Enfin, je te vois #2

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Chapitre 197 des Chroniques de Livaï

J'y crois pas, cet enfoiré est allé jusqu'à s'entailler la main pour m'arrêter ! Mieux vaut ça que ton cou, pas vrai ?

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J'y crois pas, cet enfoiré est allé jusqu'à s'entailler la main pour m'arrêter ! Mieux vaut ça que ton cou, pas vrai ?

Je reste fixé sur cette main qui rougit de plus en plus, tout en écoutant ses paroles. Elles ont une puissance... que je n'avais pas sentie avant... La passion qui l'anime me traverse comme des rayons... Je perçois confusément dans son discours des expressions, des mots qui me blessent tout d'abord, et qui me soulagent aussi...

Jamais on ne m'avait parlé ainsi, d'une façon à la fois si autoritaire et implorante... Il me supplie de l'écouter... Je ne peux rien faire d'autre. Mon cerveau enregistre tout ce qu'il me dit, mais ne prend pas la peine d'analyser quoi que ce soit. C'est comme un roulement... un souffle de vent calme, puis violent, qui laisse en moi des traces indélébiles... Comme une marque...

Je reste conscient du fait qu'il est toujours à genoux, et à ma merci si j'oublie Zacharias qui continue de tourner autour de nous comme un animal furieux qui voudrait attaquer mais s'y refuse encore. Ses yeux de la couleur du ciel me fixent intensément, quêtant une réaction, espérée ou fatale pour lui. Continue de parler ; parle-moi encore des merveilles de ces vastes terres qui n'attendent que nous...

Parle-moi de la liberté et de l'horizon sans limite... Parle-moi de l'horreur des titans, de cette injustice qui nous frappe, des morts qui viendront... Tes yeux voient plus loin que les miens, mais je perçois aussi tout ça, je crois... Je n'ai fait que me mentir pendant tout ce temps ; cela fait déjà un moment que je sais tout ça. Peut-être que j'avais seulement besoin que quelqu'un me le dise de vive voix ; en me gueulant dessus si c'était nécessaire.

Je nous vois. Tous les trois. Chevauchant dans la vaste prairie, libres de toute entrave, des Murs, des titans, galopant ensemble vers l'autre bout du monde... Typique de nos rêves souterrains... Ces images ont toujours été en nous, bien avant même que nous ayons mis un pied à la surface. Nous avions déjà la connaissance du vent, de la chaleur du soleil, du chant des oiseaux, et de la douceur de l'herbe sous nos pieds nus... Tous les humains naissent avec cet espoir, il est inscrit en nous. Et c'est de cela que tu me parles.

Ils ne rentreront pas. Et ils ne reviendront pas sous terre. Ils resteront ici, sous le ciel... Ils l'auraient peut-être voulu...

Je hume les senteurs de l'air des terres inconnues. Le sel, toujours présent mais bien lointain... Ce parfum est celui de la liberté mais aussi d'un danger étranger. D'où viennent les titans ? Que nous veulent-ils ? Cette odeur à la fois merveilleuse et terrifiante amène peut-être une partie de la réponse...

Mais elle ne suffit pas. Tu la veux tout entière. Et pour ça, tu as besoin... de moi ?

Mon bras tremble et la lame remue dans son poing fermé. Sa peau s'ouvre davantage sur le fil de l'épée mais il ne faiblit pas. Et tandis que son visage se fait non pas dur mais déterminé, je sens le mien se détendre ; mes traits, crispés jusqu'à me faire mal, se relâchent et mes yeux cillent, comme sous une lumière aveuglante.

Je te regarde et je vois un homme qui poursuit un but noble et prêt à tout pour y arriver. Prêt à monter des stratagèmes insensés, et à risquer sa vie pour obtenir ce qu'il veut. Pour le salut de l'humanité... Quelle drôle d'expression... Je ne m'attendais pas à ce qu'elle remue tant de choses en moi. Et au moment où je me rends compte que tu n'es qu'un magnifique rêveur, je réalise que les rêves ont toujours constitué ma vie : sauver ma mère, être son chevalier... Être l'égal de Kenny... Sortir des bas-fonds... Voler comme un oiseau...

Certains se sont réalisés, d'autres pas encore... et ne le seront jamais. Puis-je te reprocher d'en avoir toi aussi ?

Les larmes ne coulent pas. Le vent qui me fouette le visage est trop fort pour les laisser sortir. Levant les yeux par-delà ton épaule, je distingue les rayons du soleil couchant, qui réapparaît une ultime fois avant le crépuscule... Ils auréolent ton visage d'or... Mon talent ? Ma force ? C'est bien de moi que tu parles...

Personne n'avait eu besoin de moi jusqu'à présent ; c'est moi qui ai toujours dépendu des autres, en vérité. Mais toi, tu es différent... Tu veux faire quelque chose de moi, me mener là où je n'ai jamais envisagé d'aller... Tu veux que je me dépasse... Un nouveau défi à relever...

Mes yeux s'ouvrent pour la première fois, car j'étais aveuglé par la haine ; une haine injustifiée, puérile, noyée de fierté mal placée... Tu nous as sortis de la nuit... Et enfin, je te vois ; dans cette putain de lumière qui me fait presque mal aux yeux...

Il lâche ma lame et je la laisse retomber vers le sol. Je ne le regarde plus ; je n'en ai plus besoin pour l'instant. Je ne sais pas encore si mon choix est fait ou non, mais je veux vivre pour eux. Si je laisse tomber, ils seront morts pour rien. Vivre pour moi aussi ; atteindre cet horizon lointain plein de promesses, avec toi s'il le faut.

C'est tout ce que j'ai à offrir pour l'instant. Tout ce que je peux lui dire c'est que quoi qu'il arrive par la suite, il ne sera plus question de marché ou de chantage. Je prendrais mes propres décisions... et je suivrais les ordres si je les juge bons. Range ton épée, Zacharias, ton chef ne va pas tomber sous mes coups.

Erwin se relève et tandis que le silence nous enveloppe, les derniers rayons de soleil vont se cacher jusqu'au lendemain. Mais je n'oublierais jamais ce jour...

Les Chroniques de Livaï ~ EruRi Only [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant