Ce que l'Etat nous cache #3

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Chapitre 226 des Chroniques de Livaï

Je suis plongé dans le compte-rendu de la dernière réunion parlementaire

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Je suis plongé dans le compte-rendu de la dernière réunion parlementaire. Comme je m'y attendais, les fonds alloués au bataillon ont été sabrés, même les salaires des soldats... Leur but est clairement de démotiver les cadets. A ce train-là, le bataillon n'aura pas reconstitué ses rangs avant un moment.

Je marche dans les couloirs du bâtiment administratif, concentré, indifférent aux individus que je croise sur ma route. Les salauds... ils prétendent ne pas vouloir payer davantage parce que les expéditions ne sont pas assez nombreuses et ne donnent rien... Mais en diminuant notre budget, ils nous empêchent de partir en expédition ! C'est un cercle vicieux... Aucune généreuse donation ne pourra compenser ça ; pas tout de suite du moins... Il faut redoubler d'effort. La carrière de pierre découverte par Hanji a donné bon espoir à notre mécène qui s'intéresse aux produits miniers. Si nous pouvions y retourner et ramener des échantillons, cela nous ferait avancer...

La seule solution serait de monter une expédition discrète, avec peu d'hommes, les meilleurs, qui accepteraient de risquer leur vie pour une paie de misère. Mon escouade sera sans doute de la partie, mais ce serait trop peu... Quoiqu'il en coûte, nous devons repartir dès que possible. J'utiliserai mes propres fonds s'il le faut... l'héritage de mon père...

J'ouvre la porte de mon bureau et je la sens buter contre quelque chose. Immédiatement une plainte étouffée se fait entendre et je contourne le battant pour me retrouver face à Livaï, en équilibre précaire sur mon fauteuil et apparemment occupé à attraper quelque chose sur la plus haute étagère. Il manque de tomber sur le côté et se met à grogner en sourdine en sautant par terre. Il n'a plus ses bottes... Qu'est-ce que ?...

Il n'attend pas que je lui pose des questions et m'assène d'une traite qu'il était en train de nettoyer la bibliothèque quand je suis entré et que j'ai bien failli le faire voler à travers la pièce. J'avise sa dégaine, l'état des lieux et comprends qu'il dit vrai. Mais son époussette est sur mon bureau... J'y pose mes papiers et lui demande s'il veut de l'aide pour l'étagère. J'ai déjà remarqué que rien ne le met de meilleure humeur que la vision d'un camarade en train de lui donner un coup de main. A condition de bien le faire, évidemment.

Je balaie donc nonchalamment l'étagère du haut - sous son regard admiratif - et remarque qu'un des volumes est à moitié sorti. Je n'ai pas touché à cette série depuis des lustres, j'en déduis donc que c'était le véritable motif de son escalade. Je lui rends son époussette et lui demande sérieusement si ce n'était pas ce qu'il voulait. Il a l'air gêné et ne répond rien, donc je lui tends le livre. Il le prend, et je ne peux m'empêcher d'y aller de mon commentaire.

Greta m'a dit que tu aimais lire. Ne fais pas cette tête, j'ai le droit de trouver étonnant que tu saches lire ! Si tu le voulais, tu n'avais qu'à me le demander au lieu de te livrer à des acrobaties ! C'est dangereux sans dispositif ! Voyons, lequel c'est ? Ah, "le Royaume des Trois Déesses". Moui, c'est un bon début si tu veux savoir comment marche notre monde ; et si la version du gouvernement te suffit, bien sûr. Mais laisse-moi te dire que si c'est la vérité qui t'intéresse, tu ne trouveras rien là-dedans.

Il me regarde sans comprendre et me révèle qu'il a commencé à lire cette série il y a des années, qu'il en avait trouvé les premiers tomes au marché noir ; qu'il ne comprend pas toujours tous les mots qui s'y trouvent mais que ça reste distrayant à lire. Distrayant ? Ce n'est pas vraiment le mot que j'emploierai ! Certains ouvrages sont bien plus intéressants...

Je semble avoir éveillé sa curiosité. Je ne sais pas si... Je ne peux parler de certaines choses avec n'importe qui. Mis à part Mike, personne ne sait que je les possède ; et Nile aussi, même s'il a peut-être oublié... Mais Livaï n'est pas n'importe qui. Il est peut-être trop tôt encore... mais j'ai l'impression de pouvoir lui faire confiance...

Dois-je me lancer et le faire entrer dans le cénacle très fermé auquel appartiennent seulement quelques personnes à l'intérieur des Murs ? Si je me trompe, et qu'il me dénonce aux autorités, je serais le seul fautif... Comme la première fois... Mais Livaï n'a aucune raison de faire ça ; il a même toutes les raisons du monde de détester le gouvernement, avec son passé...

Autant de raisons que moi...

Mais, il y a seulement quelques mois, il était encore mon ennemi juré. Alors pourquoi je me mets en danger ? Oui, pourquoi suis-je prêt à l'encourir ?... Je n'en sais rien...

Je ne suis pas obligé de tout lui dire. Juste le rendre attentif, générer des questionnements... Il est intelligent, je peux le laisser faire les rapprochements lui-même... En fait, je crois tout simplement que je meure d'envie de partager ça avec lui. L'oeil d'une personne ayant vécu toute sa vie sous terre aura une perception peut-être différente, plus affûtée... Il est étrange que ce soit à lui que j'envisage de dévoiler une partie de mes secrets, alors que cette idée ne m'a jamais effleuré au sujet de Greta et Steffen... Peut-être que je le crois suffisamment fort pour encaisser...

Je mets ma main sur son épaule et lui propose de repasser par ici après l'heure du dîner. Oui, je sais pour le couvre-feu, mais tu auras droit à une dérogation. Je préfère qu'on soit tranquilles... pour éviter les yeux et les oreilles indiscrètes. A son expression, je devine qu'il se fait des idées; ma main sur son épaule pourrait être mal interprétée, et une invitation tardive également... Je reprends contenance et une attitude moins décontractée, en toussotant. Hum, n'imagine pas des trucs louches, c'est pour parler de choses sérieuses. Et il y aura du thé noir. J'ai réussi à en trouver une boîte qui restait en réserve. Ca te dit ?

Son visage s'illumine alors et il hoche la tête avec plaisir. Je respire de nouveau librement. Il m'indique quand même que mes fenêtres sont sales et qu'il n'a pas fini de les nettoyer. Et bien, si cela compte tant pour toi, fais-le. Je m'en voudrais de t'en priver !

Je replace le fauteuil derrière le bureau, m'y assois et laisse Livaï continuer son ménage. Il a posé le livre qu'il a emprunté sur le côté en attendant. Une bien belle fable... Discrètement, mon regard se porte sur mon tiroir fermé à clef. Son contenu, dissimulé dans le bureau d'un fonctionnaire d'Etat, pourrait à lui seul me valoir la prison. Je sais que je prends un risque en voulant mettre Livaï dans le secret ; un risque que j'ai déjà pris jadis sans le savoir. Seul mon jeune âge m'a évité un sort fatal. Mais aujourd'hui, je le fais en connaissance de cause.

J'espère tellement ne pas me tromper sur toi, Livaï...

Les Chroniques de Livaï ~ EruRi Only [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant