34. Confession

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Finalement, je tourne les talons et me concentre sur mes pieds pour ne pas tomber. J'entends Idris soupirer pendant que j'essaie de marcher le plus vite possible. Ce n'est pas sa phrase qui m'a fait le plus de peine, c'est la façon dont il l'a dite. Si méchamment, comme s'il méprisait les personnes qui touchaient à l'alcool. En y repensant, je ne l'ai jamais vu boire, pas une seule goutte.

Idris me rattrape en deux enjambées et se plante devant moi.

-Pousse-toi, je murmure.

-Ambre excuse-moi, je ne voulais pas être méchant.

Je ne le regarde pas et fixe un point devant moi mais il s'avance et me prend le menton pour que je le regarde dans les yeux. Ses iris sont aussi clairs que l'eau de roche. Comment il a fait pour changer d'humeur aussi rapidement ? Il y a deux minutes, ses yeux étaient tout le contraire de ce que je vois maintenant.

Idris me regarde avec un air de chien battu puis il va s'assoir sur le muret à côté de nous et tapote la place à côté.

-Tu viens ? Je ne vais pas te manger.

Je souris en repensant à la fois où je lui avais dit ça puis j'obtempère et vais m'assoir à ses côtés.

-Bien avant qu'Ilan ne naisse, Maria était femme au foyer et papa passait toute sa journée dans son cabinet d'avocat. Donc elle et moi, on restait ensemble à la maison. Un jour, papa est rentré super tard du boulot et normalement je devais être au lit mais je m'étais relevé parce que je voulais aller aux toilettes. Depuis le couloir j'avais entendu des bruits de verres, alors j'ai descendu l'escalier et j'ai vu Maria, qui était saoule, avec un autre homme.

Je regarde mon copain : il ferme les yeux et ses poings sont serrés, alors je les prends doucement pour l'apaiser.

-J'étais vraiment petit mais ça se voyait à des kilomètres qu'elle n'était pas dans son état normal. L'homme, par-contre, était lucide. Je me souviens, je m'étais caché dans un coin sombre pour qu'il ne me voit pas. Il me faisait peur.

On reste silencieux un instant puis Idris déclare :

-Il a violé ma mère juste devant mes yeux.

Je pousse un cri d'horreur et mets ma main devant ma bouche. Le brun ré-ouvre les yeux et baisse la tête en continuant son histoire :

-J'ai tout vu. Pendant de longues minutes je suis resté dans mon coin en fermant les yeux et en priant pour que je me réveille. Mais je ne me suis pas réveillé, tout ça était réel. Je n'ai pas osé retourner dans ma chambre, de peur que l'homme ne me voit ou ne m'entende. Alors j'ai patienté. Longtemps.

Il relève la tête et me sourit tristement.

-Je n'ai jamais dit à Maria que je l'avais vue ce soir-là.

Ma tête fourmille de questions : qui est l'homme ? un collègue ? Et que faisait-elle avec lui ? était-ce intentionné ce qu'ils ont fait le fameux soir où Idris a tout vu ? Mais surtout, est-ce que Charles est au courant de tout ça ?

-C'est pour ça que je ne supporte pas quand tu bois trop.

-Idris... je suis désolée que tu as eu à vivre ça.

Il lève la tête vers moi et me regarde avec ses beaux yeux et ses longs cils noirs.

-Et moi de t'avoir parlé comme ça tout à l'heure.

Je lui souris tristement et il  vient se nicher dans mon cou en se rapprochant de moi pour mieux m'enlacer. Idris me serre contre lui comme si j'étais sa bouée de sauvetage.

C'est peut-être le cas.

Je lui touche les cheveux en repensant à son histoire. Un gamin choqué de voir sa mère qui a trop bu, se faire abuser par un homme. Et il n'en a jamais parlé à personne. Tu m'étonnes qu'il ait besoin de s'accrocher à quelqu'un dans sa vie.

***

On se couche dans mon lit, nos corps entremêlés. Je crois que sa confession l'a bien plus touché que moi. Des fois, le fait de dire à voix haute concrétise la chose et comme Idris n'a dit à personne ce secret, ça doit lui faire autant de bien que de mal. Je n'imagine même pas les souvenirs qui doivent passer en boucle dans sa tête.

Je lui touche doucement les cheveux comme il aime que je le fasse, pendant que ses mains restent agrippées à mon corps. Ni lui, ni moi ne parlons. Il m'a déjà avouée suffisamment de choses ce soir, pas besoin que je lui pose toutes les questions qui me trottent dans la tête.

Je continue mes caresses jusqu'à ce que je sente sa respiration s'alourdir. Le sommeil s'empare également de moi et je ferme doucement les yeux.



Cette nuit-là, je me souviens d'avoir rêvé d'un enfant. D'un petit garçon, plus précisément. Il avait de magnifiques cheveux bruns et des yeux bleus saphir ; il ne m'a pas fallu longtemps pour que je reconnaisse Idris.

Il semblait craintif, fragile, comme s'il ne savait pas quoi faire. J'avais envie de le rassurer, de lui dire qu'il allait se sortir de cette galère mais ma bouche refusait de s'ouvrir. Idem pour mon corps, je ne pouvais plus bouger. J'essayais pourtant, j'essayais de lui crier qu'il allait devenir quelqu'un d'incroyable, de beau. Je m'efforçais de lui dire qu'il allait devenir un jeune homme plein de vie, drôle, charismatique et courageux. Courageux d'avoir enduré ces années de malheurs étant petit.

Et pendant que mes larmes coulaient le long de mes joues rouges à force d'avoir crié, j'avais dit à l'enfant qu'il était quelqu'un de bien et que c'est pour ça que je l'aime. Puis comme par miracle mes lèvres s'étaient décelées pour laisser les paroles sortirent de ma bouche et parvenir jusqu'aux oreilles de l'enfant.

~~~

Nous sommes dimanche et comme tous les dimanches, je fais la grasse mat'. Idris est à côté de moi et bouge un peu avant de m'embrasser rapidement et de m'informer qu'il va prendre son petit-déjeuner. Je réponds quelque chose intelligible et me rendors instantanément.

Lorsque je me réveille à nouveau, je m'étire en faisant l'étoile de mer puis baille deux fois de suite en allumant mon téléphone. Plus de batterie. Je soupire et le mets à charger avant de descendre l'escalier.

La journée passe très rapidement : Charly nous a prévenus une fois de plus qu'il avait quelque chose à faire dehors, alors j'ai mis un film d'action pour toute la famille. Je sais qu'Ilan adore les bagarres – fictives – ça tombe bien car j'avais choisi un film avec plein de rebondissements !

Angèle nous a rejoint quelques minutes plus tard, profitant de la bonne humeur présente dans le salon.

Quant à Idris, il était resté sur le canapé en riant avec Ilan de certains passages dans le film. Et à un moment, la fillette a décidé de s'installer sur mes genoux et de m'entourer de ses bras fins. Ça m'a fait tout drôle d'avoir un petit corps collé contre moi mais je l'ai prise dans mes bras et l'ai serrée délicatement.

Je sais qu'Angèle a le même problème qu'Idris ; elle doit se rattacher à quelqu'un d'autre dans sa vie pour combler le manque de sa mère, et ce quelqu'un, c'est ma maman. Mais elle est partie depuis cinq jours maintenant et Angèle a l'air de ressentir les effets, donc je fais de mon mieux pour être le remplacement du remplacement de sa mère – vous me suivez ?

Durant la journée, j'ai envoyé quelques messages à mes amies pour prendre de leurs nouvelles. Laura m'a dit qu'elle avait une tronçonneuse dans le crâne mais pour ma part, je n'ai rien du tout ! Je dois reconnaître que c'est grâce à Idris – il m'a donnée tout un tas de truc à avaler et m'a fait boire beaucoup d'eau. Puis Cleo m'a racontée qu'elle avait terminé sa nuit dans le lit de Thomas et qu'il s'était comporté en vrai prince charmant.

Agathe m'a aussi envoyée un petit quelque chose. Apparemment, toutes mes amies s'étaient données le mot pour m'envoyer des messages. En tout cas, Ag m'a envoyée une photo d'elle et de Cameron dans un parc. Ils étaient au milieu d'arbres verdoyants et mes deux amis souriaient à en avoir des crampes.

StepbrotherOù les histoires vivent. Découvrez maintenant