Être poli coûte peu et achète tout #5

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Chapitre 408 des Chroniques de Livaï

Chapitre 408 des Chroniques de Livaï

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Nous devons prendre congé. Je m'incline devant Zackley - imité par Livaï - et m'excuse encore de l'incident qui s'est produit tout à l'heure. Il affirme que ce n'est pas grave et espère quand même que nous avons passé une bonne soirée. Je réponds pour nous deux qu'elle a été parfaite. Je note que le généralissime s'est bien gardé d'intervenir afin de calmer la situation, et je me demande si ce qui s'est passé n'a pas arrangé certaines de ses affaires... ou s'il n'y a pas pris goût, tout simplement.

La danse des véhicules commence sur le trottoir devant la résidence, car nous ne sommes pas les seuls à partir. Il n'est qu'à peine dix heures du soir et la réception est loin d'être finie, mais Livaï et moi avons de la route à faire jusqu'à Ehrmich. Nile aurait pu nous emboiter le pas mais il a loué une chambre d'hôtel à Mitras, il a donc tout le temps devant lui. J'aurais pensé qu'il serait rentré au plus vite chez lui, mais apparemment, il compte jouer aux cartes et au billard une bonne partie de la nuit.

Livaï semble à peine plus détendu quand nous montons dans la diligence. A la lueur des lampes à huile suspendues aux flancs du véhicule, la ligne de sa bouche paraît tout de même moins dure. Je ne sais pas s'il me décrochera un seul mot pendant le voyage, et j'ignore si je dois entamer la conversation à sa place. Nous verrons bien en temps utile. Une fois que nous sommes installés, le cocher stimule ses chevaux et la voiture démarre. Nous en avons pour environ deux heures de voyage avant d'atteindre la ville.

Le contrôle à la porte sud de Mitras est une formalité et nous voici enfin en route pour Ehrmich, sur les routes de campagne bien entretenues du Mur Rose. Des bornes blanches indiquent à intervalles réguliers que nous sommes toujours sur la bonne voie, et la diligence avance à bonne allure. Ce monde est devenu si petit... Tout me semble étroit, si proche à présent... Et pourtant la vérité que je recherche me semble plus inatteignable que jamais. Seule la présence rassurante des reçus que je garde dans ma poche me redonne de l'espoir. Avec cela, nous avons toutes les chances de monter une expédition efficace avant l'hiver.

Livaï reste silencieux, assis sur la banquette d'en face, à l'opposé de moi. Lui aussi garde la tête tournée vers sa fenêtre et contemple le paysage nocturne. Mais je reste fixé sur son reflet, à l'affût du moindre indice de ce qu'il pense. Il fait peut-être la même chose de son côté. J'ai envie qu'il me parle, qu'il sorte quelque chose, n'importe quoi, même une plaisanterie douteuse. J'aimerais lui dire de vive voix que je suis fier de lui et de la façon dont il a mené son combat contre le prince Gisbert. Mais je ne sais pas si ce serait bien accueilli. Il m'arrive encore de ne pas savoir comment le prendre, et je ne peux pas être sûr que sa colère est réellement apaisée.

Comme s'il sentait ma gêne, il brise le silence. La tête toujours tournée de l'autre côté, le coude appuyé sur le bord de la fenêtre et le menton dans la paume, il me demande combien nous avons amassé. Je m'empare de la liasse de feuillets rectangulaires dans ma poche, et me mets à compter. Mmh, une somme assez importante. Et nous avons aussi eu d'autres promesses de dons. Notre prochaine sortie sera bien financée, et il nous en restera pour l'année prochaine.

Livaï me regarde enfin et, sous ses sourcils las, je sens sa fatigue nerveuse. Je sais que je ne pourrais sans doute plus lui imposer cette corvée. Tout dans sa physionomie le laisse penser. Mais il faut que je lui dise. Alors je me lance. Livaï, je suis fier de ce que tu as fait ce soir. C'était un gros sacrifice pour toi de te prêter à ce jeu, et je sais que tu ne t'es sans doute pas beaucoup amusé. Je le regrette... mais notre mission est un succès. Tu as ramené plus d'argent que moi, il me semble ! En partant, j'ai entendu beaucoup de bien à ton sujet de la part des invités. Si cela peut te rassurer... tous n'étaient pas convaincus par ce que le prince Gisbert a dit. Quant aux autres... ta répartie élégante les a impressionnés et a éclipsé leurs doutes. Dame Tabea a même fini par te trouver sympathique !

Il me répond qu'il s'en moque, que ces gens peuvent bien penser ce qu'ils veulent de lui, ils ne sont pas importants. Il ne les reverra jamais. J'ignore si ça ne le touche vraiment pas ou s'il joue aux durs devant moi. Je sais qu'il est dur, oui ; mais pas autant qu'on peut le penser. Et il y a fort à parier que le prince Gisbert n'en restera pas là. Livaï n'a rien à se reprocher à ce sujet, ce sera à moi de gérer les problèmes s'ils se présentent.

Il se tourne enfin vers moi et je sens sa faiblesse, autant physique que mentale. Quelque chose me dit qu'il va dormir cette nuit. Il se déplie lentement, puis se laisse tomber sur le siège à côté de moi. J'en déduis qu'il ne m'en veut plus. Je ne me sens pas réellement coupable de ce qui est arrivé, mais je sens que je dois y avoir une part, d'une façon ou d'une autre.

Il dit d'une petite voix fatiguée qu'il s'excuse d'avoir crié sur moi ; qu'il ne pensait pas ce qu'il disait. Ce n'est pas grave. J'étais la seule personne sur laquelle tu pouvais tempêter sans créer un incident diplomatique ! Une fois ta colère passée, tu as pu revenir et te montrer plus fort. Je voulais que tu te défendes toi-même, que tu ne les laisses pas dire ou penser de telles horreurs sur toi. C'était très bien joué. Je suis prêt à supporter tes foudres si cela nous mène à de tels résultats. Et puis, ce n'est pas comme si c'était la première fois que tu criais sur moi, haha !

Il cogne doucement mon bras avec son poing et je comprends alors que tout est redevenu comme avant. Cela me fait du bien. Nous allons pouvoir reprendre notre vie et revenir vers nos camarades, vers ce monde dangereux mais que nous connaissons et apprécions, laisser cet autre monde hostile aux codes compliqués derrière nous. Pour un temps. Car je sais que si je ne peux plus demander à Livaï un tel effort, je devrais un jour ou l'autre recommencer le processus, afin que les expéditions puissent continuer. Encore et encore, jusqu'à ce que le Mur Maria soit repris et que la vérité éclate.

Livaï s'assoupit un moment et sa tête s'incline mollement sur mon bras. Les cahots de la route ne semblent pas le déranger, et le roulis commence aussi à me bercer. Il n'y a aucune lumière dehors, le monde entier paraît plongé dans une obscurité profonde, et pourtant je me sens tout à fait bien.

Le souffle paisible de Livaï est la dernière chose que je perçois avant de sombrer à mon tour dans le sommeil...

Les Chroniques de Livaï ~ EruRi Only [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant