Chaque vie fait son destin #1

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Erwin s'apprête à prononcer son premier discours face aux cadets, sous la surveillance de ses deux amis Mike et Livaï...


Chapitre 370 des Chroniques de Livaï

Chapitre 370 des Chroniques de Livaï

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Je crois que c'est l'heure.

Erwin vérifie sa tenue, sa coiffure, les plis de sa chemise. Le moindre détail compte. Je sais pas pourquoi mais je me sens plus stressé que lui. Je le zieute du coin de la pièce en attendant qu'il ait fini. Derrière ce mur, les rangs de cadets de Trost l'attendent de pied ferme. Il va devoir les convaincre, leur faire la meilleure impression de leur vie. Il paraît calme, comme toujours. Je l'ai jamais vu transpirer.

Enfin, son reflet s'écarte du miroir en pied qu'on lui a installé, et il se tourne vers moi. Il me demande comme si cela avait peu d'importance de quoi il a l'air. T'as l'air... d'un major, je suppose. Même si pour moi, rien n'a changé de ce côté-là. Si t'avais un truc de travers, je te le dirais. Il affiche un visage ferme et déterminé et se dirige vers la porte. Je quitte le mur auquel je suis appuyé pour le suivre.

Il remonte la galerie de pierre rapidement, et je le suis à distance. Il a besoin d'être seul, de réfléchir à son discours. Il n'a rien écrit, je le soupçonne de tout avoir en tête. Ou alors il va improviser. Il est bon là-dedans. Je scrute les alentours, éclairés par des torches, afin de m'assurer que personne ne nous guette dans l'ombre. Mike doit déjà patrouiller, je vais aller le rejoindre tout à l'heure, une fois qu'Erwin sera sur la terrasse. Et puis, je veux écouter ce qu'il va leur dire.

Nous faisons le tour du bâtiment et le champ d'entraînement se déploie devant nous. A la nuit tombée, il paraît bien plus vaste et étrange. Les mômes alignés à quelques mètres en rangs ordonnés, les mains dans le dos, semblent attendre leur destin. Erwin ne marque pas une hésitation et monte la petite marche qui le met en pleine lumière. Il se place face à eux, salue en frappant fort sa poitrine, et prend le temps de les regarder avant de commencer. Je retiens mon souffle.

Mais je me demande pourquoi je m'en fais. S'il arrive à les persuader comme il l'a fait avec moi, je ne dois pas m'inquiéter. Je reste dans l'ombre d'une arche de pierre, et mes yeux vont et viennent entre Erwin et son public.

Il commence par se présenter, et sa voix, qui résonne sur les murs, est tout à fait assurée. Les jeunes ne le quittent pas des yeux, et boivent ses paroles. Je lis l'admiration dans leurs regards. Il continue en rappelant les derniers évènements, la chute du Mur, les titans à nos portes, notre territoire réduit. Il conclue d'abord en affirmant que seul le bataillon peut contenir cette menace. Il ne bégaie pas, ne bute sur aucun mot, tout coule parfaitement. Jamais je serais capable de faire ça, moi.

Il enchaîne sur les dernières performances du bataillon, et met en avant sa formation de détection à longue distance. Il a raison, il faut les rassurer, les mettre en confiance. Cette formation, à condition qu'il fasse beau temps, peut considérablement augmenter nos chances de survie. Ah, voilà, il vient de le leur dire. Erwin promène son regard un moment sur l'assemblée, guettant déjà sur les visages le désir de devenir explorateur. Il sait vraiment ménager ses effets... Puis je remarque qu'il lève les yeux un peu au-dessus des têtes et je regarde moi aussi dans cette direction. Une forme blanche se déplace au loin, mais il finit par s'en désintéresser. Après un hochement de tête à peine perceptible, il reprend son discours. Mais moi, je dois aller voir ce qui se passe.

Je me glisse sur le côté en rasant les murs, soucieux de ne pas déconcentrer les troupes. J'ai mis une veste noire sur ma chemise claire afin de ne pas être vu et je me faufile vers l'arrière, vers la silhouette aperçue plus tôt, et me rend compte qu'il s'agit de Mike. Tu étais où, mec ? Le discours a commencé depuis plusieurs minutes. Il pousse devant lui un homme en soutane noire, presque impossible à repérer dans cette tenue à cette heure. Il a un bâillon dans le bec et ne peut pas croasser à son aise. Tiens, un corbac ! Quelle surprise ! Où tu l'as chopé ?

Mike m'indique une vague direction, et m'informe qu'il avait sûrement comme projet de chambouler le discours en servant un sermon anti-bataillon au moment opportun. Bien joué. On devrait aussi lui ficeler les pattes, à ce sale piaf. Mais... non, amenons-le par là, il pourra écouter. Je veux entendre ce que dit Erwin.

Mike flanque un bon coup de poing sur l'épaule du corbac tout en lui maintenant les bras et le fait trébucher jusqu'aux derniers rangs. Erwin ne semble même pas remarquer ce qui se passe, ou alors il fait bien semblant. Tant mieux, on dirait qu'il a abordé la partie sérieuse. Il articule lentement et de façon parfaitement claire que le bataillon n'est pas pour les petites natures. Que le taux de survie, même s'il fera en sorte de l'augmenter, restera bas quoi qu'on fasse. Il semble s'adresser à chacun d'entre eux personnellement, même moi je le sens. Il précise qu'en tant que major, son devoir n'est pas d'assurer à tout prix la survie de chacun ; mais de placer les forces et les talents dont ils disposent là où ils serviront au mieux. Et, au pire, de donner un sens à leur sacrifice.

D'une voix forte, il annonce sans aucun secret, aucun état d'âme, que certains d'entre eux mourront sans doute dès leur première sortie ; et que d'ici trois ou quatre ans, il y a de fortes chances que chacun d'entre eux ne soit plus de ce monde. Un murmure parcourt les rangs, les têtes se tournent, les langues de délient. Il faut enchaîner, ou il va les perdre. Il continue sur un ton presque paternel que chacun doit faire son choix. Que ceux qui veulent une longue et belle vie doivent choisir un autre régiment, que seuls ceux qui sont prêts à mourir feront l'affaire. C'est dur d'entendre ça, j'en suis conscient, mais il leur dit la vérité. Je ne sais pas si c'est la meilleure méthode de recrutement, mais c'est la plus sincère, il ne ment pas à ces gamins. Erwin a besoin de soldats fiables qui ne se carapateront pas au moindre danger. Rien ne serait pire que de voir capoter une mission à cause de déserteurs.

Il annonce solennellement que ceux qui veulent rejoindre le bataillon doivent rester sur place, les autres peuvent partir. Le brusque déplacement d'air provoqué par le départ de dizaines de cadets fait vaciller la lueur des flammes autour d'Erwin. Il reste stoïque, les mains dans le dos, et attend que tout le monde ait fait son choix définitif. Je vois des adieux déchirants, des hésitations, des jambes qui tremblent mais restent bien plantées dans le sol... et à la fin il reste devant Erwin environ une vingtaine de personnes à vue de nez.

Mmh, c'est pas mal. Je m'attendais pas à autant de candidats. T'en penses quoi, Mike ? Au lieu de sa réponse, c'est le corbac qui se met à s'agiter en essayant de retirer son bâillon. Tu fais quoi, toi ? Pas de connerie, d'accord, sinon je vais aller te plumer là-bas derrière, pigé ? Et crois-moi, t'as pas envie de ça. On te relâchera demain, mais je te surveillerai toute la nuit, t'inquiète. Et tu pourras dire à tes copains qu'ils ont pas intérêt à se pointer pour faire les marioles pendant les trois autres discours d'Erwin, on veille au grain.

On pousse le corbac devant nous pour le mettre au frais pour la nuit, tandis qu'Erwin termine. Il accueille les nouveaux venus de façon bien plus chaleureuse, leur décroche son habituel demi-sourire - faut pas les mettre trop à l'aise non plus - et les assure que leur décision est la bonne, que le bataillon sera pour eux comme une famille. Les gamins semblent se détendre un peu, et se laissent happer par la confiance et la conviction qui rayonnent de lui.

Je sais ce que ça fait, c'est comme ça qu'il m'a eu. Même blessé et un genou à terre, il fait cet effet-là. Et je regrette rien.

Les Chroniques de Livaï ~ EruRi Only [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant