Les Chroniques de Livaï ~ EruRi Only [+13]

A tout donner, on s'abandonne #1

La dernière expédition est un fiasco total. Un cri étrange a résonné sur les plaines inconnues, perturbant le comportement des titans et mettant les explorateurs en mauvaise posture. Beaucoup de vies ont été prises... Le bataillon, mené par Keith Shadis, revient cruellement diminué à Shiganshina, et tous se demandent si la fin du régiment n'a pas sonné...

Chapitre 338 des Chroniques de Livaï

Les titans sont tous partis. Le puissant cri a retenti encore une fois au moment où nous sortions de la forêt, et a dispersé les monstres. Pris de panique, ils ont parcouru la plaine déserte à grandes enjambées pour se perdre au loin. Je ne saurais dire ce qui m'a fait penser qu'il s'agissait d'un cri. Cela paraissait à la fois trop poignant et trop organique pour que ce ne soit pas le cas.

Nous sommes revenus en arrière chercher les corps encore à peu près intacts. La plupart étaient écrasés contre les arbres ou piétinés, le spectacle était absolument macabre... Nous les avons chargés sur notre chariot restant, et entamé le chemin du retour. Sans réapprovisionnement, nous ne pouvions aller plus loin. Ce fut l'expédition la plus courte de ma carrière.

Le soir tombe à peine quand nous arrivons en vue du Mur Maria. Keith est silencieux, il n'a pas lâché un seul mot, jusqu'au moment où il nous a ordonné de descendre de cheval. Il n'y a aucun titan en vue et tout est anormalement calme. Le chemin vers la porte de devant est dégagé et nous nous y dirigeons à pied, car les blessés sur leurs montures se plaignent de l'allure trop rapide.

Quelle image donnons-nous de là-haut ? Nous n'étions pas attendus avant le lendemain, et nous revenons quelques heures après notre départ, un monceaux de cadavres sur les bras... Keith marche la tête baissée, sans se retourner vers ses hommes survivants. Livaï panse le bras de Greta en marchant, et Hanji bavarde derrière, à propos du mystère qui a précipité ainsi les titans sur nous dans un mouvement général. Je m'interroge moi aussi mais c'est l'accueil qui va nous être réservé qui m'inquiète le plus. Cette expédition était censée nous sortir de nos problèmes ; elle va au contraire sonner le glas de notre régiment, je le sais.

Je n'ose pas les compter... Nous étions une centaine en partant. Il aura suffit de quelques heures pour nous réduire à... Non, je ne peux pas. C'est aussi de ma faute. J'aurais dû empêcher Keith de nous mener dans cette forêt... J'aurais dû savoir que c'était une mauvaise idée... Je ne sais pas comment, mais j'aurais dû le savoir !

Nous approchons des portes. Elles s'ouvrent devant nous, comme d'habitude. Les portes ne posent pas de questions... Mais ce qui se trouve derrière...

Nous émergeons de l'arche de Shiganshina pour nous retrouver face aux visages des habitants de la ville. Ils ne s'attendaient pas à nous revoir si vite. J'entends les rumeurs, celles qui affirment que nous avons trouvé quelque chose d'important qui explique notre retour inopiné ; mais elles s'effacent bien vite quand les morts et les blessés apparaissent à leur tour. Des clameurs enflent, les pleurs commencent, l'incrédulité s'expriment par les poings levés et les insultes qui fusent. C'est notre quotidien. Mais cette fois, c'est différent.

Je croise par hasard le regard d'un enfant dans la foule qui me scrute avec admiration. Il ne semble pas voir la mort que je traîne dans mon sillage... Mais je ne peux soutenir longtemps ses jeunes yeux... Je me sens honteux, si faible... Il ne peut pas nous admirer, il ne peut pas... Pas aujourd'hui, où tant de vies ont été perdues inutilement... Je me détourne et me concentre sur Keith.

Il stoppe la colonne une fois la porte de devant refermée. Les gardes de Shiganshina empêchent la foule de nous atteindre mais une femme arrive à se faufiler jusqu'à nous. Elle demande - non, elle hurle - au major, en pleurs, où est son fils, car elle ne le voit pas. Elle s'écroule devant lui, écrasée par son silence et se met à hurler le nom de son fils avec tant de force que toute la ville doit l'entendre.

Je veux donner de la force au major en lui touchant l'épaule mais ses jambes vacillent. La femme s'accroche à sa cape et Keith ordonne qu'on amène ce qui reste du soldat à sa mère : un simple paquet renfermant ses effets... La mère le serre dans ses bras et ses larmes imbibent le linceul, qui n'est autre que la cape maculée de sang de son enfant...

Keith est au bord d'un gouffre. Je le discerne parfaitement, car je ressens le même vertige. La mère demande encore, entre deux hoquets, si son fils est mort pour la cause de l'humanité ; si sa mort a été utile... J'enfonce mes ongles dans la paume de ma main et le sang se met à suinter sur les rênes que je tiens... Je t'en pris, Keith, dis-lui ce qu'elle veut entendre... Pour le repos de son esprit...

Keith tombe à genoux à côté d'elle. Il lui tient les épaules pour la faire cesser de trembler, mais cela ne marche pas. Il tremble lui aussi, et se met à bredouiller. D'abord des mots convenus sur la bravoure de son fils au combat. Mais quand il veut répondre à la question, le courage lui manque et je sais qu'il va faillir.

Il lui crie que le sacrifice de son fils n'a servi à rien. Que cette expédition a été un fiasco total et qu'il en prend l'entière responsabilité.

Je sens une main glisser près de la mienne, et je note la présence de Livaï à mes côtés. Il fait semblant de se préoccuper du sang qui coule de mon poignet mais je sais qu'il n'en rate pas une miette. Ses yeux sont grands ouverts, ses pupilles rétractées, ses lèvres pincées, ce qui le rend sinistre... C'est comme s'il reflétait mon état d'esprit. Le major du bataillon d'exploration est effondré en pleurs sur le pavé et je sais que cela sonne notre fin.

Keith a totalement perdu la foi et si nous ne réagissons pas, il va nous entraîner avec lui.