Plongée dans son ouvrage, Ambre, tranquillement assise contre le mur, ne vit pas immédiatement le visage de Romain apparaître par la trappe de la mansarde. Ce n'est que lorsque le parquet grinça qu'elle sursauta violemment.
-Ce n'est que moi, la rassura-t-il.
Il était habitué à ses tressaillements fréquents, signes de son angoisse permanente. Elle lui sourit timidement. Il n'y avait qu'avec lui qu'elle se sentait en sécurité.
-Nous passons à table. Je sais que tu préfères manger dans ta chambre mais ce serait bien que tu te lies avec les gens du groupes. Tu ne vois personne en dehors d'Izée ! insista-t-il devant sa moue angoissée et méfiante.
-Ce n'est pas parce que je ne parle pas avec eux que je ne cerne pas leur personnalité, marmonna-t-elle contrariée.
-Comment ça ?
Ambre refusait toutes ses propositions d'intégration. Mais aujourd'hui, il était plein de détermination. Même si assister quotidiennement à ses crises de panique lors de ses exercices le minait, le jeune homme savait que la pousser dans ses retranchements était la seule solution. Chaque jour, il poussait les limites plus loin. Régulièrement, ce n'était pas sans conséquences : pleurs, hurlements, angoisse...
-Je les observe depuis la fenêtre de ma chambre, écoute leurs discussions. Je refuse de les côtoyer.
Ce qui le poussait à continuer étaient les progrès qu'elle faisait malgré tout. Elle se confiait davantage à lui, discutait avec Ève et parfois avec Clarisse et Adam. Mais cela demeurait tellement rare... La jeune femme se cloîtrait toujours davantage dans la mansarde, plongée dans d'épais ouvrages. Certes, Ambre observait la vie dans la villa avec un grand intérêt. Lors de leurs discussions, elle ne cessait de le surprendre par des remarques brillantes d'intelligence. Peu de personnes en avait conscience en raison de son mutisme mais elle saisissait beaucoup plus de choses sur le monde qui l'entourait qu'elle n'en avait l'air. Ses regards sur nombre de sujets étaient très différents des siens mais tout aussi pertinents et élaborés. La jeune femme était loin d'être complètement coupée du monde extérieur. Elle écoutait, analysait plus que n'importe qui. Quelles qualités cachait-elle encore au fond d'elle-même ? Il brûlait de les découvrir.
Mais ce qu'il ignorait, c'est le contenu abject des discussions qu'elle percevait également entre les patients. Des critiques acerbes sur les maladies des uns et des autres. De la mauvaise foie ruisselant d'hypocrisie. En deux mots : de la méchanceté gratuite. Certes, les allusions demeuraient discrètes et c'était sans aucun doute la raison pour laquelle Romain, Clarisse, Adam et Thomas ne s'apercevaient de rien.
La maladie n'excusait pas tous les comportements.
Régulièrement, elle entendait des remarques à son égard. Mais ne se montrant jamais - ô grand jamais - devant eux, ils n'avaient pas suffisamment de matière pour inventer leurs ragots. Était-elle suffisamment forte pour supporter les allusions dévastatrices à propos de son passé ? Absolument pas mais une lueur dans le regard de Romain lui disait qu'il ne lâcherait l'affaire sous aucun prétexte.
-Une simple observation n'est pas suffisante pour connaître la personne. C'est juste la peur qui t'empêche de participer aux activités en groupe ou il y a quelque chose d'autre ?
Ambre se roula en boule et s'entoura de ses bras. La voyant tourmentée, il s'accroupit devant elle.
-Ambre... Tu sais que tu peux tout me dire. Je serai là, je ne te quitterai pas.
Elle osa enfin lui jeta un regard. Elle ne voulait pas avoir mal. Se protéger des autres était comme se protéger de toute agression, physique ou morale. La comprendrait-il si elle lui expliquer les raisons de son isolements ? Puisqu'il tenait tant à ce qu'elle sorte de sa mansarde, elle allait le faire. Mais ce serait uniquement pour faire plaisir à Romain. Le jeune homme, soulagé de sa décision, lui colla un baiser sur le front qui la fit frissonner. Il serra sa main dans la sienne. Brûlant de ce contact, il la sentait tremblante. Il l'étreint davantage pour faire cesser les tressautements.
Ambre se figea à l'entrée de la salle à manger. Tant de monde... Tant d'inconnus... Et tous la fixaient. Romain la guida doucement jusqu'à une chaise un peu à l'écart. Sa respiration s'accélérait au fil des minutes. Pétrifiée, elle tentait vainement de récupérer un peu d'air.
Romain, à ses côtés, observait ses réactions avec anxiété. La pauvre jeune femme suffoquait, tremblait de tous ses membres. Blême, il se demandait si elle n'allait pas s'effondrer. Devait-il la sortir de la salle ? Lorsqu'elle étouffa un sanglot silencieux, il se pencha sur elle.
-Respire, Ambre... Reste calme, je suis avec toi.
Sa main se crispa sur la sienne et une larme coula sur sa joue. Tous les regards étaient sur elle.
-Qu'est-ce vous regardez tous !? les rembarra-t-il d'un ton sec.
Ils se détournèrent aussitôt et Ambre retrouva peu à peu son souffle. Trop crispée, elle ne put rien avaler. Mais Romain était satisfait, l'objectif était largement atteint. Elle lui avait fait suffisamment confiance pour s'entourer d'inconnus. Du coin de l'œil, il s'assurait soucieusement qu'elle ne craquait pas. Soudain, au milieu des bavardages qui avaient repris leur cours, le vibreur de son téléphone retentit. Il grimaça en voyant le nom de l'appelant. "Mr Léonard". Le jeune homme devait répondre. Lorsqu'il se leva, elle paniqua.
-Où est-ce que tu vas !? Ne me laisse pas !
-Ne t'inquiète pas, je reviens dans quelques minutes.
Ambre le vit s'éloigner avec le sentiment d'être abandonnée. Les secondes s'égrenaient, ainsi que les minutes. Lorsqu'il revint, ce ne fut que pour requérir la présence de Clarisse, Thomas et Adam. Dans la salle, le silence était pesant. Rosa, anorexique, chuchota à l'oreille de Syriac puis la pointa du doigt. Ambre se fit plus petite encore sur sa chaise. Devait-elle se sauver ? Elle n'en eut pas le temps.
-Alors, ça y est ? Madame nous fait l'honneur de sa présence ? siffla-t-elle hautainement.
Quelques rires fusèrent. D'autres personnes se tassèrent davantage, comme si elles désiraient disparaître. Ambre se répondit rien, subissant uniquement.
-Quoique je ne suis pas sûre de vouloir fréquenter une traînée, continua-t-elle. Allez, avoue : tes parents se sont suicidés en apprenant que tu vendais ton corps à quinze ans ? Tu comptes aussi attirer le docteur Perret dans tes filets avec tes airs ingénus ? N'y compte même pas, tu ne devrais même pas exister.
Son ton était tellement méprisant qu'il lui glaça le sang. Comment était-elle au courant de son viol et de la mort de ses parents ? Elle ne désirait même pas en connaître la raison. Ambre sentait les sanglots la secouer. Elle se précipita en dehors de la villa, courant le plus loin possible dans la forêt avoisinante. Son destin lui importait peu. Ses poumons la brûlaient et elle continua de plus belle, comme si les arbres pouvaient l'engloutir toute entière, faisant ainsi taire ses douleurs. Jamais elle ne s'était sentie aussi sale. Son corps la dégoûtait tout comme son esprit. Elle se haïssait toute entière. Comment avait-elle pu croire un instant qu'elle méritait Romain ? Elle avait causé la mort de ses parents. Rosa avait raison, sa naissance était une erreur. Et il ne tenait qu'à elle d'y remédier.
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Aie Confiance
Romance"-Tu vois, je ne te veux aucun mal." Ce sont ces mots qui déconcertèrent Ambre dans ses convictions. Depuis son agression, Ambre a peur du contact humains et ne parvient à faire confiance à personne. Cette peur qui la dévore l'a rendue inapte à vivr...