LGDC Tragédies ~ Cycle 2 : Spirale ~ Tome 6 ~ ○ Montagnes Nuageuses ○

| Chapitre 37 |

      Un long calme plat régnait dans le Clan de la Plaine. Même au réveil, personne ne prononçait un seul son. Pas même la nouvelle lieutenante, Esprit de l'Écureuil, bien qu'elle était très heureuse de l'être, elle regrettait que ce soit au prix d'une vie. Dans les apprentis, l'ambiance était encore plus larmoyante. Nuage en Or et Nuage de Colombe n'en pouvaient plus de pleurer la mort de leur mère, serrant entre leurs pattes tout ce qui leur restait d'elle : sa peluche. Seul Nuage de Lune tentait de les réconforter, les autres préféraient dormir et rester inconscient de cette situation. 
   Nuage Obscur, elle, était dans la tanière de la guérisseuse, rangeant les remèdes, le regard vide. Elle n'oubliait pas qu'elle aurait pu avoir un mentor. Après tout, elle ne connaissait que quelques plantes sur toutes celles existantes... C'était une grande responsabilité pour elle, surtout que tous étaient blessés. Une fois sa tâche finie, elle attrapa quelques herbes au hasard, décrocha une toile d'araignée sur une paroi et sortit du sombre antre. 
  Elle passa faire un tour dans la tanière des apprentis. Elle préféra ne pas réagir face aux pleurs et s'approcha des trois apprenties. Nuage en Or avait une grosse blessure tranchant le bas de son flanc, Nuage de Lune en avait une sur la joue et sur le poitrail et Nuage de Colombe en avait le long de l'épaule. Elle déposa ses remèdes au sol. En devenant guérisseuse, elle avait décidé d'oublier les conflits avec Nuage de Lune, bien que cette dernière en était toujours marquée. 

 « Alors, vos blessures vous font encore mal ? demanda la jeune soigneuse au trio. 
 —  Non, ça va aller, mentit Nuage de Lune d'un ton froid. 
 —  Ça me pique, murmura Nuage en Or en reniflant pour ravaler ses larmes. 
 —  Pareil, » dit sa sœur. 

   La féline noire chercha un peu dans ses remèdes éparpillés sur le seuil de la tanière. Nuage de Lune fixait le mille-feuille avec une moue renfrognée, sa meilleure amie la surveillant de près. 

 « Je pense que ça suffira, souffla la soigneuse en choisissant des toiles d'araignées, du cerfeuil, du souci, de la grande camomille, du persil et préparant de l'onguent de mille-feuilles. 
 —  Tout ça ? Pluie d'Étincelles nous en avait donné moins que ça... » fit remarquer Nuage de Colombe. 

   Cette remarque ne parut pas faire tilter Nuage Obscur. Elle appliqua des toiles d'araignées, couvrit les plaies avec de la pulpe de cerfeuil et désinfecta avec les feuilles de souci, ces gestes parurent banaux à Nuage en Or, observant attentivement la scène. Seulement, lorsque la guérisseuse fit avaler du persil à sa patiente, elle fronça les sourcils. Elle doutait qu'il fallait une plante à avaler pour soigner des blessures... À moins qu'elle adoucit la douleur... pensa la novice sans poils, bien que peu convaincue.
  Elle lui donna aussi de la grande camomille, mais ça ne sembla pas la choquer. Son doute s'accentua lorsque Nuage Obscur fit avaler de l'onguent de mille-feuilles. Nuage de Colombe tirait la langue après en avoir goûté. 

 « Pouah ! Quel goût, c'est ho... » 

   Elle n'eut pas le temps de finir qu'elle fut coupée par un hoquet. Elle fronça la truffe. 

 « Et... ça sert à quoi dans la guérison des plaies ? demanda Nuage de Colombe à la guérisseuse. 
 —  Euh... Je ne sais pas trop... marmonna la concernée. 
 —  Y'a intérêt à ce que ça serve... » grimaça t-elle. 

    La noiraude parut un brin amusée par le hoquet de la blessée. Ensuite, elle se tourna vers Nuage en Or. La jeune femelle sans fourrure eut un sourire nerveux. Elle savait que l'onguent de mille-feuilles était gras avec une odeur peu agréable, hors de question qu'elle goûte à cette substance-là ! 

 « Non merci en fait, ça va aller ! assura l'apprentie guerrière précipitamment. 
 —  Ah ? s'étonna la soigneuse. 
 —  Oui, oui, oui, oui, oui ! 
 —  Si tu as vraiment mal, n'hésite p... 
 —  Oui oui ! Promis promis promis promis ! » 

    Elle hocha la tête et se tourna vers Nuage de Chute qui contemplait une feuille morte avec de grands yeux. Cette dernière avait une plaie le long du flanc et au dessus de l'œil. 

 « Et toi, tu as encore mal ? fit la chatte noire.
 —  Nan ! J'suis en pleine forme ! 
 —  Et toi, Nuage de Questions ? 
 —  Quoi ? maugréa l'intéressé, en plein sommeil. 
 —  Tu as mal ? 
 —  Où ça ? Pourquoi j'aurai mal ? 
 —  Tu es blessé au dos. 
 —  Pourquoi je serai blessé au dos ? 
 —  La bataille d'hier. 
 —  Celle qui a tué trois guerriers ? 
 —  Oui. Tu as mal ? » demanda t-elle encore. 

   Il lança un regard à droite puis à gauche et haussa les épaules. Elle inclina les oreilles sur le côté, déçue. Elle aimait beaucoup soigner les autres... 

 « Et toi, Nuage de Cendre ? Ta queue et ta patte vont mieux ? » 

   L'intéressée leva la tête de ses pattes, encore ensommeillée. Elle cilla et grogna. 

 « Tiens, tu serais pas une des harceleuses de Nuage de Lune ? fit la novice cendrée. 
 —  Euh... 
 —  Si en effet. Alors je veux pas te parler, ça se fait trop pas ce que tu lui as fait. 
 —  Mais... tu as ma... 
 —  Non ! Maintenant laisse-moi dormir, andouille ! » 

   Ses camarades se retournèrent. Il était rare de voir Nuage de Cendre en colère. Quand elle n'aimait pas des personnes, elle le leur faisait bien comprendre. Elle détestait tout particulièrement les harceleurs, la fratrie de Nuage Obscur, entre autre. Enfin, Nuage du Sol était le seul qui ne faisait rien à ce propos. Attristée, la jeune guérisseuse ramassa ses remèdes et quitta la tanière en laissant traîner sa queue sur le sol. Elle s'apprêta à voir les guerriers quand soudain elle fut arrêtée par une voix un peu infantilisée : 

 « 'Obscur ! Tu... peux véri... fier quelque... chose... s'il te... plaît ? » 

   C'était celle d'Étoile Sanglante. Elle rampait telle une chenille mais se remettait peu à peu sur ses pattes. Cependant, son problème de bégaiement n'était pas encore réglé. C'était assez embêtant. Vent Mauvais l'accompagnait toujours. 

 « Quoi donc ? s'enquit la petite chatte. Euh... si je peux me permettre, tu as prit du poids. 
 —  Cer.. ve... lle... de... Sou... ris... articula distinctement la meneuse, un peu fatiguée. Je... man... ge... que... le matin... et en très... petites portions. 
 —  Ah ! ...Donc tu as quoi ? 
 —  Je pense que j'attends des chatons. 
 —  Ah ! Ben, sûrement. Je sais pas comment on vérifie, mais j'en suis certaine. Ça peut être que ça, à priori... 
 —  Gé... nial ! » 

   La chef avança lentement mais sûrement en direction de sa tanière, toujours rampante, assistée de son compagnon. Cœur Noir, qui passait par là, vint mettre son grain de sel : 

 « En fait, Vent Mauvais, je crois que Étoile Sanglante te l'avouera jamais mais... 
 —  Quoi ? fit l'intéressé. 
 —  Elle veut devenir un ver de terre ! Mais chuuuut, faut pas qu'elle sache que je te l'ai dit, hein ! » plaisanta le guerrier noir. 

   Étoile Sanglante se mit à rire tandis qu'elle passait le liage de lierre recouvrant son antre. Elle était heureuse mais également triste, repensant à sa portée morte-née, plusieurs lunes plus tôt... Cette fois, elle n'espérait qu'une chose, qu'ils restent en vie.