5 : Agacement

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— Anael !

Il crispa les poings et continua d'avancer. Il ne voulait pas la voir, pas alors qu'il était aussi énervé. D'habitude il se serait décrit comme placide et calme, songeur, effacé ou observateur, mais depuis sa rencontre avec le Reptile, il lui semblait qu'il changeait. Et cela l'agaçait.

— Arrête, c'est juste pour te dire quelque chose !

Il soupira bruyamment et se retourna vers Sophia. Elle accourrait dans la nuit, presqu'invisible et surtout inaudible, tant ses foulées étaient discrètes et silencieuses. Elle s'arrêta devant lui, à une distance respectable pour Anael. Elle rangea son bâton dans un tube de cuir attaché à son dos, puis lui dit :

— Écoute, je sais que tu ne peux probablement pas me supporter, mais je dois te montrer où tu dois dormir et te faire visiter l'endroit.

Anael se retint de grommeler, se rappelant sa promesse de la forêt de réparer le mauvais départ qu'il avait eu avec la jeune fille. Il hocha donc simplement la tête en se calmant imperceptiblement.

— Super. Bon, alors, il y a une tente exprès pour les nouveaux. Tu es le seul pour l'instant, ça ne te dérange pas ? Ah, non, suis-je bête. Bien sûr que non, rigola Sophia, un peu hésitante.

Voyant qu'Anael ne montrait pas le moindre signe d'amusement, elle reprit :

— On dort dans des matelas posés sur des tapis au sol. On a des couvertures, et des oreillers. On a droit chacun à une sorte de bac fermable avec une clef, d'ailleurs voilà la tienne.

Elle sortit le bout de métal d'une poche de sa cape, puis continua sur sa lancée :

— On ne dort pas tous en même temps, et il y a des patrouilles régulièrement pour surveiller le territoire hors de cette dimension. On est en sécurité.

— Hem, dimension ? reprit le garçon, un peu perdu par le flot de paroles et d'informations.

— Lorsque tu passes l'Arbre-porte, tu changes de dimension, commença Sophia avec entrain. Et on ignore le nombre total de dimensions, d'ailleurs. Ici, on est sur Terre mais dans une bulle parallèle. Au-delà des bois et de la rivière, il n'y a plus rien. Un mur lumineux nous empêche d'aller plus loin.

Anael souffla, impressionné. Il n'avait jamais entendu parler des dimensions, et cette idée d'être dans une bulle protectrice géante ne lui déplaisait pas, lui à la nature si solitaire.

— Hem, je peux te montrer ta tente ? fit la jeune fille, un peu hésitante face au silence du garçon.

— Oui, oui. Je te suis.

Sophia sourit un peu et fit volte-face avec une souplesse aérienne. Elle commença à trottiner vers les habitations de toile, en jetant de temps en temps un coup d'œil à Anael qui la suivait en soufflant comme un bœuf.

— Bah dis donc, ça fait longtemps que t'as pas fait d'exercice !

Il lui envoya un regard noir. Elle rit.

— Je suis... juste fatigué, mentit Anael.

Au fond, il savait que sa condition physique devait être en piteux état. En témoignait son poids de moineau rachitique et son endurance médiocre. Il n'avait jamais eu besoin d'une condition optimale, il faut dire. Vivre seul, dans une cachette au milieu d'une ville composée de fast-food... Ça n'était pas le meilleur mode de vie, certes, mais il ne devait pas courir tous les jours.

Quoique j'aurais peut-être dû faire du footing.

Ils arrivèrent finalement à l'orée du campement et ralentirent. Les lampes disparates éclairant plutôt bien, Sophia le guida à travers les tentes avec facilité. Elle se repérait instinctivement au milieu des constructions, reconnaissant celle d'untel et d'untel. Le garçon faillit soupirer de soulagement, les jambes déjà brûlantes et le souffle court. Il suivit sa guide sans protester, observant avec attention les éléments qui parsemaient le campement. Quelques grognements ensommeillés firent savoir à Anael que quelqu'un roupillait dans la grande tente qu'il avait failli accrocher en trébuchant. Il se fit dorénavant un peu plus consciencieux. Il évita soigneusement les piquets de métal, les bouts de toile qui traînaient par terre et les cordes, ainsi que les sacs à dos et divers objets qui jonchaient le sol. Étonnamment, ça ne semblait pas être en désordre, plutôt un rangement personnel et subjectif. Dans le genre de ceux qu'appellent « bordel » les mamans maniaques.

Eclipse ~ la guerre de la Morphiax [BxB] (FINIE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant