Des gens ordinaires #1

440 43 4
                                    

Le soir de Yule est arrivé. Erwin s'apprête à se rendre en ville pour tenter de se changer les idées, mais y aller seul l'ennuie. Heureusement, il aura peut-être de la compagnie...


Chapitre 281 des Chroniques de Livaï

La forteresse est bien vide, ce soir

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.

La forteresse est bien vide, ce soir. Tous les autres sont partis faire la fête en ville. La neige n'est pas suffisamment retombée pour nous immobiliser. Tout est calme et silencieux, et je ressens moi aussi le besoin m'éloigner de cet endroit pour quelques heures. Je pensais rester, mais je me sens d'une autre humeur. Prendre un bain de foule aura sans doute un effet bénéfique sur moi. L'isolement commence à me peser...

Je passe un lourd manteau sur mes épaules et descend les marches vers la salle commune, dans l'espoir d'attraper une diligence au plus vite. Le feu crépite dans la cheminée, il fait bien chaud, comme toujours, dans cette pièce. Même s'ils sont partis, on perçoit encore la chaleur dispensée par toutes ces personnes qui ont vécu ici pendant presque un mois les unes à côté des autres. Et ce n'est pas terminée. Nous aurons encore bien des choses à partager.

La salle commune n'est pourtant pas vide. Une silhouette esseulée est attablée, avec une tasse de thé chaude à portée de main, et un livre ouvert. Je me dirige très silencieusement vers Livaï et me penche par-dessus son épaule pour voir ce qu'il lit. Le cinquième tome du "Royaume des Trois Déesses", évidemment. Quand Livaï se met en devoir de finir quelque chose, il s'y tient.

Il lève la tête vers moi, une expression un peu ensommeillée sur le visage. Il ne semble pas étonné de me voir. Alors je reste dans l'ambiance et lui demande s'il a besoin que je lui explique des mots. A vrai dire, s'il me répondait par l'affirmative, je serais tout à fait prêt à rester ici avec lui toute la soirée au lieu de chercher des divertissements ailleurs... mais il m'assure qu'il n'a pas de problème sur celui-là.

Je jauge son humeur, pour déterminer jusqu'où je peux aller dans mes questions. Livaï est plutôt enjoué en ce moment, mais je sais qu'il peut changer très vite si je me montre maladroit. Je ne le vois guère passer toute la nuit à lire... Il ira sans doute se coucher, à moins qu'il ne trouve une nouvelle pièce à nettoyer - et qui aurait miraculeusement échappé à son investigation. L'idée de le laisser seul ici, face à lui-même, tandis que nous autres trouvons à nous amuser à l'extérieur me peine sérieusement... Livaï ne comprend pas vraiment l'utilité de fêter Yule, même si nous avons fait en sorte de lui expliquer. Mais pour moi, il ne s'agit pas seulement de Yule : aujourd'hui est un jour spécial, pour une autre raison...

Mon père m'emmenait toujours à Shiganshina voir les illuminations, car ce sont réellement les plus belles. M'y rendre chaque année est un rituel. Livaï, lui, n'a pas de souvenir de ce genre. Que faisait-il en bas, tandis que je m'amusais comme un enfant normal à la surface ? Au moins, je n'ai pas à craindre qu'il ait froid ici... Mais ce n'est pas très satisfaisant. Ce soir, j'ai envie de faire quelque chose.

Je l'interroge sur ce qu'il compte faire. Un peu de ménage quand il se lassera de la lecture, sans doute. Le connaissant, il va nettoyer de nouveau des pièces qui sont à mon goût parfaitement propres, et je fronce le nez à cette idée. Je préfèrerai qu'il aille dormir, mais il ne faut pas y compter. J'ai une autre proposition à lui faire. Parce que je ne veux pas être seul ce soir, et que je pense que ça lui ferait du bien à lui aussi. Soit il me répond favorablement, soit il m'envoie sur les roses, dans tous les cas, je m'en remettrai.

Je toussote et lui demande si ça lui plairait de venir à Shiganshina avec moi. Livaï ferme son livre - bon signe - et se tourne franchement vers moi. Il porte un des pulls achetés à Trost. Les manches sont encore un peu longues pour lui et tombent sur ses mains, qui paraissent tout à coup minuscules... Je continue en précisant que je n'ai personne pour fêter Yule et que si cela ne le dérangeait pas...

Il m'interrompt en affirmant qu'il n'en voit pas l'intérêt, et que cette "fête" n'a aucun sens pour lui. Peut-être est-ce le moment d'en trouver un, tu ne crois pas ? Je lui parle de la famille, de la joie de vivre, de l'amour, toutes ces choses auxquelles Yule fait référence et auxquelles je crois si peu le reste du temps... Ce soir, j'ai au moins envie d'essayer. Tu n'as pas envie, toi aussi ?

Livaï croise les bras et me regarde fixement en plissant les yeux. C'est ce qu'il fait toujours quand je lui donne un ordre qu'il ne comprend pas de prime abord. Mais il ne s'agit pas d'un ordre aujourd'hui ; c'est une demande amicale, qu'il peut refuser. Il conclut, avec beaucoup de perspicacité, que je veux de la compagnie pour fêter ces niaiseries, parce que ce soir je veux croire que je suis comme tout le monde... Et bien, c'est à peu près ça ! Livaï sait très bien me percer à jour, je vais devoir faire attention si je ne veux pas qu'il découvre tout sur moi en l'espace de quelques mois supplémentaires...

Chez lui, ce genre de conclusion indique toujours qu'il a fait un choix positif. Mais je le pousse encore un peu. Je lui conseille de rester ici au chaud, après tout, ces pièces vides et monotones sont bien plus intéressantes qu'une soirée avec moi. Comme à son habitude quand je me dévalorise, il abonde dans mon sens en affirmant que tout lui paraît plus plaisant que de passer la soirée en ma compagnie. Je souris mais reste sur place car je sais que j'ai gagné. Livaï se lève et me dit qu'il va chercher son manteau dans sa chambre.

Tandis que j'attends son retour, j'étouffe les flammes du foyer, car plus personne ne sera là pour le surveiller. La décision de Livaï de venir avec moi me réchauffe bien davantage le coeur que ce feu de cheminée... Il redescend, emmitouflé dans son manteau, mais sans au moins une écharpe. C'est une chose que nous aurions dû acheter l'autre fois, mais nous n'y avons pas pensé... Je pose ma main sur son épaule et nous nous dirigeons vers la route pour attraper une diligence.

Celle qui se présente est bardée de grelots et de guirlandes et je vois Livaï soupirer en montant à l'intérieur. Ces enfantillages ne sont pas son fort, apparemment... Quel genre d'enfant était-il ? A-t-il tout à fait disparu ? Et l'enfant que j'étais, où est-il passé ?

Si je pouvais le retrouver pour quelques instants, j'affronterais avec fermeté la prochaine année qui s'annonce... Voyons si Livaï en est aussi capable. Après tout, nous n'aurons peut-être plus d'occasion de nous montrer légers et heureux avant un moment... Cela vaut bien cet effort.

Les Chroniques de Livaï ~ EruRi Only [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant