Chapitre 19: Bienvenue chez les Slaves

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Assis sur ma moto, je patiente les bras croisés, au soleil, devant l'immeuble de mes parents. Qu'est-ce qu'elle fout ? Mon père sort et, juste avant de traverser pour rejoindre son troquet, m'aperçoit.
— Qu'est-ce que tu fais là ?
— J'attends ma chef.
— Tu viens voir ta mère. Elle t'attend. Tu passes boire un verre après ? Je retrouve des copains, on fête le mariage du fils d'Igor.
— Je m'en suis déjà prise une hier. Je ne suis pas certain que mon foie supporte.
Les fêtes avec les potes de mon père sont légèrement arrosées. Tous bulgares, russes, polonais ou canadiens ... ces mecs sont des mutants élevés à la vodka.
— Passe. Ça me ferait plaisir.
Il repart vers son QG. Une voiture banalisée s'arrête devant moi. Jelem descend en saluant son chauffeur.
— Désolée pour le retard.
— Pas de problème, je bronze.
Nous pénétrons dans la cage d'escalier et grimpons en silence les quatre étages. Arrivé devant la porte, je me retourne.
— Bon, jelem, ma mère est spéciale.
— Comme c'est étonnant, dit-elle en souriant.
— Elle ne parle pas fort parce qu'elle pense être sur écoute et si elle décroche de la conversation, ne t'en fais pas, c'est normal. Dans ce cas-là, soit j'arrive à recapter son attention, soit c'est mort et il n'y a plus rien à en tirer.
Elle hausse un sourcil. Je note que ses cheveux bruns sont lâchés, que sa bouche est encore plus pulpeuse que d'habitude. Putain, elle s'est mis du gloss. Je me marre.
jelem, tu t'es maquillée pour venir voir ma mère ?
— Non, répond-elle, sur la défensive.
— Mais si, dis-je en pointant mon index vers ses lèvres.
Elle dégage ma main sèchement.
— Bordel, jaylie, ouvre cette porte, qu'on en finisse. J'ai du boulot !
Tout en me foutant d'elle, j'entre et me dirige direct vers le salon.
— Salut, maman.
— Hmm.
Je retire mon blouson, propose une chaise à jelem, surprise, mal à l'aise, face à cette femme qui n'a pas levé la tête de son ordi. Je m'installe à coté de ma chef et chuchote :
— Attend, je vais arranger ça.
Je m'allume une clope. Ma mère relève aussitôt le nez et saisit celle que je lui tends en observant la belle brune.
— Je te présente le capitaine Jelem Croft, ma supérieure.
— Bonjour, madame.
Pas de réponse. Juste une longue inspiration et expiration de plaisir en recrachant la fumée. Puis elle fouille dans ses papiers.
Stéphane Kovacevick. Né en 1970 à Bafang. Fils de Céline Pàvic et de Vladimir Kovacevick, lui-même proche d'un général , responsable de l'extermination de milliers de Serbes, Juifs et Tziganes pendant la Seconde Guerre mondiale dans le camp d'extermination de Jasenovac. Le père de  Stéphane  était certainement un Outsashis, mais rien d'officiel, c'est-à-dire qu'il appartenait à un mouvement nationaliste croate, antisémite, fasciste et antiyougoslave. Ces personnes voulaient convertir les Serbes au catholicisme, leur religion.
Jelem, éberluée par ce flot de paroles, s'apprête à poser une question. Je lève la main pour l'en dissuader. Ma mère est en mode machine, si on la coupe, c'est mort.
— Autant vous dire que son père ne devait pas être un tendre et a dû activement participer à des égorgements massifs, leur pratique favorite. Ils adoraient couper la tête des enfants...
Ça y est. On est partis dans la description précise des tueries avec gestes à l'appui et limite le bruitage. Ma mère jubile littéralement. Ma boss pâlit.
— Revenons à ce Stephane. Après la guerre, ils ont vécu en Bosnie. Le père a disparu dans les années 70. Rien sur ce Nicolas pendant des années, il aurait été avocat, ça reste à vérifier. Mais... le 6 avril 1992, les Serbes attaquent la Bosnie-Herzégovine à Sarajevo...
Elle cherche dans ses notes.
— Mes contacts là-bas me l'ont présenté comme un ultra-nationaliste, fervent catholique, dans la lignée de son père. Il a toujours été discret, mais pendant le conflit il s'est un peu lâché auprès de certaines personnes, tenant des propos fascistes forts. Il est sûrement passé parfois à l'acte. Tout le monde s'entretuait impunément à Sarajevo. Selon mes sources, il a dû s'enfuir, sa tête mise à prix par les Serbes et les Bosniaques, et depuis plus rien.
— Charmant.
— Pas du tout. Cet homme a été élevé dans la haine raciale. Jaylie, s'il apprend que tu as des origines du Nde, il va te couper les couilles au couteau de boucher. C'est leur truc, chuchote ma mère en riant.
Jelem pose sa main sur sa bouche, choquée. Ou ravie. Difficile à dire.
— Sinon, tu n'as rien concernant son implication dans un groupe religieux en France ?
— Si. Il a fait partie de plusieurs groupuscules nationalistes, catholiques aussi, mais ça, ça ne m'intéresse pas... Tu veux que je te raconte comment les Croates écorchaient les enfants dans le camp de Jasenovac ? C'est très intéressant...
— Non. C'est bon.
— Si. Alors, ils...
Nous voilà repartis dans l'horreur. Je souris en l'écoutant. Elle raconte tellement bien l'histoire qu'on s'y croirait. Je jette un œil à jelem, sidérée, de plus en plus blême. Oh merde, je suis en train de la perdre. Ça sent la crise d'angoisse.
Pour la première fois, c'est pas ma mère qui décroche, c'est moi. Je me lève, saisis ma belle brune par le bras et dégage vite fait.
— Merci, maman. Je t'appelle pour la suite.
Je n'ai pas le temps de fermer la porte que jelem dévale les escaliers à pleine vitesse. Je la retrouve sur le trottoir, adossée au mur de l'immeuble, en plein exercice de respiration.
— Ça va ? Tu ne te sens pas bien ?
— Bordel, jaylie, ta mère est atroce !
Je rigole.
— J'ai pourtant l'habitude d'en voir, des horreurs, et d'en entendre, mais elle, elle a quelque chose de fascinant et ça fout les boules, dit-elle en frissonnant.
— Oui je sais. J'adorais quand elle me racontait des histoires, petit.
— Elle ne te racontait pas ça ?!
— Bah si.
Je m'empare de sa main et la tire vers le bar. J'ai ce qu'il faut pour la détendre.
« — Viens !
— Non, je vais y aller !
— Tss ! Fais ce que je te dis.
Je pousse la porte d'où s'échappe une musique aussi tonitruante qu'entraînante. Miss Police résiste.
jaylie, j'ai mon compte. Et tu crois que j'ai le temps d'aller assister à des concerts ?
— Viens ! Discute pas !
jaylie, zdrasti1 !
Mon père, son violon à la main, nous alpague. La paume de jelem toujours dans la mienne, je l'attire vers le comptoir. La patronne nous sert deux verres de vodka avant de se remettre à chanter en polonais. Sa voix dure, magnifique, envahit tout l'espace, accompagnée de la guitare et du violon.
Je me marre en observant ma supérieure. Sur une autre planète, elle sait plus où se foutre. Il y a du monde, pratiquement que des hommes et certains ont des gueules pas franchement sympathiques. Ils parlent tous russe, langue commune à tous ces pays de l'Est réunis.
jelem, lâche-moi. Ils vont pas t'agresser, lui dis-je en tirant sur ma main pour la récupérer.
jaylie, c'est quoi, ce traquenard ?
— Je te présente mon père et sa bande. Ce sont des chants tziganes. Bois ! Sinon tu vas les offenser. Ils célèbrent le futur mariage de... je ne sais pas qui, un mec.
Elle scrute son verre sur le bar. Je lui fous entre les doigts et vide le mien cul sec. Après un temps d'hésitation, elle suit. On nous ressert. Ma jolie, ce que tu ne sais pas, c'est que mieux vaut garder ton verre plein, sinon t'es foutue.
Après son troisième shot, elle rosit à vue d'œil, ses prunelles bleues pétillent. En ce qui me concerne, mon afflux sanguin quitte ma zone nord pour la zone sud. Arrête de la mater, branche plutôt ton voisin de comptoir pour faire diversion. Je zappe rapidement Jelem qui capte que dalle à notre conversation en russe. Du coup, elle enchaîne les vodkas.
Je ricane tout seul en la voyant s'enfiler son sixième shot. Hmm... je sens qu'elle va finir dans ma cellule de dégrisement personnelle. Son corps se balance discrètement au rythme de la musique. La clarinette s'ajoute à la guitare et au violon. Nous voilà projetés en plein film ,on dirait la série vampire diarries.
Un Rom édenté d'environ soixante-dix ans, chapeau sur la tête, s'approche de ma grande brune et lui tend la main. J'observe la scène avec un sourire en coin.
jaylie, qu'est-ce qu'il veut ?
— Danser, je crois.
— Mais...
Sans avoir le temps de protester, elle se retrouve au milieu du clan. Les mecs, en plein numéro de charme, dansent autour d'elle. Affolée, la miss ne sait plus où donner de la tête. Quel spectacle ! Ma clope pendant entre mes lèvres, je marque le rythme en frappant dans mes mains, mort de rire. La patronne se penche au-dessus de son bar.
jaylie, va l'aider.
— Qu'elle se démerde. Ça va la décoincer.
— Mais elle ne sait pas danser...
— Justement. C'est drôle !
Un vieux, compatissant, entreprend de lui donner un cours. Elle se prend au jeu ! Putain, ma boss psychorigide se transforme en Tzigane hyper bandante ! Un énorme sourire barre son visage, elle vire même son blouson, exposant son arme dans son holster, sur son flanc gauche. Tout le monde recule soudain de deux pas.
Eh merde ! Elle est complètement défaite. Les collabos, ils n'en raffolent pas trop ici. J'écrase ma clope. Voyons jusqu'où elle est défoncée ? Elle lève la tête, sa joie de vivre s'effondre en me voyant. Détends-toi ma belle, je vais pas te sauter dessus. Enfin... pas encore. J'attrape ses deux mains, les lève en dansant face à elle, lui donnant la cadence. Elle suit mes pas, cherche à m'imiter.
— Vas-y, jaylie, montre-leur comment on danse dans la famille, s'écrie mon père avant de s'exciter sur son instrument.
Progressivement, j'apprivoise la bestiole, la fais tourner sur elle-même. Elle est larguée, mais se déride. Je me rapproche de plus en plus. Mon torse effleure ses seins, je la pousse à reculer avec mes hanches, puis à avancer. Son regard ne quitte pas mes pieds.
jelem, regarde-moi.
Battement de cils. Ses iris bleus se plantent enfin dans les miens.
— Laisse-toi aller. C'est pas grave si tu fais n'importe quoi.
— Je voudrais bien te voir à ma place. Je me retrouve à danser avec des gars qui ont des tronches de mafieux et me parlent en russe. Tout ça après avoir écouté ta mère me raconter comment ils dépeçaient des gens dans les pays de l'Est.
Je rabats ses mains contre ses reins, la presse contre moi et chuchote à son oreille :
— Et si je te dis qu'ils détestent les flics...
Elle rigole. Je remets de la distance en la faisant à nouveau tournoyer sur elle-même. Étrangement docile, elle revient se coller à moi, ondule langoureusement du bassin tout en évitant mon regard. Toi, si tu m'allumes, t'es bonne pour un circuit touristique complet. Tu vas approfondir tes connaissances et goûter mes origines slaves avec autre chose que la danse. Je lâche sa paume, attrape son menton et kidnappe ses rétines. Mes lèvres à deux centimètres des siennes, je susurre :
Jelem ... Vnimanie. Ti poernate riskove2...
Ses pupilles se dilatent, sa bouche redoutable s'entrouvre. Bordel, jaylie, t'as gagné ton retour à la BRP. Elle flanche quand tu lui parles bulgare. Sans la quitter des yeux, mes doigts glissent sur sa mâchoire, puis sur sa nuque. Raté : elle éclate de rire en reculant.
— Le Ruskoff, n'y pense même pas ! Contente-toi de danser !
Tous les vieux se bidonnent. La garce ! Elle m'énerve, non, elle m'excite ! Enfin bref, on s'en fout. Je souris en me passant la main dans les cheveux et ouvre les bras en dansant vers elle.
— OK, ma belle, tout ce que tu veux mais je te préviens, garde le contrôle, sinon je te bouffe.
Elle se marre, redresse fièrement les épaules et accepte volontiers le défi...
                         *

Accoudé au comptoir, je discute avec mon père en jetant des coups d'œil à Jelem qui s'est prise de passion pour les danses folkloriques. La vache, elle est complètement bourrée et avale tous les verres qui lui passent sous le nez.
— C'est qui, cette fille ? me demande mon paternel.
— Ma supérieure.
— Elle est sympa.
— Non. C'est son cul qui est sympa.
Hilare, il claque son verre sur le bar.
— Mon garçon, j'adore ta vision de la vie. Si seulement j'avais eu la même ! Vous vous entendez bien, alors ? me demande-t-il avec un regard entendu.
— Non plus.
Mon portable vibre dans ma poche. Tout en écoutant mon père déblatérer sur les femmes-flics, je lis le message.
> Suzanne : Je suis à Segmad hotel face hôpital général.
J'ai besoin de parler et je ne sais pas à qui.
22 heures et ma soirée est loin d'être terminée. Fait chier ! Jouer les psys auprès d'une dingue adepte des mutilations corporelles me prend la tête. Je lui réponds que j'arrive dans une demi-heure, salue mon père et alpague ma reine du dance-floor.
Jelem, il faut qu'on y aille. Je dois aller bosser.
— Déjà ? Je m'amuse bien... dit-elle en sautillant.
J'attrape son blouson et l'embarque. Elle peste en titubant, fait coucou à ses nouveaux amis en bafouillant dans un russe incompréhensible. Devant ma moto, elle se fige.
— Dépêche-toi ! J'ai rendez-vous.
— Je ne monte pas là-dessus... en plus... tu as bu.
— Non. Toi, tu as bu. Allez, magne-toi. Je te ramène.
Je lui file mon casque, elle grogne et manque de se casser la gueule en grimpant derrière moi. Bordel, je vais la perdre en route. Je saisis ses bras et les enroule autour de ma taille.
— Tu te tiens !
— Oui, oui... Allez, le Ruskoff ! Vas-yyyy, fonceee ! s'écrie-t-elle en me broyant les abdos.
Putain, elle est dans un état ! Je vais manger quand elle va dessoûler. J'accélère en riant et suis ses indications. Après deux demi-tours et quatre passages dans la même rue, je freine brutalement, me prenant un coup de casque derrière la tête.
— Merde, Jelem, tu sais plus où tu habites ou quoi ?
— Bah non... Je ne comprends pas, normalement c'est là mais je reconnais plus...
— Bon, file-moi ton adresse.
— 22 rue... du Temple.
J'avance de deux mètres, m'arrête.
— Tu y es.
Elle descend avec difficulté, retire son casque et plisse les yeux en me matant.
— Tu vas où ?
— Je retrouve Suzanne la SM, elle veut me parler.
— Tu as pris ton fouet ? dit-elle en ricanant.
— J'ai pas l'intention de me la faire, si c'est ce que tu veux savoir.
— Oh, mais tu fais ce que tu veux. Je m'en taaape...
— Bon, rentre chez toi. T'es plus étanche.
Elle vacille, se dirige vers sa porte et revient en manquant de s'écrouler sur moi.
— Attends ! Je t'ai pas fait mon retour sur l'interrogatoire d'Alex l'uro.
Un stock de vodka et c'est dans la poche ! La SM va attendre son tour.
Jelem... c'est une invitation ? T'es pas obligée de prendre le boulot comme prétexte pour me demander de rester.
— Tuuu rêêêves. Aurélien doit m'attendre. On vit ensemble !
— On peut débriefer dans ta cage d'escalier vite fait. Ça me va.
Elle agite son index sous mon nez, les sourcils froncés.
jayyyyyliee, je te vois venir. D'ailleurs, pourquoi tu tiens tant à me baiser ?
Quelle question stupide. Elle devient complètement con quand elle a bu !
— Pourquoi pas ?
— Tu peux pas te contenter qu'on soit... juste amis ? Ouiii, moi je veux bien être ton amie ! Tu me fais rire et... t'es sympa, finalement.
Putain de conversation d'ivrogne. Elle va la regretter demain.
jelem, si tu veux être amie avec moi, il va d'abord falloir faire baisser la pression. On baise et après on est amis.
Les yeux ronds, elle ouvre la bouche, la referme.
— Tu m'énerves ! crie-t-elle en agitant les bras et en s'engouffrant dans son immeuble ...

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Jaylie murder&sex[En ECriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant