La joie ne dure qu'un printemps #2

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Chapitre 328 des Chroniques de Livaï

Je claudique le long du couloir et m'arrête un moment sur une marche

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Je claudique le long du couloir et m'arrête un moment sur une marche. Je tâte ma jambe blessée, toujours sensible, dont on a retiré l'attelle il y a deux jours. Finalement, ce n'était pas si grave et je me suis vite remis. Je n'ai pas le droit de me plaindre avec toutes les pertes dramatique que nous avons subies.

Je reviens de mon entretien avec Keith. Lorsque ce soldat est venu m'informer que le major voulait me voir, j'avoue avoir été saisi d'une peur inhabituelle. Je ne pouvais m'empêcher de penser aux journaux, aux rumeurs de dissolution du régiment qui couraient, au mécontentement de certains de nos camarades suite à la dernière sortie désastreuse... Le moral actuel n'est pas au beau fixe, et je craignais une annonce officielle ; je me disais que ça y était, que le bataillon allait disparaître... et avec lui tous mes espoirs de trouver enfin la vérité sur le monde...

Quand je suis entré, Keith était plongé dans ses pensées, assis à son grand bureau, les doigts croisés sous son menton, les coudes sur la table. Il avait l'air tellement soucieux que je me suis mis à préparer mentalement un discours sur la nécessité de ne pas nous laisser faire, de nous battre afin que le sacrifice des soldats n'ait pas été vain... C'était très artificiel, je dois dire, et ne reflétait pas vraiment ce que je ressentais.

Il a levé les yeux sur moi et j'ai revu pendant une seconde ce regard hanté, fixe et vide qu'il avait au moment où j'essayais de lui faire faire demi-tour. C'était le regard d'un homme qui n'attend plus grand chose de l'avenir, qui vit sur ses réserves de forces... ou qui attend une mort méritée qui lui apporterait le repos. Cela m'a attristé.

Il a vite repris contenance et s'est mis à arpenter la pièce en me parlant de choses tout à fait banales, comme si rien ne s'était passé. Il m'a demandé de lui faire un rapport sur le moral des troupes, sur le reste du matériel fourni par Maja, ainsi que de l'état des montures... Je suis resté sans voix : tout ceci présageait une nouvelle expédition. Quand enfin je me suis risqué à lui poser la question, il a été affirmatif, et réaliste ; le bataillon n'en a peut-être plus pour longtemps. Il prévoit une sortie en terrain connu, jusqu'à la mine, afin de ramener du minerai en quantité pour relancer l'intérêt des donateurs pour les expéditions. Il voulait au plus vite faire oublier cette tragédie... mais ça risquait de ne pas être suffisant. Je le lui ai dit, et il eu un rire ennuyé. Tant que le bataillon existait, il fallait en faire le maximum.

Cependant, tout ce qui peut être fait pour relancer la côte du bataillon doit être tenté, j'ai donc signifié que je m'acquitterai de cette tache. Je m'apprêtais à sortir quand il a balancé sous mon nez un document. J'ai pris le parchemin et commencé à lire. Pendant ce temps, Keith me donnait des précisions. Cette année, les organisateurs des virées champêtres à la Forêt des Arbres Géants voudraient un peu de divertissement, et ils ont pensé que les explorateurs feraient sensation. Leurs riches clients n'ont pour la plupart jamais vu de démonstrations de vol et cela les changera. Hm, je vois. C'est donc de cette façon qu'il compte redorer notre blason ? Il ajoute avec un coup d'oeil appuyé que soit j'accepte cette mission facile, soit je passe une semaine derrière les barreaux pour mon insubordination durant l'expédition. Je ne peux m'empêcher de sourire intérieurement : ah, Keith... c'est de bonne guerre.

Keith m'a fait remarquer que cela peut être une bonne façon d'améliorer notre image auprès du grand public, et de plus nous serons payés pour la prestation. Et bien, s'ils peuvent se montrer si généreux... pourquoi pas ? Il s'est tourné vers moi et m'a demandé si je pouvais prendre la direction des opérations. Quelques vétérans et quelques recrues feront l'affaire. Je n'ai pas osé lui demander pourquoi il ne s'en chargeait pas lui-même... Il n'avait sans doute pas envie de se montrer en public...

Je l'ai assuré que ma jambe allait mieux et que je serais apte d'ici là. Il m'a congédié sans un mot de plus, en se contentant de me tourner le dos.

Me voilà à présent dans la cour, en train de monter à cheval en essayant de ne pas me faire mal. Mon vieux camarade, toi aussi tu as eu ta part de souffrance. Il serait peut-être temps que tu prennes ta retraite bien méritée. En ce qui me concerne, je ne suis pas prêt pour aller m'enterrer ou que ce soit. Je dois trouver mon escouade. A cette heure - le soleil commence à tomber -, ils sont soit au mess, soit devant les baraquements. Je me dirige vers la cantine. Ce n'est pas si loin mais y aller à cheval me soulage. Je déteste boiter...

A l'entrée, je constate qu'il ne reste que peu de monde. J'aperçois Hanji, en compagnie de Moblit, prostrée sur une assiette pleine. Le pauvre garçon essaie de la forcer à manger, mais notre joyeuse Hanji a perdu l'appétit depuis quelques temps. La perte de ses hommes l'a secouée, et je ne me rend compte qu'aujourd'hui à quel point ils comptaient pour elle. Je ne peux que compatir en lui posant la main sur l'épaule ; elle y réagit à peine. Mais je ne peux m'empêcher de lui demander si ça l'intéresserait de faire un tour dans la Forêt des Arbres Géants, pour une petite excursion. Moblit répond à sa place qu'elle sera ravie, que ça lui changera les idées. Je les laisse seuls et me dirige vers les baraquements au petit trot.

Ils sont là, tous les quatre. Je distingue des petits points rouges dans le soir, m'indiquant qu'ils sont en train de fumer. On dirait qu'ils m'attendent... Je descends de cheval en essayant de garder mon aplomb mais ce sont eux qui se dirigent vers moi. Leurs visages inquiets me font comprendre qu'ils savaient où j'étais et ont attendu d'avoir des nouvelles ; ils n'auraient pas pu aller dormir sans savoir. Je tiens à les rassurer au plus vite, aussi je leur sers un des sourires dont j'ai le secret et l'ambiance se détend.

Le major nous a donné une mission spéciale, très facile. Il s'agira de divertir les touristes qui se rendront à la Forêt des Arbres Géants pour la mi-mai. Des festivités de printemps s'y tiennent chaque année et nous feront une démonstration de notre talent. Livaï siffle entre ses dents et se lamente de devoir passer pour un simple monstre de foire. Je réponds que je le comprends, mais nous serons rémunérés et l'image du bataillon sera sans doute meilleure si nous évitons de nous cacher. Greta s'exclame qu'elle adore la forêt au printemps ; Steffen reste silencieux - son moral m'inquiète beaucoup - et Mike m'assure qu'il sera présent. A vrai dire, il faut bien l'avouer, nous avons tous besoin de nous détendre.

Livaï scrute le sol à mes pieds et me demande si ma jambe va bien. Je l'assure qu'elle sera guérie à temps et que je pourrais les accompagner. Voyant sa mine peu confiante, j'ajoute que si j'ai mal, je ne volerai pas. Il semble se satisfaire de cette déclaration et affirme s'en remettre à mon jugement en la matière.

Je suis tellement heureux que vous soyez tous vivants...

Aah, je suis trop fatigué pour retourner à la forteresse ! Dites-moi, les hommes, vous avez toujours un lit pour moi ?

Les Chroniques de Livaï ~ EruRi Only [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant