Chapitre 7 : L'Éventrée

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NOVEMBRE 1976

Cette phrase me perdit complètement. L'Éventrée ? Oui, je la connaissais, je lui avais même déjà adressé la parole. Mais en quoi quelque chose la concernant pouvait avoir mis Joyce dans un tel état de fureur ? Et, surtout, en quoi cette chose pouvait-elle concerner Ganymede et avoir mené mon amie à lui faire connaître l'existence de ce cachot à la fonction chère à son cœur ? J'avoue que, en écrivant ces lignes, je me moque un peu des questions qui avaient traversé mon esprit à l'époque. C'était évident. Tout avait toujours été évident. Mais mon cerveau devait chercher à me préserver en me refusant les constats les plus simples.

La perplexité comme unique émotion, je dévisageai donc les deux cousins. Tout, depuis la colère sans égale de Joyce jusqu'au malaise évident de Ganymede, indiquait que quelque chose de capital s'était passé avant que je n'arrive, peut-être même alors que je me promenais toujours dans les rues de Pré-au-Lard en bavassant avec Nathan.

Face à l'aveu dont mon absence de réponse témoignait, la rage de Joyce redoubla.

— J'y crois pas ! vociféra-t-elle. Et tu ne pouvais pas m'en parler plus tôt ? C'est vraiment...

— Arrête, Joyce, la coupa Lestrange. Tu penses réellement qu'elle était au courant de quoi-que-ce-soit ?

Elle le foudroya du regard, préférant visiblement lorsqu'il gardait pour lui ses commentaires.

— Eh bien si ce n'est pas le cas, elle a des choses à apprendre, n'est-ce pas ?

Elle se tourna alors vers moi et ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit. Plus rapide qu'elle, Ganymede avait dégainé sa baguette et jeté un Silencio.

— Elle n'a pas envie de savoir ça, déclara-t-il sombrement à une Joyce aux joues rendues rouges par la frustration.

Qu'est-ce que t'en sais ? aurais-je pu rétorquer, mais je restai muette comme une carpe tant je me sentais étrangère à la scène.

— Tu n'en sais pas suffisamment pour pouvoir juger si la mettre au courant et une bonne chose, poursuivit Lestrange avec un regard sévère. Alors, pour une fois dans ta putain de vie, fais-moi confiance et boucle-la !

L'emploi d'une telle vulgarité par son cousin aurait très certainement coupé le sifflet à Joyce si les effets du sort ne la rendaient pas déjà muette.

— Je ne crois pas qu'il appartient à l'un de vous deux de juger ce que j'ai envie de savoir ou non, lâchai-je enfin, vexée d'être tenue dans l'ignorance. Mais bon, je vois que c'est loin de vous importer et vous semblez avoir beaucoup de choses à vous raconter alors je ne vais pas vous déranger plus longtemps et aller faire un tour.

— Non ! s'écria Lestrange, mais il était trop tard : déjà je franchissais le pas de la porte et m'éloignais dans le couloir.

Je ne compris la raison de son cri du cœur que quelques minutes plus tard, alors que je prenais le frais sur la terrasse d'une des tours du château – j'ai oublié laquelle depuis. Le regard perdu sur la drôle de mer que formait la cime des arbres de la Forêt Interdite, je rêvais d'une autre vie, dans un pays très lointain, lorsqu'une voix douce m'interrompit dans ma contemplation :

— Belle nuit, n'est-ce pas ?

À mes côtés, silencieuse comme la nuit, se tenait l'Éventrée ; aussi belle et distinguée que dans mon souvenir avec ses cheveux d'ébène et ses traits fins d'aristocrate. Accoudée comme moi à la balustrade, elle me dévisageait avec un petit sourire, si bien que je me demandai à nouveau comment un fantôme aussi calme pouvait avoir autant chamboulé Joyce par les secrets qu'elle cachait.

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