« On me dit que je suis asocial. On me demande d'aller voir un psychologue. Mais l'infortuné psy qui aurait le malheur de me voir débarquer finirait fou à lier lui-même si soudain me prenait l'envie d'être sincère, ce qui n'est pas courant. Jamais un esprit scientifique ne survivrait à un tel choc, et puis je n'ai pas une seule raison d'aller en consulter un, de toute façon... »
Anael posa sa plume sur son bureau, songeur. Il traça du bout d'un doigt les craquelures du carnet couvert d'écritures manuscrites. Les coins cornés par le temps reflétaient la lumière de la lampe de chevet, grâce aux débris des renforts métalliques qui subsistaient après tant d'années. Le jeune garçon soupira. Le cuir était usé, pourtant il ne se résolvait pas à chercher un autre carnet vierge pour continuer à coucher ses états d'âme sur papier.
Il ferma ce dernier dans le silence qui régnait, et qu'il affectionnait tant. Posant l'objet sur la frêle table à côté de son lit, il rabattit la couverture sur son corps et s'enfonça dans l'oreiller.
Ses pensées, libres, dérivèrent. Des souvenirs remontaient, bien qu'il tente de les repousser. Il ne voulait pas se rappeler, de peur d'y voir trop de bonheur, et ainsi de prendre à nouveau conscience de ce qu'il avait perdu. Mais il tentait également de rejeter la souffrance, la peur, la tristesse, afin qu'elles ne l'étouffent pas.
Des visages dansaient devant ses yeux aux paupières closes. Certains synonymes de joie, de mélancolie, de bonheur, d'affection, mais d'autres le faisaient frissonner de peur.
De la sueur commença à couler dans son dos. Anael se tourna, puis se retourna. Il n'arrivait pas à s'ôter de la tête les images horribles qui le tourmentaient depuis plusieurs années. Il gémit doucement. Puis, il ouvrit les yeux et fixa la lumière de la lampe toujours allumée.
Pourquoi ? Pourquoi lui ? Pourquoi eux ? Tant de questions sans réponse qui le resteraient, il en avait peur. Anael était tout simplement désabusé, désillusionné.
Il se résigna à passer une nuit blanche de plus, et se leva. Il posa ses pieds nus sur le sol bétonné sans ressentir le moindre mal, habitué aux contacts durs qui étaient imposés à sa peau depuis longtemps. Il avança dans la pièce lentement, et saisit un manteau mal en point, déchiré à plusieurs endroits. Pas de chaussures : Après tout, il n'en avait nul besoin.
Après s'être emmitouflé dans la chaleur relative de sa veste, il poussa la porte branlante qui fermait son refuge. Elle s'ouvrit facilement, claqua contre le mur, puis il la referma péniblement. Elle était toujours plus dure à fermer qu'à ouvrir. Les pièces métalliques des charnières s'étaient depuis longtemps rouillées.
Il souffla un petit nuage blanc dans la nuit, regardant avec calme la lune haute dans le ciel. Pleine. Loin de tout. Isolée. Et, pourtant, il l'enviait.
Quelques pas dans le froid plus tard, il débouchait de la ruelle insalubre pour marcher sur un trottoir sale et noir. Ses plantes de pied ne ressentaient plus rien, cette fois à cause de la température hivernale sans pitié.
Il souffla au creux de ses mains, mais c'était peine perdue. Cela ne changea rien. Il haussa les épaules d'un air désintéressé. Après tout, il avait l'habitude du froid, et jamais il n'avait eu à le craindre au point de devoir se réchauffer. C'était par pur confort, au fond, pensait-il.
Quelques pies s'envolèrent à son passage. Il n'y prêta pas attention. Toute cette dernière était focalisée sur la couche de neige qui recouvrait peu à peu le sol devant ses yeux de la couleur des pavés. Ce gris paraissait perpétuellement mélancolique. Jamais une étincelle de joie ne venait les illuminer.
Les flocons dansaient devant ses pupilles, et il les regardait voleter, les mains dans les poches. Son pantalon usé datait de l'année passée, et avait vécu déjà trop longtemps. Trouvé dans une benne à ordure par hasard, Anael avait été rapide à s'en saisir. C'était un coup de chance. À force, le jeune garçon était devenu opportuniste.
VOUS LISEZ
Eclipse ~ la guerre de la Morphiax [BxB] (FINIE)
ParanormalAnael n'est pas humain. Il le sait, mais ne cherche pas à retrouver les siens. Seulement, lorsqu'il se fait attaquer et manque de mourir, il se retrouve embarqué dans une meute contre sa volonté : il apprend ensuite qu'une prophétie permettrait de...