Chapitre 31 : Elladora Simpson

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AOÛT 1975

Indéniablement, le fait que je m'introduise dans les pensées les plus secrètes de Marly changea quelque chose dans la famille. J'étais tout bonnement incapable de savoir quoi exactement, mais les regards appuyés que je lançais à ma jumelle et la culpabilité sans cesse accrue que je ressentais dès que je croisais les yeux d'Arthur m'empêchaient de faire comme si de rien n'était. Aucune parole ne fut échangée mais, au fond de nous, un sentiment nouveau était né. Une sorte de clémence dont la meilleure expression est, à mes yeux, ce jour d'août que je m'apprête à vous raconter.

Je ne sais plus vraiment si c'était le 28, le 29, le 30 ou le 31, mais en tout cas c'était juste après l'anniversaire de Joyce, le 27, et juste avant la rentrée. Ma mère venait de recevoir un courrier de Sainte Mangouste l'informant d'une livraison de plantes en provenance d'Amazonie et avait besoin d'algues pour pratiquer une formule permettant de créer de l'engrais en un temps record. En se basant sur un jugement très arbitraire ayant pour critère unique les notes que nous avions obtenues à nos examens, c'est Jake et moi qui écopâmes de la corvée et nous rendîmes sur la plage pour collecter les amas à la forte odeur de marée.

Jake n'arrêtait pas de se plaindre de l'injustice dont il était victime et il mit un temps fou à consentir à mettre la main à la pâte quand, frigorifiée par les vents de l'automne à venir soufflant sur la plage de Tinworth, j'avais déjà amassé une belle quantité d'algues.

— Ça pue vraiment en plus, grogna-t-il lorsqu'il ramassa sa première pour la jeter dans la brouette.

— Pauvre biquet, me moquai-je.

Il me lança un regard noir et en ramassa une nouvelle qu'il me balança dessus.

— Eh ! protestai-je, indignée.

Seul son rire me répondit.

— Tu l'auras voulu ! m'exclamai-je en en attrapant une à mon tour.

Jake esquiva comme il put mais je réitérai mon tir et il n'en fallut pas plus pour que la guerre soit déclarée. Sautant et riant tout en évitant les projectiles, j'eus l'impression, l'espace d'un instant, que l'on était revenus au temps de nos batailles de petits suisses dans la cuisine de la Scierie. Ce n'était qu'une illusion, aussi fragile que fugace, mais cela me mit du baume au cœur pour plusieurs heures.

— J'en peux plus, on arrête ? proposa mon aîné lorsque, à bout de souffle, on eut fait disparaître de la brouette plus de la moitié des algues que nous avions amassées.

Acquiesçant, je me baissais pour recommencer à récupérer les algues quand je sentis l'une d'elles me frôler la joue avant de poursuivre sa course loin derrière moi.

— Eh ! On avait dit qu'on arrêtait espèce de... de Serpentard !

J'étais prête à continuer ma litanie de reproches lorsque je me rendis compte que Jake n'écoutait pas un mot de mes vociférations et qu'il fixait avec gêne un point dans mon dos. Me demandant si c'était encore l'une de ses machinations, je me retournai prudemment, m'attendant à être ensevelie d'algues la secondes d'après, le tout pour découvrir la silhouette d'une jeune fille aux longs cheveux bruns qui, à quelques mètres de nous, agitait une algue sous son nez comme si ce simple geste allait lui expliquer la situation. Elle était trop loin pour que j'arrive à distinguer si elle était en colère ou simplement amusée mais, l'algue toujours coincée dans sa main, je vis qu'elle se dirigeait vers nous.

— T'es vraiment pas doué, Jake.

Alors que la jeune fille continuait d'avancer, nous permettant de mieux distinguer ses traits, Jake sembla prendre conscience d'un détail et déglutit difficilement.

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