Epilogue

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Le corbeau tirait sur les liens qui le retenaient prisonnier. Jamais encore auparavant n'avait-il mis tant de fougue dans ses tentatives pour se libérer. Cependant cette fois-ci il ne se battait pas pour lui-même. Sur la branche d'en face un rai de lumière s'était déposé sur la figure de la colombe noire retenue à son tour par les serres du démon. Elle hurlait. Son cri loin d'appeler à l'aide sonnait comme cent insultes adressées à son geôlier. Elle se battait et n'abandonnerait pas. Plus forte que lui, douée d'une ténacité à toute épreuve il ne pouvait que l'admirer.

Bientôt elle releva les yeux et leurs regards se croisèrent. Au loin le tonnerre gronda sous la force de l'éclair passé au-dessus des feuillages. Il frémit. Une nouvelle énergie croissait soudain dans ses entrailles, qu'il n'avait jamais connue et grâce à laquelle il redoubla ses efforts pour se défaire de ses chaînes. Il poussa un cri afin d'alerter la colombe. Il était là. Il trouverait un moyen de les délivrer, si ce n'était pour lui ça le serait au moins pour elle.

Le soleil filtra à travers deux brindilles et frappa la liane enroulée autour de sa patte. L'écorce rougeoya, la braise allumée se répandit le long de ses fibres qui laissèrent s'échapper une fumée grésillant. Il remua et profitant de la faiblesse de ses liens parvint à s'approcher de l'être aimé. Leurs fronts se rencontrèrent, tant de compassion se reflétait dans les yeux du corbeau tandis que son corps entier frémissait de regret et d'une immense colère pour toutes ses actions passées et la faiblesse en lui qu'il abhorrait tellement.

Il ne pouvait plus continuer sur cette dernière voie, aussi employa-t-il les ultimes ressources à sa disposition, chaque parcelle de son corps conviée à se mobiliser, et se mit à picorer avec violence les nœuds couverts d'épines qui entravaient la colombe mutilée. Il asséna coup sur coup, conforté dans son propre espoir de réussir car à chaque assaut la membrane végétale se déchirait, et la lumière de l'astre diurne s'engouffrait dans la brèche comme pour lui apporter son concours.

A mesure qu'il se ruait sur la chaîne, le rayon gagnait en intensité et finit par s'élargir au reste de la clairière. Les futaies se ratatinèrent n'en croyant pas leur sève de la puissance que cette lueur était capable de dégager. Elles dévoilèrent les milliers de prisonniers dispersés çà et là entre leurs feuilles. Et la révolte s'éveilla.

Les clameurs courageuses contre le cri du tortionnaire. Celui-ci se retrouvait acculé au fond du gouffre, les voix trop nombreuses pour être contrôlées le rendirent fou, il hurlait à la mort. Des tentacules s'animèrent entre les arbres et fouettèrent tout ce qui les entourait. Cependant la lumière chassa les derniers remparts à sa gloire et illumina tout à coup le monde ! Le corbeau au même instant brisa le dernier fil qui emprisonnait la colombe et la ronce se tortilla de douleur en expulsant un hurlement strident.

Les silhouettes aliénées depuis parfois de longues décennies s'envolèrent subitement dans une cacophonie de battements d'ailes et de piaillements réjouis. Un incendie embrasait les racines tout en bas et se propageait déjà aux troncs déformés par la folie. Dans cette tourmente les deux oiseaux se fixaient, immobiles. Le corbeau souffla un petit chant soulagé, il avait réussi, il venait de se prouver que la lutte valait les sacrifices qu'on lui offrait. Il s'était donné corps et âme pour libérer la colombe, et voilà qu'elle se tenait devant lui, délivrée de toutes entraves. Ces sacrifices, rien que pour elle, non pas pour lui.

La lumière se fit jour dans son esprit embrouillé par le craquement des flammes en-dessous. Une étincelle s'alluma dans son regard et à peine put-il mettre des mots sur ce sentiment qui s'écoulait dans ses veines que les fers à ses pieds terminaient de se consumer sous la flamme. Il ne restait plus qu'un mince filament qui se réduisit en poussière dans le claquement d'une gerbe dorée.

Un éclair puis, plus rien.

La légèreté qui l'envahit le fit ouvrir grand les yeux. Il échangea une œillade avec la colombe noire qui hocha de la tête puis, le bel oiseau ouvrit les ailes et prit son envol. Le corbeau la contempla partir. Il battit des ailes lui aussi, comme s'il ne croyait pas à sa propre délivrance puis, s'élança dans le sillage de cet émissaire de paix, sa moitié pensait-il. Il tourna le dos au feu qui ravageait sa geôle.

La clairière disparaissait. Les cendres fumeraient longtemps, néanmoins elles nourriraient le sol d'où pousserait de nouveau une nature fertile et douce. Le mince ruisseau poursuivait quant à lui son chemin, il ne s'arrêtait jamais. En travers de son lit une petite branche survivait aux flammes, coincée entre deux rochers argentés qui se couvraient de suie, elle frémissait. Fichée dans son écorce une plume noire bravait la chaleur. Elle voulait partir depuis longtemps déjà mais n'avait jamais eu la force de prendre son essor. Les choses avaient changé toutefois, il était temps, elle pouvait le faire !

Le cours d'eau prit soudain de l'ampleur et délogea la brindille qui s'enfuit à toute vitesse sur le ri, son éclat joyeux emporté par le courant. Ce fut cet élan que choisit le morceau de duvet pour attraper l'air chaud de l'incendie et s'élever enfin au-dessus de la forêt. Il disparut dans l'immensité du ciel blanchi par le soleil, heureux.

Le corbeau volait dans l'ombre de la colombe. Il finit par la rattraper et ses longues rémiges effleurèrent les siennes tel qu'il l'avait toujours désiré. Cependant son cœur au lieu de s'emballer et exploser sous le coup du bonheur ne ressentit qu'un pincement. Quelque chose lui manquait, plus terrible que sa détention, bien plus fort que l'acharnement qu'il avait mis à libérer la colombe noire de sa prison.

L'horizon s'étendait devant lui mais le seul avenir qu'il voyait se trouvait bien au-dessus, vers ce soleil si lointain qui tentait de l'embrasser dans ses rayons chauds. Alors il comprit. Il revit la lumière pénétrer dans sa prison et forcer ses chaînes, il saisit d'où lui venait ce courage qui battait dans sa poitrine désormais, il comprit finalement, d'un coup d'œil vers la colombe, que l'illusion était réaliste mais loin d'être réalité. La lumière, les rayons pétillants du soleil dans des prunelles brunes. Il dessina le visage qu'il avait cherché si longtemps sans jamais le voir bien qu'il eût été à ses côtés depuis le commencement.

Faisant barrage au courant qui l'emmenait sur le mauvais chemin, il s'élança vers le soleil, rejoindre la lumière qui éclairait le monde et se faisait oublier. Personne n'était à même de la contempler à sa juste valeur pourtant elle veillait sur tous ceux qui méritaient sa bonté. Discrète, aimante, il s'était toujours accroché à elle sans penser qu'elle aussi avait besoin de lui.

- Pardonne-moi, murmura-t-il le cœur débordant d'un amour puissant qui se confondit avec la mélodie des cieux. J'arrive.

Le corbeau se métamorphosa en étoile scintillante d'une belle aura vermeille, et attrapa la main dorée que la lumière lui tendait. Ensemble, réunis pour l'éternité, ils s'en furent voguer au gré des âges, devenus enfin maîtres de leur destinée.

Fin

Fanfiction Eragon - Les Liens du Destin - TerminéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant