu'on en oubliait sa présence. Au bout d'un temps interminable, sa respiration ralentit peu à peu. Elle se risqua alors à jeter un regard. Un médecin en blouse blanche l'observait tranquillement, adossé à sa porte de chambre à une distance respectable de plusieurs mètres. Il esquissa un petit sourire rassurant lorsqu'il vit qu'elle le détaillait du regard. 

Romain ne parvenait pas à détacher son regard de cette boule humaine. Il distinguait malgré la distance qui les séparait ses tremblements compulsifs et entendait ses sanglots. Sa peur la tétanisait. Il était donc hors de question de brûler les étapes en l'approchant sans qu'elle ne soit prête. Une cascade de cheveux blonds cendrés tombaient sur son dos puis s'étalaient sur le sol. Leur longueur était époustouflante. Mais à bien y réfléchir, ils n'avaient pas dû être coupé depuis cinq ans. Ambre était frêle. Sous sa blouse d'hôpital, on voyait ses os saillir. Elle se laissait dépérir, hantée par son passé. Au bout d'une quarantaine de minutes, elle s'apaisa et lui jeta un regard apeuré. 

Aie ConfianceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant