Les Chroniques de Livaï ~ EruRi Only [+13]

Un choix sans regret #4

Chapitre 368 des Chroniques de Livaï

Nous revenons de notre troisième session d'exercices depuis la chute du Mur. On nous a alloué un peu de terrain près des brigades d'entraînement ; les gamins étaient très étonnés de nous voir débarquer et ils ont passé leur temps à nous mater. Les instructeurs étaient furax. Mais on a pu voler un peu dans la forêt entre les titans de bois et reprendre nos habitudes. Enfin, ce sera jamais comme avant...

Tandis que je mène ma monture aux écuries de Trost, je remarque qu'Erwin ne nous a pas encore réorganisés. Il veut attendre le prochain recrutement, j'imagine. Les cadets de cette année seront à peine formés à cause de tout ça, il faudra les prendre en charge. La bigleuse est ravie et pense déjà à faire de nouveaux adeptes. Moi, j'attends de voir venir.

La chaleur du foin et de la paille me saisit quand j'entre dans le bâtiment. L'odeur des animaux est agréable et je laisse ma jument aller directement à son box. Elle entre, et se retourne vers moi, avide des soins que je vais lui donner. Je lui enlève son harnachement, attrape une brosse et commence à labourer doucement ses flancs. Je la grattouille là où je sais qu'elle aime ça. Elle s'ébroue et s'appuie sur moi afin de se reposer un peu. Eh, soutiens-toi un peu ma vieille, moi aussi je suis fatigué.

J'ai beau me plaindre, Erwin doit être encore plus fatigué. Il a eu tellement de choses à faire depuis sa nomination que c'est à peine si on le voit en journée. Je me débrouille toujours pour grimper jusqu'à son bureau pour lui demander s'il compte dîner, mais la dernière fois, il disparaissait presque derrière des piles de papiers. Je doute vraiment qu'il apprécie ça ; et il va se détruire les doigts à force d'écrire...

Je lui donne une carotte et un peu de grain, et m'éclipse pendant qu'elle savoure. Sur le chemin, je croise Mike qui me demande si je veux aller manger en ville. Pourquoi, la compagnie des autres t'emmerde ? Il me répond que ce n'est pas ça, mais les repas des militaires sont de plus en plus rationnés à cause de la perte de notre territoire et qu'on risque de se payer une soupe tiédasse ce soir. Et alors, la soupe c'est bon pour les géants comme toi, non ? Il renifle et rétorque qu'il a besoin de se mettre quelque chose de solide dans le ventre.

Pourquoi moi ? Nanaba et Gelgar sont pas disponibles ? Tu es souvent avec eux ces temps-ci. Justement, qu'il répond, il veut passer du temps avec moi et il veut me parler en plus. T'avais qu'à le dire tout de suite. Je te suis. Tu connais un endroit sympa ?

Il m'entraîne dans les rues de Trost, dont les réverbères ne vont pas tarder à être allumés. Il sait où il va et nous entrons dans un troquet qui paie pas de mine mais qui a l'avantage de comporter des tables à l'arrière, à l'abri des oreilles et regards indiscrets. Mike nous en trouve une, et nous commandons les premiers plats appétissants qui figurent à la carte. C'est clair que ça nous change de notre ordinaire...

Mike entame tout de suite la conversation et me demande comment j'envisage l'avenir du bataillon. Tout en sirotant un thé, je lui réponds que les nouvelles recrues vont nous apporter du changement, et c'est pas plus mal car on commence à se faire chier. Quant aux expéditions, il faudra d'abord renflouer nos caisses. Erwin n'en a même pas dit un seul mot, c'est pas sa priorité. Et de ton côté, tu as du nouveau ? Un autre QG, un autre terrain d'entraînement ?

Mike est plus préoccupé par la fameuse restructuration du régiment. Ouais, je me demande ce qu'il va faire. On est trop peu encore, et je doute que nos rangs soient pleins après le recrutement. Il va falloir économiser les vies si on veut aboutir à quelque chose. Mike sourit en voyant arriver nos plats et répond qu'avec moi, le grand héros du Royaume, ça devrait rouler. Arrête, ok, j'y suis pour rien dans tout ça. Ce sont juste des civils qui en ont fait des caisses. Il arrache une aile de son poulet ruisselant de sauce - il va vraiment le manger à lui tout seul ? - et rétorque que ma réputation n'est pas usurpée et qu'il est bien placé pour le savoir.

Le ragoût que j'ai commandé sent très bon, et cette odeur m'en rappelle une autre, celle d'un autre ragoût, surgi des tréfonds de mes souvenirs de truand... A vrai dire, j'ai jamais réussi à finir des plats trop consistants ; le ragoût, c'est ce que je peux faire de mieux. Je reste un moment fixé sur mon assiette sans y toucher et Mike me demande ce qui ne va pas. Rien, laisse moi penser. Je lis l'avenir dans le ragoût ? qu'il dit. Très drôle. Dis-moi sincèrement : tu penses que Erwin va s'en tirer ?

Il manque presque de s'étouffer en avalant et réplique que bien évidemment, il va s'en sortir. Personne ne s'en sortirait mieux que lui et il n'en a jamais douté. Pourquoi j'en ai douté alors, moi ? Cela me tracasse... Il ne sera plus autant avec nous, il aura des tas de choses hyper chiantes à faire tous les jours... Il tend son pilon vers moi et répond que je m'en fais trop pour lui. Sans doute... mais souviens-toi de Shadis, c'était un dur aussi.

Erwin n'est pas seulement dur ; il est coriace. A tel point que même les titans pourraient pas le bouffer sans se casser les dents. Cette répartie me fait sourire malgré moi et je commence à manger, l'esprit un peu plus clair. Il va avoir un lourd fardeau à assumer ; on doit l'aider à le porter.

Ici, face à Mike si confiant, assis sur cette chaise dans cet établissement qui fournit au moins de la bonne bouffe, devant mon ragoût aussi délicieux que son odeur le laissait penser, je n'ai plus de doute. J'ai choisi celui en qui placer ma foi. C'est parfois dur de savoir ce que Erwin a dans la tête ; mais je crois en son jugement. Il est capable de changer les choses. C'est pourquoi j'ai choisi de le suivre. Et de me battre.

Jamais je ne regretterai ce choix. Même si ça me conduit en enfer.