Chapitre 35 : Songes et mensonges

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JANVIER 1980

M'éveiller ce matin-là, ce fut comme sortir d'une brume qui, épaisse, m'avait enveloppée des années durant.

Je me sentais dupée. Sans jamais me convaincre d'avoir le dessus parce que, contre la Communauté, toute compétition m'était proscrite, je m'étais toujours dit que j'en savais assez pour pouvoir prétendre connaître ma famille et la protéger. En réalité, je ne savais rien. Je me fourvoyais juste. À chaque nouvelle découverte, j'étais si atterrée par l'ampleur de la vérité que je me persuadais que toute l'eau du puits avait été tirée, qu'aucune source ne pouvait encore jaillir et m'inonder de connaissances qui m'embarrassaient.

Je ne savais que faire de ce que mon grand-père m'avait appris, allant presque jusqu'à lui en vouloir d'avoir cédé à mes caprices inconscients et montré dans quel terreau diabolique la vie de Joyce était enracinée. La savoir de l'autre côté de l'Atlantique, trop loin pour me sentir obligée de lui révéler quoi que ce soit, n'était qu'une maigre consolation face à la vision des deux fioles entre les doigts fins de Giovanni et du regard horrifié de John.

Ou pouvais-je réellement les appeler ainsi ? N'étaient-ils pas juste deux inconnus que j'avais eu le culot de prétendre connaître quand j'ignorais tout à leur propos ?

Giovanni Cacciavani était une enflure qui n'avait pas eu le moindre scrupule à faire de sa fille l'instrument de sa vengeance. Quant à John... John ne m'avait jamais menti. Il s'était contenté d'éviter les flaques qui m'auraient éclaboussée de secrets que je n'étais pas capable de supporter jusqu'à ce que je lui donne l'ordre de sauter à pieds joints à l'intérieur. Mais je ne savais rien de sa vie et cela me rendait folle.

Encore que. Si cela s'était arrêté à eux, j'aurais sans doute pu m'en remettre bien plus facilement. Mais voilà-t-il pas que, trop préoccupée par mon héritage paternel, entre les pouvoirs des Azer et l'or des Villevannes, j'avais complètement oublié ce qu'avaient pu laisser derrière eux les parents de ma mère ! Je les savais morts et enterrés depuis leur courageux refus de rejoindre les rangs de Grindelwald, j'avais compris grâce au visage éclairé de Slughorn lors de ma première soirée parmi son club qu'ils étaient reconnus parmi les potionnistes, mais jamais je ne m'étais doutée de l'existence de la fille noire de François Dopric, de son lien avec cette potion dont il n'avait pas voulue et qu'on lui avait volée. L'avait-il même compris ? S'était-il rendu compte que la potion miracle que Macon se vantait d'avoir créée était la sienne, celle-là même dont il avait anticipé les pouvoirs destructeurs et s'était débarrassé ?

Je n'ai jamais eu la réponse à ces questions. François Dopric était et est resté un inconnu dont seule la dalle funéraire m'est familière. Mais, à chaque fois que j'entends parler de l'Amortentia, je pense à lui et à la bonté franche qui l'avait fait renoncer à la fortune pour privilégier ses convictions.

J'étais étouffée par tout ce que j'avais déjà appris, apeurée par tout ce qu'il me restait à apprendre. Et j'étais surtout perdue, incapable de savoir ce que le bon sens me dictait de faire. Devais-je prévenir Joyce ? J'en doutais. Ses parents étaient les seuls Martins en qui elle n'avait jamais perdu foi. Ils n'avaient rien fait de mal, mais briser leur couple atypique, c'était briser un repère, le dernier peut-être, de Joyce. Et puis je voyais difficilement en quoi l'ignorer pouvait lui porter préjudice. Monica Cacciavani elle-même n'en avait jamais rien su ! La potion avait dupé tout le monde, Giovanni avait dupé tout le monde.

Dans l'ombre, coiffé de l'auréole des victimes, il avait fait imploser la Communauté et il n'en demeurait aujourd'hui plus que des braises vaguement rougeoyantes que les Lestrange et Joyce prenaient à cœur de piétiner.

Aujourd'hui, je sais que le triomphe de sa victoire est à relativiser. Il y avait des ennemis qu'il n'avait pas envisagés, mais, moi non plus, à l'époque, je ne les envisageais pas, loin de sentir les yeux qui, d'horriblement près, veillaient sur nous comme un berger sur son troupeau. Loin de me douter que l'Amortentia était d'une ridicule faiblesse à côté de l'ironie du sort

Life Always RestartsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant