Chapitre 15: L'Entre-deux guerres

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L'esprit déglingué, je me gare devant le centre psychologique. On est mardi, jour de ma séance individuelle avec la psy. Après avoir dormi trois heures, autant s'ouvrir direct les veines.
Je tire trois lattes sur ma clope, m'ébouriffe les cheveux et entre. On a remplacé la vieille éviscérée avec ses chats. Pas mal, la nouvelle ! Je gagne carrément au change. Si je vois le tueur, je lui claque une bise.
Une belle jeune fille d'environ vingt-deux, non vingt-trois, enfin... majeure, m'accueille avec son sourire de pub pour dentifrice. Châtain, cheveux mi-longs, yeux verts et surtout un 95 D. Je m'accoude au comptoir.
— Salut.
— Bonjour, monsieur. Vous avez rendez-vous?
Aïe ! C'est quoi, cette voix ? Bob l'éponge, sors de ce corps ! C'est pas possible, il y a eu un couac génétique chez cette nana. En pleine agression tympanique, je me présente en grimaçant.
— M. Kn. J'ai...
— ... rendez-vous avec le docteur...
— Oui, oui, c'est ça ! Surtout taisez-vous !
Mon cerveau, transformé en tableau noir sur lequel elle fait crisser ses ongles, se rétracte. Je lui fous un coup de casque si elle ose encore me parler.
— Vous pouvez...
— Non ! C'est bon ! Je sais !
Crispé, je pivote sur moi-même et, alors que je me dirige vers la salle d'attente, la psy émerge des escaliers.
— Monsieur kn, bonjour. Suivez-moi.
— Bonjour.
Bordel ! L'autre n'a pas arrangé mon humeur. Je m'installe confortablement face à ma suceuse de neurones. Exactement comme la première fois, elle est figée, impeccable dans son tailleur gris, son bloc-notes sur les genoux.
— Alors, monsieur kn, comment allez-vous ?
— Je suis crevé, j'ai mal dormi. Et c'est quoi, cette hôtesse d'accueil ? Coupez-lui les cordes vocales avant que tout le monde se suicide !
Silence. Pas un mouvement. Elle attend, ce qui veut dire « démerde-toi, continue tout seul ». Pour bien me mettre dans mon rôle et me détendre, je revisualise ma séance solo sous la douche ce matin en rentrant de planque. Un vrai kif d'expulser l'abus sexuel de ma boss devant les caméras de Marius. J'espère qu'elle a visionné ce qu'elle a raté.
— Je dors peu à cause de mon problème.
— Votre envie de vous masturber vous réveille ?
— Bah oui.
— Avez-vous identifié des déclencheurs à votre pulsion ?
Si je lui parle de la bouche de Jelem, ça va pas le faire ; de ses jambes à elle, non plus...
— Non, pas vraiment, ça me prend comme ça. Je peux être en train de dîner, de conduire, de dormir et ne penser à rien en particulier.
— Êtes-vous adepte des films ou images pornographiques ?
Mon regard se plante dans le sien. Quelle curieuse ! Je souris en l'imaginant en levrette avec son défunt mari, Mr. de la Machin-Chose. Putain, jaylie ! C'est quoi, cette obsession pour la levrette ! C'est à cause de Sine ?
— Évidemment. Comme tout le monde mais j'en abuse pas, si c'est votre question. Sinon c'est le carnage dans ma tronche.
— Très bien. Donc vous pouvez avoir envie de vous masturber sans aucune stimulation apparente.
Hé oui, ma jolie. Je suis une machine !
— C'est ça. Ma bite, heu...désolé, mon pénis est indépendant, autonome, déconnecté de mon cerveau.
Elle note quelque chose sur sa feuille. Ça m'énerve.
— Vous avez essayé de vous retenir ?
— Si je fais ça, c'est encore pire. Ça m'obsède, me rend nerveux, un peu comme quand on arrête de fumer.
— Vous comparez donc votre problème à une addiction ?
Merde ! Si ça se trouve, je me plante totalement. J'y connais rien en masturbation compulsive et j'ai toujours pas eu le temps de me renseigner. Ses prunelles incisives me fixent sans ciller, activant mon envie de la provoquer un peu.
— J'en sais rien. Et c'est vous, la psy, donc à vous de me dire si c'est une addiction ou autre chose. Je suis pas là pour faire le diagnostic à votre place.
Toujours aucune réaction. Elle est totalement flippante. Une image d'elle en train de trucider ses patients remplace celle de la levrette. Ça lui va mieux. Une bonne candidate au meurtre.
— Pourquoi êtes-vous si tendu, monsieur kn ? Vous êtes sur la défensive.
Putain de psy à la con ! Il faut que j'oriente son interrogatoire.
— Avouez que vos questions sont un peu dérangeantes.
— Je suis là pour vous aider, pas pour vous juger.
Alors là, permets-moi d'en douter, madame Abena. Avoir été mariée à un mec qui prône la race pure, c'est pas hyper rassurant. Motivé par l'idée de la tester, je me penche dans sa direction et lui lance mon regard le plus salace.
— OK, alors pour tout vous dire, je me branle en permanence, partout, je tripe même sur les séances collectives. C'est de pire en pire. Ces derniers temps j'ai même développé des pulsions voyeuristes et exhibitionnistes. Je suis malsain et irrécupérable.
Elle hausse les sourcils et pose son calepin.
— Alors pourquoi venir à la thérapie ?
— J'en sais rien ! Je me le demande ! Je ferais peut-être mieux d'aller me faire flageller dans un monastère.
Je me renfonce dans le fauteuil en l'observant .Je prends peut-être le risque de me faire virer, mais ce que je veux avant tout, c'est l'énerver et éventuellement être le prochain sur la liste.
— La religion pour contrer vos pulsions. Intéressant. Vous êtes croyant ?
— Bah non. Mais je peux m'arranger, si ça m'aide.
— Vous recherchez un cadre extérieur solide pour palier un surmoi défaillant, voire inexistant.
Aïe, ça devient technique.
— Un surmoi ?
— Éprouvez-vous de la culpabilité ?
— Non, aucune.
Là, pour le coup, c'est vrai. Me sentir coupable n'est pas dans mes compétences.
— Donc, c'est bien ça. Vous recherchez une instance interdictrice extérieure à défaut d'en avoir une interne. D'où certainement votre parcours dans la police.
— Ouais, bah, ça n'a pas marché, ils m'ont viré.
— Faites-vous la différence entre le bien et le mal, monsieur kn ?
C'est quoi, cette question ? Je suis pas débile.
— Évidemment. J'ai pas été élevé dans une caverne.
— Socialement oui, vous savez ce qui se fait et ne se fait pas. Mais j'ai des doutes sur votre empathie, votre capacité à ressentir vous-même ce qui est bon pour l'autre.
Elle me prend pour un psychopathe ! J'adore... Et elle, elle est quoi ? Rien ne transpire de cette nana.
— Et vous ? Vous savez ce qui serait bon pour moi ?
— Oui, je pense.
Son regard d'acier planté dans le mien, je ne bouge plus. Vas-y, propose-moi ta secte, j'en crève d'envie.
— Vos pulsions sont envahissantes et à cela s'ajoutent des tendances psychopathiques qui vous amènent à transgresser les règles sans culpabilité. Heureusement, vous avez reçu une bonne éducation, ce qui vous permet de connaître les lois sociales et morales, mais vous avez besoin d'appartenir à un groupe qui va vous contenir...
Bla-bla-bla... Pas conne ! Elle m'a pas trop mal cerné en fin de compte. Allez, fais un effort, branche-moi sur les illuminés.
— Vous allez voir, le groupe va vous aider. Beaucoup plus que la religion, la police, l'armée ou je ne sais quel autre cadre trop rigide pour vous.
Rien ! Que dalle ! Pas la moindre allusion suspecte. Juste une analyse et une compréhension qui me foutent les nerfs. Après un long silence, elle se lève et m'invite à la suivre jusque dans le hall.
— À jeudi, monsieur kn.
Ouais, c'est ça. Mon casque sous le bras, j'ouvre la porte d'entrée et tombe nez à nez avec mon aspirateur à amygdales de cette nuit. Oups ! Là, elle ne me déteste plus, elle me hait. Ses iris m'abattent sur place. Sans dire un mot, elle passe à côté de moi et salue ma psy.
Jelem, moins tu vas assumer, plus je vais me marrer.
                           *

Jaylie murder&sex[En ECriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant