Chapitre 20.

217 43 16
                                    


Cela fait un moment que je suis garé devant chez moi. Mon père est debout, les lumières sont allumées. Si je ne sors pas de la bagnole, c'est lui qui va sortir pour me chercher.

Et il sera en colère...

Je préfère éviter ce genre de confrontation avec lui. Il est celui qui commande. Sans mon diplôme en poche, je vais galérer.
Il me faut prendre sur moi. Si j'arrive à voir Nathan, juste m'évader quelques heures, je pense que je pourrais tenir.

- Il me semble que j'avais été clair. Tu es en retard, Mattys, me dit mon père alors que j'entre dans la cuisine.

- J'étais là à 7h45. Je fumais dans la voiture, m'excusé-je

- Crois-tu que j'ai du temps à perdre avec tes jérémiades ? Va t'installer, j'arrive, aboie-t-il.

- Mais... tenté-je inutilement.

- Tu veux vraiment m'énerver ? dit-il en serrant son poing.

Quel salopard ! Je vais encore rater quelques séances de sport. Qu'est-ce que je suis con ? Je lui offre le bâton pour me faire battre ! Enfin, dans ce cas, la ceinture.

Mon cher père a des règles strictes, et quand on les enfreint, il agit.
Et comme c'est un sale type, il y prend du plaisir. D'où le rituel allant avec la sanction.

Enfant, il visait les fesses, moins visibles. Maintenant, il vise le dos. A nous de prendre les précautions pour éviter qu'on voit les marques. En été, c'est très compliqué. Pas de baignades.

Mon géniteur exige que je me positionne les mains bien à plat sur son bureau, dos nu (pour ne pas abîmer mon tee-shirt), jean au bas des chevilles ( pour humilier). Et ne pas dire un mot.

- Tu en fais exprès, Mattys. Les règles sont les règles. Tant que tu vivras sous mon toit, tu devras les respecter. Tu es mon dernier fils, je te materais comme tes frères. Puisque tu étais dans la cour, je vais diviser en deux ta sanction. Cinq fois. Je veux t'entendre haut et clair.

Il prend du plaisir à m'entendre compter les coups qu'il donne. Je le fais sans broncher. Je ne veux pas lui faire plaisir. Et puis, ce soir, quand la douleur montera, je sais quelles images je me passerai en boucle : les bises et les caresses de Nathan.

Après la punition, mon père m'a laissé quartier libre. Mon frère aîné ( deux ans de plus que moi) travaille avec lui . Il lui arrive encore d'être corrigé. Il sait donc très bien reconnaître la démarche un peu rigide après les coups.

- Mattys, casse toi, me dit-il. Bouge d'ici. Et sois à l'heure ce soir.

- D'accord.

Je monte dans la voiture. J'adorerai appeler Nathan. Lui expliquer, mais, j'ai honte. Je vais aller dans mon coin désert.
Je suis debout, la position assise est trop douloureuse. Mon portable annonce un message. Oliv.

O : Je viens de te voir passer. Viens boire un coup. Isa n'est pas là.

M : Je ne peux pas, désolé.

O : Tu es où ? Réponds.

M : Ancienne station service.

O : Je suis là dans cinq minutes

Il ne doit rien voir, ne pas savoir. Je m'installe avec difficulté dans la vieille banquette de voiture que j'ai posé ici. Elle me sert de divan. Quand j'entends la voiture d'Oliv se garer, je me redresse, tentant de prendre une position "naturelle".

- Salut ! Tu joues à quoi ? A cache cache ? me questionne-t-il en me dévisageant.

- Salut. Non, je voulais juste être tranquille.

- Ton rencard ?

- Ta soeur parle trop, grogné-je.

- Il fallait bien m'expliquer ton absence de ce matin. Raconte, exige-t-il.

- Rien à dire. C'est privé.

- Je te demande pas de me raconter, idiot. Je veux juste savoir si ça va !

- Oui. J'ai passé une bonne soirée. Sérieux. C'est cool de t'en inquiéter.

-Tu as l'air d'être tendu, pourtant. Ou d'avoir mal. Lève-toi, ordonne-t-il.

- Non. Ce n'est rien, grimacé-je.

- Lève- toi, gamin, insiste-t-il d'une voix plus chaleureuse.

Évidemment, il ne peut pas ne pas remarquer mes grimaces. Il me fait me tourner et soulève mon tee-shirt.

- C'est ton rencard qui t'a fait ça ? s' inquiète-t-il.

- Non. Bien sûr que non ! m'écrié-je.

- Qui alors ? Ton père ?

- C'est rien, t'inquiète dis-je en repositionnant mon tee-shirt.

- Tu te fous de ma gueule ! Tu as une crème ou un truc pour calmer ?

- J'ai pris un truc pour la douleur. Il était en colère.

- Normalement, tu n'as pas mal ? me piège t-il.

- Pas tout le temps. Oh merde, gémissé-je.

- Depuis quand ton père te cogne, Mattys ?

- Ne dis rien, Oliv. S'il te plaît. Je dois tenir jusqu'à la fin de l'année. Ne dis rien à Isa. Je vais respecter ses foutues règles.

- Bordel Mattys, souffle-t-il. Bien sûr que je vais fermer ma gueule. J'ai une seule condition. Tu me le dis à chaque fois qu'il le fait. Et je te soigne.

- Ça fait deux choses, répliqué-je, pour garder contenance.

- Tu veux une claque ? me menace-t-il en me chopant le cou. Lâche gamin, lâche tout ! Je suis là.

Et pour la première fois depuis très longtemps, je libére devant quelqu'un toute ma douleur, toute ma rancoeur.
Oliv m'a écouté, soutenu. Je lui ai raconté ma vie, ma volonté de tenir jusqu'à ma majorité. Pour ne pas me retrouver comme mon frère.

Je lui ai parlé aussi de Nathan. De ma peur que quelqu'un découvre mon secret.

Et puis il était l'heure de rentrer.

Mon père regarde l'heure à sa montre et éclate d'un gros rire.
Je ne dis pas un mot, je ne fais aucune grimace. Je vais juste dans la cuisine. Ma mère, silencieuse, me fait signe de la suivre. Cela fait très longtemps qu'elle ne dit rien. Elle se contente de me soigner... sans intervenir... comme avant pour mes frères.

Après le repas, silencieux comme d'habitude, je monte dans ma chambre.
J'ai deux messages.

O : Repose-toi. Passe demain.

Et un autre qui me rechauffe le coeur.

N : J'espère que tu ne regrettes rien. Moi, j'ai très envie de te revoir. Bises.

M : Moi aussi. Je sais enfin de quoi je vais rêver. Bises.

Je m'allonge sur le ventre, la tête dans l'oreiller. Ma nuit courte, la punition et mes aveux m'ont épuisé. Je sombre.

Différents et Alors  Où les histoires vivent. Découvrez maintenant