Chapitre 37 : Les héritiers

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22 AVRIL 1980

La suite est floue dans mon esprit. Quand, parfois, le soir, je repense au moment qui sépara le départ des Mangemorts de l'arrivée des Aurors et des membres de la Brigade de police magique, j'ai l'impression que le cimetière était plongé dans le silence. Mais je sais que ce n'est pas vrai. Que, contre moi, il y avait Ézéchiel qui pleurait et qui se débattait pour rejoindre le corps sans vie de sa mère en hurlant « Maman ! ». Que, entre les cadavres de Mrs Martins et de Ganymede, il y avait Joyce qui passait et repassait ses doigts dans le tas de poussière qu'était devenu son père de substitution en sanglotant si vivement que j'avais presque l'impression qu'elle allait s'étouffer. Que, deux mètres plus loin, il y avait Ariane Lestrange, toujours au sol mais le dos désormais droit, la tête haute, le regard dans le vide et le prénom de son fils disparu aux lèvres. Que, derrière moi, miraculeusement revenu du fond du cimetière, il y avait Jake qui nous ceinturait, Ézéchiel et moi, en chuchotant que tout allait bien se passer, que c'était bientôt terminé. Que, dans ma tête, il y avait cette voix qui brûlait de répondre que tout était déjà terminé.

Je sais tout ça. Je sais que le cimetière était tout sauf silencieux, que, au contraire, il était devenu l'auditorium du concert glauque à en crever que donnaient nos désespoirs respectifs. Pourtant, je n'entends rien quand j'y repense. Je vois juste. Et je sens, parfois. Les larmes qui coulaient sur mes joues, celles d'Ézéchiel qui mouillaient ma poitrine, les bras de Jake autour de moi, le froid qui nous faisait tous trembler.

Maugrey, en bon chef du bureau des Aurors, fut le premier à arriver sur les lieux. Son œil magique eut tôt fait d'analyser la situation et, malgré la peine qui l'étouffa sans doute lorsqu'il comprit que c'en était fini de ses collègues, c'est calmement qu'il donna les instructions à ses subordonnés. Seuls Jake et moi furent évacués d'emblée. On nous avertit que Joyce et Mrs Lestrange allaient être conduites au Ministère, on nous confia Ézéchiel jusqu'à ce que Joyce soit à même de le prendre en charge, puis deux Aurors nous escortèrent en Magicobus jusqu'à Tinworth, le village étant toujours placé hors des zones de transplanage.

La soirée fut amère. Marly essayait de calmer les sanglots d'Ézéchiel qui réclamait toujours ses parents, mon père pleurait ses amis devant la cheminée éteinte, Elladora avait pris Jake dans ses bras et moi je les regardais tous, seule, frigorifiée, assise sur le canapé.

Dès le lendemain, l'attaque était partout dans les journaux. La presse s'indignait de l'endroit dans lequel elle avait eu lieu, pleurait la perte de deux Aurors, hésitait sur le sens à donner au geste de Ganymede, s'interrogeait sur le serment passé entre Ariane Lestrange et Edwin Martins. Jake et moi n'étions pas cités par tous les articles, mais le Ministère, loin d'oublier notre présence au cimetière, se chargea de faire en sorte qu'on se souvienne de nous dans les annales en nous sommant à un interrogatoire de rigueur.

Nous nous y rendîmes escortés par John Dawlish, jeune Auror tout juste recruté par Maugrey, dont les cernes violets témoignaient de la nuit difficile dont l'attaque avait été à l'origine. L'urgence de la situation me frappa d'autant plus lorsque, alors qu'on patientait dans le couloir, j'entendis deux officiers de police qui travaillaient dans un bureau voisin se demander si les stocks de Veritaserum allaient être suffisants pour interroger toutes les personnes potentiellement reliées à l'attaque.

— Du Veritaserum ? articulai-je à l'attention de Jake. Le Ministère utilise du Veritaserum ?

Il hocha la tête.

— C'est le dernier décret en date, chuchota-t-il. Tout Auror ou officier de police qui le juge utile peut en faire ingérer aux personnes qu'il interroge. Le Ministère n'a pas de temps à perdre avec les mensonges, en ce moment.

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