Ambre trébucha sur une racine et tomba au sol. Une douleur à sa cheville l'empêcha de se relever. Dans tous les cas, elle ne souhaitait plus faire d'efforts pour se battre contre ses vieux démons. La jeune femme lâchait enfin prise. Il n'y avait plus qu'à trouver le moyen d'en finir avec la vie, le moins douloureusement si possible. Elle se recroquevilla contre une vieille souche. Peu importait si son abandon était synonyme de lâcheté.
Seule. La jeune femme était seule une fois de plus. Et elle prenait conscience que ce serait pour l'éternité.
Romain entendit un fracas dans la salle à manger. Il raccrocha son téléphone à la hâte.
-Ambre, où vas-tu !? cria Adam qui les avait devancés.
En entrant dans la pièce, il vit seulement sa chevelure blonde voler à travers l'embrasure de la porte. Il s'apprêtait à la poursuivre lorsqu'il entendit le petit ricanement de Rosa. Il ignorait ce qui venait de se passer mais il était déterminé à comprendre. La jeune femme rousse cessa de rire quand elle vit s'avancer vers elle, le regard noir. Il émanait de lui une rancœur immense qui forçait le silence. Tout le monde retenait son souffle. Il la tira par le bras, l'obligeant à se lever, et la projeta contre le mur. Son ton calme la glaça davantage :
-Tu vas me dire ce qui s'est passé immédiatement sinon je ne réponds plus de rien.
Elle rassembla le peu de courage qui lui restait et esquissa un sourire méprisant.
-Je n'ai fait que lui dire la vérité.
Il la repoussa violemment et elle tomba à terre. Il devait s'éloigner d'elle ou sa colère finirait par la tuer. Clarisse posa une main hésitante sur son épaule.
-Il faut la retrouver, la nuit va bientôt tomber.
Romain ne perdit pas de temps et s'élança vers la forêt, miné par l'angoisse. La jeune femme était fragile, un rien pouvait la faire basculer. A l'hôpital, on l'avait informé d'un risque suicidaire. Il était bien entendu faible puisqu'elle n'avait jamais rien tenté pour attenter à sa vie mais il avait bien été révélé lors des examens avec les psychologues. L'idée de la perdre le soumettait au supplice. Après une heure de recherches à travers la forêt, ce sont des sanglots discrets qui l'alertèrent. Il crut défaillir de soulagement. Ambre était recroquevillée au sol, ses bras entourant ses genoux. Il avait l'impression de revoir la petite fille tremblante cloîtrée dans sa chambre d'hôpital.
Il s'approcha lentement et la femme se recula paniquée. Son cœur s'emplit de douleur en voyant qu'elle le fuyait comme au premier jour.
-Ambre... N'aie pas peur. Que s'est-il passé ?
Elle détourna le regard.
-Je suis désolée. Je n'en peux plus...
Son visage trahissait son épuisement de vivre. Il aurait voulu la prendre dans ses bras, l'effleurer, retirer toute sa douleur. Mais il en était incapable.
-Ne t'approche pas, cria-t-elle quand il esquissa un pas.
Il s'avança tout de même et la saisit fermement par les épaules. Il refusait qu'elle ne lui échappe à nouveau.
-Lâche-moi tout de suite. Tu m'as forcée à aller me jeter dans ce cauchemar. Je refuse de te voir...
-Et pourquoi ça ? demanda-t-il les yeux brillants de colère.
Elle lui confia les dures paroles de Rosa.
-Je veux tout arrêter. Je suis fatiguée de me battre pour rien. Tu ne pourras pas me faire vivre contre mon gré éternellement. Je retire la promesse que je t'ai faite. Vois les choses en face, je n'oublierai jamais mon agression. Que ce soit cinq ans ou l'éternité, je souffrirai quoiqu'il advienne. Donc autant m'arrêter là !
Romain sentit une grande amertume l'envahir. Ses paroles le mettaient au supplice. Rien ne servait d'y répondre : les mots ne suffiraient pas. Il plaqua ses lèvres sur les siennes, y répandant une douce chaleur. Ambre ne résista pas, demeurant pétrifiée. Ses larmes disséminaient un léger goût salé dans leur bouche. Le baiser était long et terriblement violent, porteur de sa combativité, de son angoisse de la voir s'éloigner, de sa passion... Lorsqu'il se décolla pour reprendre son souffle, elle enfouit son visage dans son cou.
-Tu peux me fuir, je te poursuivrai. Tu veux mourir, je t'en empêcherai.
Combien de minutes restèrent-ils ainsi collés l'un contre l'autre ? Ambre perdit le compte. Elle avait besoin qu'on prononce ces mots. Au fond d'elle-même, elle avait malgré tout un petit espoir que le passé finisse par cesser de la hanter. Et Romain parvenait à lui faire oublier son violeur petit à petit. La jeune femme voulait espérer que l'avenir serait davantage égayant. Lorsqu'il la relâcha, ses tremblements avaient cessé. Quand l'obscurité se fit, il se leva pour retourner à la villa mais elle s'agrippa à sa main.
-Non ! Je ne veux pas retourner là-bas ! Ne me laisse pas !
Il retira une mèche de cheveux de son visage.
-On a pas le choix, ils vont s'inquiéter.
Mais au moment où elle tenta de se relever, sa cheville blessée ne put supporter son poids. Elle retomba lourdement dans les bras de Romain.
-Tu ne peux pas marcher ? s'inquiéta-t-il.
Il effleura son membre et la jeune femme se crispa de douleur.
-Je crois que c'est foulé. Je m'occuperai de ça une fois rentré.
Romain la souleva délicatement. La jeune femme se sentit s'empourprer par tant d'attention. Il regretta amèrement que la nuit soit déjà trop avancée pour qu'il ne puisse détailler son expression. Mais la priorité était à présent de rentrer à la villa. Ambre commençait à devenir angoissée au fin fond de la forêt noire. Et il n'avait aucun problème pour deviner la raison de cette peur des ténèbres : son viol s'était déroulé dans ces mêmes conditions. Bien qu'elle reste silencieuse, il sentait son souffle s'accélérer.
Il n'eut aucun mal à retrouver le sentier qui l'avait mené jusqu'à Ambre. Seulement, l'homme n'avait pas pensé à la marée désormais haute et qui recouvrait à présent une partie du chemin. Il jura à voix basse, discernant à ses pieds les eaux froides et remuantes. Seul, il aurait pu traverser à la nage mais cette entreprise se révélait impossible avec Ambre blessée et terrorisée.
-Il va falloir trouver un autre lieu pour passer la nuit.
Ambre remua dans ses bras afin qu'il la relâche.
-On ne va pas rester dans cette forêt tout une nuit !? s'écria-t-elle paniquée.
Elle remarquait dans ses yeux cette lueur inquiète qu'il tentait vainement de dissimuler pour lui éviter du tourment. Elle eut sa réponse sans qu'il n'ait à prononcer un mot : il l'envisageait réellement. Un craquement de branche la fit se recroqueviller, tremblante. Elle collait ses mains contre ses oreilles.
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Aie Confiance
Romance"-Tu vois, je ne te veux aucun mal." Ce sont ces mots qui déconcertèrent Ambre dans ses convictions. Depuis son agression, Ambre a peur du contact humains et ne parvient à faire confiance à personne. Cette peur qui la dévore l'a rendue inapte à vivr...