Chapitre 14 : Poudlard Express et diligences

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AOÛT 1974

Cet après-midi là, à la place de notre match de volley improvisé, c'est à l'histoire complète de Joyce Martins que nous eûmes droit. Peter et moi, qui ne connaissions d'elle que son patronyme grâce à l'actualité sorcière, apprîmes ainsi que ses parents, Anthony et Levanna Martins, étaient morts alors qu'elle n'était qu'un bébé, et qu'elle était par conséquent allée vivre chez son oncle et sa femme, Edwin et Haley Martins. De par l'amitié liant son père et Fleamont Potter, celle unissant le couple Martins et la mère de James, et leur âge, c'était tout naturellement que James et elle avaient passé une bonne partie de leurs jeunes années à jouer ensemble chez l'un ou chez l'autre. Puis, alors qu'ils n'avaient que cinq ans, Edwin et Haley Martins avaient été nommés directeurs du Bureau des Aurors et, jugés trop occupés par l'Unité de Protection des Enfants du Département de la Justice Magique, ils avaient perdu la garde Joyce au profit de la sœur de son père, Ariane Martins, plus connue sous le nom d'Ariane Lestrange. Joyce avait donc déménagé à Londres, chez les Lestrange, où elle était restée jusque quelques semaines avant que je ne fasse sa rencontre. En ne la voyant pas à Poudlard lors de sa rentrée en première année, James avait arrêté de se demander où elle était passée, loin de se douter que sa tante avait trouvé plus sain de lui faire l'école à domicile. Et maintenant, comme pour rire, voilà qu'elle était de retour, fraîchement débarquée de chez les Lestrange.

À l'époque, son récit me donna l'impression d'apporter des réponses à toutes mes questions. Il expliquait de la manière la plus simple possible ce que fabriquait Ariane Lestrange à Poudlard, pourquoi Edwin et Haley Martins avaient démissionné, pourquoi des balançoires étaient installées dans leur jardin alors qu'ils n'avaient pas d'enfants, et même pourquoi James avait agi si bizarrement lorsque je l'avais questionné à ce propos. Sauf qu'en réalité, il en posait beaucoup d'autres, et bien plus importantes. En premier lieu, qu'était-il arrivé aux parents de Joyce ? Pourquoi, une fois chez les Lestrange, plus personne n'avait entendu parler d'elle ? Pourquoi était-elle de retour cet été là précisément ? Autant d'interrogations pour une vérité qui ne se dévoilerait à moi que petit à petit, et encore, jamais sans cesser de dissimuler une réalité plus perturbante encore derrière elle. Mais je n'avais alors que douze ans et, si ces questions m'effleurèrent, elles ne s'attardèrent guère dans mon esprit, remplacées par les conséquences immédiates du retour de Joyce.

Car, sitôt qu'elle réapparut à Tinworth, je me sentis mise sur la touche vis-à-vis de James. Avant son arrivée, j'étais l'une des seules filles à qui le Maraudeur condescendait de l'attention et, sans jamais oser m'en vanter à voix haute, je ne me targuais pas moins de cette position privilégiée dans mon fort intérieur. Or Joyce menaçait considérablement la place que je pensais m'être faite dans la vie de James. Avec les souvenirs qu'elle partageait avec lui, elle avait l'avantage sur moi, et cela me la rendit quelque peu antipathique - et ce bien qu'elle se montre très gentille à mon égard. J'étais jalouse, ni plus ni moins. Mais l'avenir allait me montrer que les premières impressions sont souvent trompeuses. Parce que l'époque à laquelle Joyce et James avaient formé une équipe était depuis longtemps révolue. Maintenant, c'était Sirius, le complice de toutes les aventures de James. Et celui de Joyce... Eh bien son identité vous étonnera sans doute autant qu'elle a pu m'étonner.

***

SEPTEMBRE 1974

Au fil des journées passées à ruminer le nouvel ordre des choses en vigueur depuis le retour de Joyce, l'été finit par toucher à sa fin et il fut bientôt temps de retourner à Poudlard. Tout comme la dernière soirée des vacances passée sous la tonnelle de mon jardin devant un bon plat de ma mère, le voyage dans le Poudlard Express passa aussi vite qu'un éclair. Angel, Becca, Charlie, Theo et moi eûmes à peine le temps de nous retrouver et de nous raconter notre été que le train entrait en gare de Pré-au-Lard, signant définitivement le début d'une nouvelle année au château. Encore trop petits pour résister à la foule qui se mouvait autour du train pour rejoindre les calèches chargées de nous emmener à Poudlard, nous nous laissâmes porter par le flot des élèves et attendîmes gentiment qu'une diligence libre passe devant nous.

C'est alors qu'on patientait que je les vis pour la première fois. Ces chevaux squelettiques aux yeux vides et à la peau décharnée qui tiraient les calèches de l'école. Je n'en avais jamais vu de semblables auparavant et leur apparence me perturba tant que je restai à la traîne lorsque mes amis jetèrent leur dévolu sur l'une des diligences.

— Qu'est-ce que tu fabriques, Alicia ? me demanda Becca en voyant que je ne lâchai pas les curieux chevaux des yeux.

— Ils sont fascinants, vous ne trouvez pas ? lui répondis-je en désignant le coursier qui tirait notre calèche.

— Mais de quoi tu parles, Alicia ? s'éberlua Charlie, en regardant partout sauf là où il fallait.

Becca et Theo étaient dans le même cas que lui. Tous les trois cherchaient l'objet de mon étonnement sans parvenir à le trouver, leurs yeux ne rencontrant rien d'inhabituel dans le décor qui nous entourait. Seule Angel paraissait regarder au bon endroit, mais ses yeux étaient si voilés que c'est hésitante que je lui demandai :

— Tu les vois, non ?

— Je vois quoi ? répliqua-t-elle, mais trop vite pour que sa question ne sonne pas comme un aveu.

Les sourcils froncés, je reportai mon attention sur le cheval qui, patient, attendait qu'on grimpe à bord pour se mettre à avancer. Renonçant à comprendre ce qui venait de se produire, je finis par escalader les deux marches qui permettaient d'accéder à l'habitacle, bien vite imitée par mes quatre amis. Pendant tout le trajet jusqu'à Poudlard, seuls Becca, Charlie et Theo discutèrent, Angel évitant soigneusement mon regard et moi la contemplant du coin de l'œil sans parvenir à déchiffrer les expressions qui passaient sur son visage.

Lorsque la calèche s'immobilisa devant les portes du château, ils descendirent tous les quatre et se dépêchèrent de pénétrer dans le Hall, une pluie fine ayant commencé à tomber entre-temps. Curieuse malgré moi, je m'attardai une nouvelle fois devant la pâle réplique de cheval que j'avais sous les yeux et le détaillai avec attention. Des milliers d'interrogations tournaient dans ma tête. Qui étaient-ils ? Pourquoi Angel et moi semblions être les seules à les voir ? Et qu'est-ce qui ne tournait pas rond chez mon amie pour qu'elle me fasse passer pour une folle au lieu de me soutenir ?

J'en étais à me demander si je n'étais tout simplement pas en train de rêver, ce qui aurait expliqué l'absurdité des événements, lorsqu'une voix tranquille résonna dans mon dos.

— Je suis désolé que tu les voies, déclara-t-elle, interrompant le fil de mes pensées.

Surprise, je me retournai vivement pour découvrir Regulus Black, planté à quelques pas de moi. Les lèvres figées en une mimique énigmatique, il fixait lui aussi la créature qui nous faisait face. Mais je n'eus même pas le temps d'ouvrir la bouche pour poser les questions qui me brûlaient la langue que, déjà, il faisait demi-tour et s'engouffrait dans le Hall.

Perdue, je finis par suivre son exemple et rejoindre la Grande Salle qui vibrait de cet enthousiasme propre aux jours de rentrée. Les premières années entrèrent pile au moment où je me laissais tomber à la table des Gryffondor et je repérai Arthur qui, seul dans son coin, jaugeait l'estrade sur laquelle il n'allait pas tarder à être réparti. Mais, contrairement aux autres années, il fallut attendre encore une dizaine de minutes avant que la Répartition ne commence, le Choixpeau se faisant désirer.

— Ils ne peuvent pas se dépêcher ? grommela Becca alors qu'on patientait depuis trop longtemps pour son estomac. J'ai super faim !

Merlin l'ayant peut-être entendue, elle venait à peine de finir sa phrase quand le professeur McGonagall franchit les portes du réfectoire, le Choixpeau sous le bras et une silhouette familière sur les talons. Visiblement hors d'elle, Joyce l'escortait effectivement, mais ce n'est pas vers notre table qu'elle se dirigea, pas plus que vers celle des Poufsouffle ou des Serdaigle. Non, son uniforme tout neuf arborant des tons verts et argent, c'est sous mes yeux étonnés et ceux ahuris de James qu'elle rejoignit la table des Serpentard et s'assit avec mauvaise humeur non loin de la bande d'amis de Jake.

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