Un hurlement traverse mon être, brûlant tout sur son passage. J'ai du sang sur mon visage et je n'entend plus Max. À vrai dire, je n'entends plus rien d'autre que ma douleur, une puissante douleur noire et féroce qui grandit en moi. Je ne comprends pas vraiment ce que c'est, et j'ai l'impression que quand je pense, ça résonne en moi. À l'intérieur. Comme si j'étais vide, qu'une partie de ma personne avait été arrachée. C'est d'ailleurs ce qui vient de se produire comme en témoigne les larmes le long de mes joues.
Une faible détonation retentit et je sursaute tandis que je me baisse dans un réflexe animal. Animal. Ce mot me dérange. Animal. J'ai l'impression qu'il a une importance. Animal. Je garde la tête haute tandis que ce mot prend la place de toutes mes autres pensées. Animal. Un animal ne possède pas les caractéristiques de l'espèce humaine. Peut être brutal. Une bête. Bestial.
J'ai mal à la tête, j'entends une voix, c'est... Max. Max ! C'est toi le responsable de tout ça, c'est ta faute et tu vas... Tais toi.
La voix de Max paraît cadavérique, comme morte. C'est la chose qui me stoppe. Le croque mitaine... Il arrive. Je ne peux plus le retenir. Quoi ? Qui ?
Soudain, je me sens comme déchiré de l'intérieur, par une force indescriptible. Je sens ma raison m'échapper en même temps que mon corps. Animal. Brutal. Bestial.Je suis dans la chambre. La chambre d'enfant. Je regarde autour de moi et aperçoit Max. En chair et en os, du moins sous l'apparence d'un enfant de quelques années. Qu'est ce qui se passe ? Il a un visage si angélique... Quelque chose de lugubre s'élève soudain. Au delà d'une voix, c'est une sensation, puissante, terrifiante. Un concentré d'instincts dont j'ignorais l'existence. C'est donc cela, le croque mitaine, le concentré de toutes mes frustrations et mes pulsions contenues au fil des années de ma misérable vie.
Tandis que je perd la raison, je décide de m'approcher de ce que Monsieur Derche appelle la "version de Max que je suis le plus susceptible de voir apparaître", à savoir un être enfantin, que j'ai condamné par ma seule existence. C'est de moi enfant dont je m'approche au final. Non. C'est une version idéalisée du môme que j'étais. Les cernes et les yeux rouges n'apparaissent pas sur le visage de Max...
Je me suis arrêté devant lui et fixe ses yeux marrons. Mes yeux marrons. Un échange muet passe entre nous, si tenté qu'une personne saine puisse juger que nos échanges habituels ne soient pas muets.
Tu la ressens toi aussi ? De quoi tu parles ? La douleur...
Il me sourit alors étrangement et je sens nos deux corps se rapprocher tandis que la chambre se met à trembler. Le monde que je connais s'écroule progressivement autour de moi, ce monde réel. Irréel. Qu'importe au fond, tant qu'il est réel pour moi ? Peut être que la douleur est plus supportable à deux... Un seul moyen de vérifier.Tandis que cette pensée traverse notre cerveau, nous penchons mutuellement la tête dans un mouvement qui nous semble profondément naturel. Nous nous embrassons, lèvres contre lèvres, tandis que chacun prend l'autre dans ses bras, jetant toute sa haine, sa tristesse et sa déception sur l'autre. Jamais je n'ai connu plus libérateur que le sentiment que je ressens actuellement. Une nouvelle secousse invisible retentit au beau milieu de mon crâne tandis que nous nous déchirons un peu plus et entrons dans une étrange phase de fusion. Cette phrase qui dit que les blessures des autres viennent combler les notre est bien vraie. Les dernières barrières mentales que je me fixait tombent et je ne fais plus qu'un avec Max.
S'engage alors une bataille mentale dont je n'aurai jamais cru l'existence même possible. Moi et mon double, contre une entité née de mes peurs et pulsions. Je plonge pleinement dans la folie, embrassant ce destin qui est sans doutes mien depuis très longtemps. La seule chose qui arrive à me rassurer est le fait que peut être que cette chose, que ce croque mitaine, s'occupera de Victor et lui fera payer la mort de... Je n'arrive même pas à le formuler. En fait, cette idée me réjouit, nous réjouit. Au delà de ça, ça me fais sourire, rire même, oui, c'est un tonitruant éclat de rire qui me secoue le ventre soudain tandis que nous nous écrions :
- Il est là !Le désespoir sur le visage de ce grand homme si pâle me fait rire de plus en plus fort, pendant que les autres me fixent d'un air effaré. Sans doutes pensent-ils que je suis fou... Fou, moi ? Je ris de plus belle.
- Qui est là ?
Sa voix me ramène un temps à la réalité, pour lui crier, du défi plein la voix :
- Le croque mitaine... Il vient, il est là pour toi !
Ses yeux s'écarquillent et il se met à se tenir la tête. Bon Dieu, ça fait du bien, de le voir souffrir.C'est à ce moment précis que toutes les pulsions noires qui m'habitent se stoppent. Un instant. Un moment. Une seconde. Un magnifique laps de temps pendant lequel j'ai envie de pleurer, chanter, danser ou crier. Je ne sais pas. Je ne sais plus. Ce que je sais en revanche, c'est ce que cela signifie. Que la fragile conscience que nous formions Max et moi est sur le point d'être détruite. Il est là. Dans la chambre.
- Oh, il est là, il est dans la chambre !
Cette phrase, je sais qu'elle n'était pas vraiment de moi, et pas vraiment de Max non plus. Je peux le ressentir.C'est fini. Je me met à trembler tandis qu'on me déchire de l'intérieur.
Des cris.
Un homme.
Une détonation.
Allongé dans le sang de l'homme que j'aimais, contrôlé par une entité dont la noirceur dépasse l'entendement, je sens une balle me traverser le torse.
À moins que je ne l'ai rêvé. Qu'importe au fond ?
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|Le Choix|
Mystery / Thriller5 amis partent quelques jours en vacances dans une maison à la campagne, loin de tout. Ce qu'ils vont vivre et le choix qu'ils vont devoir faire va défier tout ce qu'ils ont pu croire jusque là.