A tout donner, on s'abandonne #2

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Chapitre 339 des Chroniques de Livaï

Personne n'est allé se coucher cette nuit

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Personne n'est allé se coucher cette nuit. La journée à la fois la plus longue et la plus courte de ma vie... J'imaginais pas qu'on puisse compter autant de morts en si peu de temps...

Le major était en état de choc et Erwin a préféré rester avec lui. Je me demande bien ce qu'il attend de cette loque... Il est évident que Shadis a donné tout ce qu'il a, y a plus rien à faire pour lui ; comme pour les gens entassés dans le chariot... La seule différence c'est que lui bouge encore. Un peu.

Les chefs d'escouade nous ont rassemblés dans la cour de la forteresse. C'était surréaliste... Nous n'étions plus qu'une trentaine, en comptant les vétérinaires, les médecins, les cuisiniers... Notre escouade, celle de Gelgar, avec quelques soldats en moins, et Nanaba, Moblit et Hanji, une bonne partie des bleus - les plus chanceux ou les plus talentueux -, et quelques autres recrues. En clair, plus grand chose.

J'ai eu l'impression que le temps se figeait, que ça gelait autour de moi...

Puis, Shadis s'est pointé, avec Erwin juste derrière. Il a fait son discours, disant à quel point il était désolé de l'issue de cette expédition, et promettant comme à chaque fois que les morts seraient honorés. Ca sonnait faux. Il y croyait plus. Erwin a presque dû le soutenir pour qu'il s'écroule pas.

Les mains derrière le dos, nous avons écouté patiemment. J'crois que tout le monde se doutait que ce seraient ses derniers mots. Le bataillon vivait ses dernières heures. J'ai essayé de capter le regard d'Erwin pour savoir si je me faisais des idées, si c'était déjà décidé, s'ils en avaient déjà discuté ou pas... Il est resté si calme, comme si tout ça ne l'atteignait pas du tout... Mais je savais que c'était faux. Il devait déjà avoir un atout dans sa manche...

Nous nous sommes dispersés, mais Erwin a regroupé tous les membres de son équipe près de la cantine. Les blessés allaient être soignés sur place, mais dès demain, il se rendrait à la capitale avec le major et les blessés graves afin de rendre compte de l'expédition. Tu parles... pour signer la fin du bataillon, plutôt. Mike s'est avancé et a réclamé de venir avec eux. C'est inhabituel, seuls les gradés sont tenus de lécher le cul du roi. Mais étant ce que j'étais, j'ai pas pu m'empêcher d'être de la partie, alors j'ai dit que je voulais venir aussi. Greta et Steffen ont suivi à leur tour et Erwin a haussé les épaules en s'avouant vaincu.

Tu vas pas te débarrasser de nous, gros malin. Si ça doit être notre dernière chevauchée, autant leur montrer qu'on reste soudés, non ? On aura bien le temps après de se trouver une nouvelle occupation.

Quand nous sommes retournés aux baraquements, Claus nous attendait devant. Le gamin s'est approché et nous a demandé si le bataillon allait vraiment être démantelé. On avait rien à lui dire, alors il est reparti bredouille, les bras ballants. Greta ne voulait pas passer la nuit sans nous, alors elle est restée dans le baraquement des hommes. De toute façon, on avait pas sommeil. Mais moi, j'avais un truc à faire.

J'ai tiré discrètement une boîte en fer de dessous le lit de Furlan - enfin, celui d'Erwin, oh merde, je sais plus - et ait vidé mes poches en espérant ne pas être vu. J'en ai sorti tout un tas d'écussons, que j'ai détachés des vestes des morts. Je sais pas vraiment pourquoi j'ai fait ça, peut-être une vieille manie qui m'est revenue de mon enfance... Bien macabre, mais je sentais que je devais le faire.

Je suis en train de les compter, les faisant glisser entre mes doigts avant de les laisser tomber dans la boîte. Il y en a tellement... et pourtant j'ai pas pu tous les récupérer. Ils paraissent bien plus lourds qu'ils ne devraient ; il s'écrasent sur le fond de métal avec un bruit anormalement fort, mais personne ne semble entendre. C'est peut-être moi qui perd la tête... Dans l'obscurité, j'ai l'impression qu'ils sont tous tachés de sang...

En fouillant dans mes poches, je retrouve la paire de gants qu'Erwin m'a offerte. Je les ai cherchés partout. Je me souviens maintenant de les avoir emmenés lors de la première expédition de l'année parce que ça caillait encore pas mal. J'ai dû les oublier au fond de cette poche. Je les saisis et les presse un moment contre mes lèvres. Leur douceur et leur légère odeur animale m'apaisent toujours, mais pas cette fois...

Je me relève et repousse la boîte en métal sous le lit avec le pied. Puis, je flanque un grand coup de poing dans le montant du lit, qui craque un peu et rameute tout le monde. La vache, ça m'a fait mal mais ça fait du bien... J'avais besoin de cette douleur, pour me rappeler que j'ai rien pu faire pour sauver mes camarades, ces saletés nous ont sauté dessus à l'improviste et dans l'obscurité... Putain ! T'avais raison, Kenny, je suis vraiment bon à rien !

Je triture les gants en peau de chevreau et les remets dans ma poche. Puis je retire mes bottes et grimpe dans mon lit, tout habillé, décidé à ruminer de sombres pensées. Greta monte le long de l'échelle et me demande si je vais bien.

Non, évidemment. Comment ça pourrait aller bien ?

Qu'est-ce que je vais faire si le bataillon est dissous ? Faut que je me pose sérieusement la question, maintenant. Et les autres ? Et... Erwin ? Merde, demain nos destins vont se jouer ! Et je contrôle rien, ça me saoule !

Je me tourne sur le côté - je veux voir personne - et malgré moi, mes paupières commencent à s'alourdir. Je suis pas sûr de m'être endormi mais j'ai dû le faire malgré tout, car je me redresse brusquement quelques instants après. Encore un cauchemar, qui n'avait aucun sens. Le Mur Maria était auréolé de fumée et une immense tête sans visage dépassait d'au-dessus du rempart... Je me rappelle m'être senti écrasé et totalement impuissant face à cette monstruosité et c'est cette sensation désagréable qui m'a "réveillé" ; ça et la souffrance familière qui me parcoure les os à chaque fois que...

Je dormais vraiment ?

Les Chroniques de Livaï ~ EruRi Only [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant