32 : Cachette

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La porte céda avec un craquement. Le métal rouillé n'avait pas résisté.

Anael se faufila dans l'ouverture, suivi d'Orel, et s'enfonça dans les ombres de l'entrepôt. Leurs pupilles se dilatèrent afin de leur permettre de voir dans l'obscurité qui régnait dans le bâtiment. L'Ours distingua d'immenses caisses de deux mètres de haut, faites de métal gris enfoncé par la rouille et l'humidité. Elles s'alignaient de part et d'autre d'une allée centrale de déserte sur toute la longueur de la bâtisse. En haut des murs, de petites fenêtres crasseuses permettaient d'y voir un minimum pour les humains, et d'y voir plutôt bien pour les Métamorphes.

Ils étaient entrés par le côté, en bas d'un mur. Les deux amis inspectèrent du regard les recoins de l'endroit, sans y voir âme qui vive, pas même un pigeon. Leurs corps se détendirent simultanément.

— Allez, on doit se planquer, chuchota Orel en saisissant le poignet d'Anael afin de l'extirper de son immobilité.

L'Ours se dégagea et se remit à marcher, fouillant les parois des caisses des yeux, espérant trouver un indice. Quand à l'Aigle, il cherchait une cachette.

— Là.

Anael tourna la tête vers l'espace désigné du doigt par Orel. Il s'agissait d'un renfoncement dans le mur, camouflé par un reste de bâche grise qui pendait par-dessus, entre deux clous. La lumière des rares rayons qui entraient dans le bâtiment n'éclairait pas directement cette future planque idéale.

Anael hocha la tête et s'approcha, avant de tester d'une main la résistance du plastique moisi. Elle tenait encore, à condition de ne pas tirer dessus. Elle semblait assez rigide pour ne pas onduler au moindre souffle, ce qui était un avantage non-négligeable.

Il retourna un pouce en l'air au blond, qui sourit. Il s'approcha à son tour et passa la tête dans le renfoncement. Il y avait largement la place de s'y tenir à deux.

Orel s'accroupit et s'y glissa, retenant des réflexes instinctifs qui le poussaient à ressortir de cet endroit clos à tout prix. Un oiseau ne doit pas être enfermé...

Il secoua la tête et s'assit tout contre le béton qui formait le fond de la cache. Il était froid mais pas glacial, c'était supportable. Il suffirait de tenir ici jusqu'à l'arrivée des renforts. Ça n'allait pas être long. La claustrophobie attendrait.

Anael suivit bientôt et s'assit contre un bloc de béton qui semblait avoir été détaché d'une des « parois » du trou. Les deux Métamorphes prenaient soin de ne pas se toucher et regardaient dans des directions différentes, Anael vers le plafond et Orel vers ses couteaux, qu'il astiquait. Leurs oreilles se faisaient attentives aux moindres bruits qui les préviendraient de l'arrivée de leurs ennemis.

De longues minutes passèrent, même s'ils avaient perdu la notion du temps. Aucun n'avait de montre. Ils savaient seulement qu'ils étaient encore en fin d'après-midi. Les rais lumineux se faisaient orangés, leur intensité diminuait sensiblement. Et toujours aucun bruit. Aucun souffle.

Anael joignit ses mains et essaya de somnoler. Il n'était pas encore tout à fait remis de sa course effrénée. Le sommeil l'appelait. Orel montait la garde, les yeux rivés à l'espace qu'il pouvait apercevoir par les trous de la bâche.

Ils essayaient tous les deux d'ignorer les puanteurs atroces qui émanaient de cette cachette. Elle semblait avoir servi de trou à rats ou de tanière de chat sauvage. Ils évitaient de regarder le sol, également.

Orel était perturbé par l'oppression constante qui l'empêchait de respirer correctement. Il priait pour que les renforts arrivent avant qu'il ne puisse plus supporter l'exiguité de l'endroit et doive sortir pour retrouver le vent sur sa peau, le soleil et sa chaleur, la liberté de l'aigle qu'il était...

— Tu trembles... souffla Anael, un œil ouvert. Calme-toi. Ils ne sont pas là.

— Je suis claustrophobe, articula Orel avec difficulté tout en serrant ses mains l'une contre l'autre pour faire cesser leurs tremblements, en vain.

Anael écarquilla les yeux, comprenant soudain l'ampleur du sacrifice auquel devait consentir son coéquipier. Lui n'avait pas de soucis particulier, les ours pouvaient vivre dans des cavernes. Mais un aigle n'était pas un animal à enfermer. Surtout dans l'état de stress dans lequel ils étaient...

— Ils vont pas nous trouver de sitôt. On est bien planqués, chuchota l'Ours dans l'esprit de le rassurer et de détourner son attention.

— On est derrière une bâche, bordel, siffla l'autre en se recroquevillant.

— C'est ton idée, je te rappelle.

Un court silence s'étira entre eux, jusqu'à ce qu'Anael le brise en posant son regard sur l'Aigle.

— On va vendre chèrement notre peau, s'ils nous trouvent. Et t'as pas intérêt à refaire le coup de l'asphyxie ! Alors tout va bien se passer.

— On va mourir.

Les mains d'Orel se mirent à fourrager dans ses boucles blondes. Ses yeux bleus s'étaient tant éclaircis qu'ils semblaient presque blancs. Livide, l'Aigle lâcha dans un hoquet :

— Je vais craquer.

Anael bondit et lui saisit le poignet avant qu'il ne puisse sortir, le ramenant d'un coup sec dos au mur. Approchant son visage impassible, Anael posa son front contre le sien, le bloquant ainsi au fond de leur cachette.

— Ils sont entrés, lâcha-t-il entre ses lèvres serrées. Bouge plus.

Orel, complètement figé, n'effectua pas un geste. Son regard rempli d'effroi ne quitta pas celui d'Anael, qui observait du coin de l'œil les mouvements des ombres de leurs assaillants, qui parcouraient silencieusement les allées entre les immenses containers.

Le souffle saccadé d'Orel, qui tentait de se reprendre, effleura la joue de l'Ours. La soudaine proximité de leurs corps brûlants sauta aux yeux d'Anael, mais il n'osa pas bouger de peur de faire rouler un gravillon de béton. Il se contenta de rougir violemment, en remerciant la pénombre qui camouflait cette nouvelle teinte. Sa main, qui serrait le poignet d'Orel, se mit à trembler. Il décolla légèrement leurs fronts et ferma les yeux pour se concentrer.

— Je les sens, ils sont ici. Ils sont pris au piège, ces imbéciles.

La voix masculine manqua de faire sursauter les deux Métamorphes, qui se crispèrent.

— Ils sentent fort, dis donc. Des prédateurs ! Ça va être drôle ! ajouta une voix féminine d'un air jovial.

Un puissant sifflement leur coupa la parole et tous se firent silencieux. Anael entendit leurs pas glissés s'approcher de leur cachette. Orel l'entendait aussi, et serra les lèvres pour s'empêcher de crier. Il plissa les yeux et distingua trois silhouettes, déjà, qui sortaient de l'allée en direction de la bâche.

Une femme et deux hommes. Tous des Reptiles, vu leur odeur. Leurs yeux brillaient dans la semi-obscurité, comme ceux des serpents. Orel se figea. Anael se retint de brusquement se retourner pour les voir et se força à rester parfaitement immobile, malgré ses muscles tremblants. Parmi les senteurs caractéristiques de leurs ennemis, il avait reconnu celle d'Iris. Peut-être Solenn était-elle même là également. Ça s'annonçait très mal, les deux sœurs les haissaient particulièrement.

— À un, on saute sur les containers et on se barre, murmura Orel d'un ton si bas qu'Anael eut presque du mal à le comprendre malgré leur proximité.

Il hocha doucement la tête et se tendit. Orel inspira longuement, fixa son regard bleu clair dans les yeux gris d'Anael et lâcha :

— Trois... Deux...

Eclipse ~ la guerre de la Morphiax [BxB] (FINIE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant