Il paraît que chaque personne est destinée à une autre. Par on ne sait-ce quel lien, surnaturel ou divin, chaque être de cette terre est sensé trouver cette personne, sa moitié.
Et il en était de même pour Zelo.
Comme tous, il avait rêvé de cette rencontre, il l'avait idéalisée, anticipée pendant de longues années. Il s'était imaginé plusieurs scénarios, du plus simple au plus romantique. Pendant longtemps, candide et bercé par les histoires à l'eau de rose, il s'était imaginé le rencontrer par pur hasard dans la rue, dans la bibliothèque de l'université, à une soirée.
Mais sa rencontre avec son âme sœur avait été encore plus magique, plus exceptionnelle qu'il n'aurait pu l'imaginer.
Comme souvent, il s'était rendu chez le disquaire au bas de sa rue, perdu dans ses songes, une douce musique dans les oreilles, ses doigts survolant de vieilles pochettes de vinyle, des boites en plastique transparente. Une case après l'autre, il cherchait la perle rare, un son qu'il ne possédait pas encore dans sa collection, celle qu'il étiolait depuis que son père lui avait légué sa propre collection, l'initiant aux doux sons des mélodies.
Quand ils s'étaient rencontrés, son âme sœur et lui, il était là depuis plusieurs heures, commençant à perdre espoir de trouver son bonheur jusqu'à ce que son attention se pose sur la pochette éliminée d'un disque d'une autre époque, celui d'un vieux groupe de rock. Ravivé par sa découverte, euphorique, il saisissait la pochette, prêt à se l'approprier quand sa main rencontrait une autre main aux doigts calleux. Surpris, sa main relâchait la pochette avant de venir se coller à son torse, ses yeux se levant pour détailler le corps auquel était rattaché cette main.
L'homme, puisque cette main était masculine, était de taille moyenne, une stature légèrement frêle avec les épaules tombantes. Le jeune homme, légèrement plus âgé que Zelo, avait un visage triangulaire à la mâchoire anguleuse, un nez légèrement cassé, des yeux aux paupières tombantes et de folles mèches bouclées noires sur la tête, cassant presque ses pupilles chocolat. Il portait une chemise blanche large ouverte sur le haut de son torse et la large pièce tatouée sur son poitrail. Les yeux de Zelo s'attardaient longuement sur les traits d'encre noire brisant le blanc de la peau.
- Ça va ? La voix grave ramenait Zelo sur Terre. Précipitamment, il retirait avec hâte ses écouteurs et tentait de faire un sourire d'excuse, mais il était assez gauche, bien moins solaire que le large sourire aux dents blanches du jeune homme. Mec ?
- Pardon...
- Ce n'est rien. Toi aussi tu aimes ce groupe ?
- O-Oui...
- Il semblerait qu'il n'y a qu'un exemplaire.
- O-Oui... Prends le.
Le jeune homme ramassait la pochette qu'ils avaient abandonnées, la détaillant doucement, sa langue appuyée contre l'intérieur de sa bouche formant une bosse qui fascinait étonnement le plus jeune.
- J'ai une idée. Je te le cède à une condition !
- Une condition ? La voix de Zelo n'était pas assurée. Laquelle ?
- Que tu me donnes ton numéro.
- Mon numéro ? Pourquoi ?
- Pour que je puisse venir l'écouter chez toi quand j'en ai envie !
Le jeune homme avait toujours ce grand sourire qu'on pouvait qualifier de niais au visage, ses dents si blanches aveuglaient presque le jeune homme qui ne pouvait détourner le regard, son cœur battant la chamade contre sa poitrine. Zelo avait les mains tendues, serrées autour des lanières de son sac tandis que son ainé avait le bras tendu dans sa direction, le vinyle en cause dans sa direction. S'accordant un moment de réflexion, les yeux posées sur la couverture colorée de ce trésor, ce vinyle qu'il cherchait depuis des mois parmi les bacs du disquaire, il réfléchissait à l'offre. D'un côté il était tenté, le jeune homme ne semblait pas dangereux, même plutôt avenant. Mais de l'autre, son instinct de peureux, de solitaire le mettait en garde contre cet homme tatoué, bien trop amical pour une première rencontre.
