OUR ANCHOR T1 Broken [Terminée]

9 | Raphaël

Il m'arrivait de me sentir aussi paumé que lorsque j'avais récupéré pour la première fois mon petit frère. Il m'arrivait de me demander comment je pouvais élever un garçon qui n'était plus un enfant depuis longtemps, mais qui n'était pas encore un homme.

Ouais, lorsque je retrouvais Joshua dans la salle des urgences de l'hôpital où bossait Lili, je me disais que j'avais loupé un truc. Le pire, c'est qu'il n'était même pas là parce qu'il s'était battu en voulant jouer au plus malin. J'étais un peu fou de vouloir ça ; d'espérer qu'un jour je vienne parce qu'il était comme n'importe quel gosse de son âge. Comme si d'emblée, je mettais Joshua dans la case des gosses pas normaux.

Parfois, je me sentais vraiment con face à lui, parce que le seul truc dont il manquait, c'était de volonté. Est-ce qu'on pouvait en vouloir à un gosse de ne pas avoir envie d'aller en cours ou de perdre son temps ? Parce que ouais, j'avais conscience que Joshua savait plus de trucs que les profs qui étaient censés lui enseigner.

J'étais au courant qu'il était bien plus malin et intelligent que la moyenne. Il en avait dans la tête le frangin. Mais ça ne me dédouanait aucunement des responsabilités que j'avais endossées pour récupérer sa garde et l'éloigner de notre mère, qui était aussi nocive qu'un produit où figurait une tête de mort dessus. J'avais puisé la force de prendre le rôle de figure d'autorité pour Joshua seulement parce que j'en avais eu assez de le voir aller de foyer en foyer pendant un temps. Celui nécessaire pour scarifier une âme. La sienne. Il m'avait fallu un moment d'adaptation pour en arriver là où j'étais, et il me restait encore énormément à faire. C'était la pensée qui me venait à chaque fois que l'un de mes lycans m'appelait pour me dire où était Joshua. Parce qu'aussi présent que je voulais l'être dans sa vie, je ne pouvais pas l'avoir sous les yeux non-stop. J'étais un lycan, pas un foutu Dieu.

Je me retrouvai assis à côté de lui, dans la salle d'attente, me demandant bien ce qu'il avait à toujours squatter là. Qu'il veuille rester près de Lili, ça je le comprenais parfaitement, et ce, pour tout un tas de raisons.

On détonait clairement lui et moi ; entre la femme qui se faisait certainement battre et le gosse qui balançait ses jambes pendant que sa mère paniquait pour deux, je me sentais presque gauche. Je jetai un coup d'œil à ma montre. J'empiétai sur ma pause, mais tant pis.

J'étais encore dans la phase d'observation pour comprendre Joshua. On avait beau se ressembler presque comme deux gouttes d'eau, moi étant la version plus développée, nous n'avions pas beaucoup en commun. Là-dessus je ne me leurrais pas. Quand on était un Freiherr comme moi, on apprenait à percevoir le potentiel de chacun et surtout, on apprenait à prendre les gens comme ils étaient, parce que chaque personne était différente. Seulement, Joshua était mon frère et j'avais envie de le connaitre davantage. Il était avec moi depuis quelques années maintenant, ça n'empêchait pas que le temps me filait entre les doigts.

Toujours trop rapidement, me rappelant que je n'étais pas immortel.

— Pas de réprimandes aujourd'hui ? souffla Joshua, me jetant un coup d'œil, légèrement penché en avant.

Je haussai les épaules :

— Tu en veux ?

— Pas vraiment, avoua-t-il. Mais on sait tous les deux que tu te sentiras mieux si tu le fais. Et que je fais mine d'être d'accord avec toi. Et désolé.

— Surtout désolé, marmonnai-je.

Ce gosse me rendait fou.

— C'était pas intéressant aujourd'hui, ajouta-t-il. Sinon j'y serais allé... enfin, peut-être.

Mon coup de coude dans les côtes le fit rire.

— Tu sais combien ça coûte la fac, toi ? Un bras. Mon bras, Josh.