La porte se referma sur sa petite pique acerbe qui avait au moins eu le mérite d'arracher un semblant de sourire à Nicolas qui, malgré son état de plus en plus alarmant, tenta de se lever.— Sortons d'ici. Ce Grant est un métamorphe, il sentira notre intrusion à la seconde où il entrera dans cette pièce.
— Alors le mal est déjà fait de toute façon, lui rétorquai-je en l'aidant malgré tout à se relever. Enlever ses haillons et prendre une douche te fera du bien, lui assurai-je en l'entraînant doucement vers la seule autre porte de la pièce.
Il se laissa faire, bien que son inquiétude ne sourde par tous les pores de sa peau, renforçant l'aura de fragilité qui émanait à présent de lui. Il avait raison, si Grant déboulait dans sa chambre maintenant il se sentirait envahit et agressé sur son territoire et attaquerait certainement Nicolas. Dans l'état où il se trouvait il ne pourrait pas se défendre et son loup risquait de prendre l'ascendant et de faire un carnage. L'option douche n'était peut-être pas une si bonne idée, finalement.
— Tu commences à comprendre que j'ai raison...
Les trois petits coups secs frappés à la porte agirent comme un électrochoc, nous mettant instantanément en mode alerte maximale. Le battant s'ouvrit doucement et une tête apparut dans l'entrebâillement, c'était la jeune fille de la cuisine.
— Désolée de vous déranger, mais j'ai pensé qu'un plat chaud ne pourrait pas faire de mal ? dit-elle timidement, en nous montrant le plateau qu'elle tenait d'une main. Et si vous voulez, je connais un endroit plus neutre où votre ami se sentira plus à l'aise.
Son ton et son attitude soumise et apeurée m'avaient rassurée au début, mais à présent je me demandais si ce n'était pas une ruse.
— C'est Grant qui vous envoie ?
— Non. Il ne sait pas encore que vous êtes là. Votre ami est blessé et très dominant... une confrontation avec Grant...
— Ne serait souhaitable pour personne, je suis bien d'accord, intervint Nicolas d'une voix sourde et essoufflée.
— D'après Lyn, ce serait la seule salle de bain privative disponible et dans son état, je doute que son loup supporte d'autres métamorphes autour de lui lorsqu'il se retrouvera en position de faiblesse.
Le coup d'œil apeuré qu'elle lança à Nicolas me confirma, sans avoir besoin de le lui demander, que quel que soit son animal totem, ce n'était certainement pas un prédateur.
— Votre amie à raison, mais la salle de bain des filles sera déserte à cette heure-ci et je ferais en sorte qu'elle le reste.
— Pourquoi nous aidez-vous ? lui demandai-je toujours suspicieuse, en commençant malgré tout à nous diriger vers la porte. Vous risquez de gros ennuis si Grant le découvre.
Un petit sourire triste étira ses lèvres tandis qu'elle finissait d'ouvrir la porte en la poussant avec son dos.
— C'est compliqué, se contenta-t-elle de répondre en refermant derrière nous dès que nous fûmes dans le couloir.
La tension présente depuis que nous avions pénétré le territoire privé de Grant s'allégea sensiblement dès que nous nous fûmes éloignés de quelques pas. Notre guide, muette depuis sa réponse sibylline nous guida jusqu'au rez-de-chaussée, puis vers l'arrière de la maison où nous ne croisâmes pas âme qui vive. Arrivée devant une porte estampillée du logo universel des sanitaires pour dames, elle en poussa la porte et s'effaça pour nous laisser entrer.
La pièce, rectangulaire et relativement spacieuse, était aménagée de manière rationnelle plutôt qu'esthétique. Un banc en bois clair courait tout le long du mur de gauche faisant face à un espace carrelé totalement ouvert comprenant trois douches. A la droite de ce dernier, protégées par une cloison de verre, trois caisses carrées avec couvercles, surmontées chacune d'une patère, attendaient de protéger les vêtements de toutes éclaboussures involontaires. Trois lavabos encadrés de deux étagères remplies de serviettes, habillaient le mur du fond et complétait le tableau.
La jeune femme, toujours sans prononcer une parole, posa le plateau à l'une des extrémités du banc et alla retirer deux serviettes blanches de l'étagère qu'elle posa à côté. Puis, elle ouvrit d'une simple pression de la main un meuble encastré sous l'un des lavabos et en retira une trousse en tissus noir qu'elle me tendit.
— C'est une trousse de premier secours... au cas où vous en auriez besoin, dit-elle rompant le silence épais de sa voix timide. Je vais rester devant la porte, si vous avez besoin de moi n'hésitez pas à m'appeler.
— Attendez ! la retins-je alors qu'elle s'apprêtait à quitter la pièce. Comment vous appelez-vous ?
— Eugénie, mais tout le monde m'appelle Jenny, s'empressa-t-elle d'ajouter.
— Alors merci beaucoup Jenny, lui dis-je avec douceur tandis qu'elle sortait, nous laissant enfin seuls.
L'état de Nicolas ne s'était pas amélioré et ses tremblements et sa faiblesse apparente de plus en plus prononcés.
— Avant la douche tu devrais manger, sinon j'ai peur que tu ne tombe dans les pommes, dis-je en allant chercher le bol de bouillon, à présent tiède, que je lui tendis.
Il le prit d'une main tremblante mais voyant qu'il risquait d'en renverser la moitié sur ses genoux, je jugeai plus prudent de le lui tenir. Il porta lentement une cuillère à sa bouche et dû faire un effort visible pour l'avaler. Un spasme le traversa, presque aussitôt suivit d'un haut le cœur. Il tenta malgré tout une seconde cuillère, mais le liquide ne franchit pas ses lèvres, à l'évidence rien que l'odeur lui soulevait le cœur. Comprenant qu'il allait vomir si on insistait, je lui repris la cuillère et posais le bol par terre le plus loin possible de Nicolas.
— Tu n'as pas faim ? demandai-je en l'aidant à se relever, voyant son regard rivé sur les douches.
— Si mais... c'est ce gout de sang dans ma bouche... il ne veut pas partir, murmura-t-il d'une voix hantée qui me fit froid dans le dos.
Malgré l'irrésistible envie que j'avais de le questionner, je m'abstins et le lâchai quelques secondes le temps d'aller ouvrir l'eau et d'en régler la température. Le temps que je l'aide à retirer ses vêtements, une fine vapeur avait déjà envahit les douches et nimbait le corps décharné et torturé de Nicolas d'un halo sinistre.
Son corps, auparavant musclé et athlétique, était à présent d'une maigreur inquiétante et disparaissait sous d'énormes hématomes et coupures en tout genres. Je tentai de me blinder, de ne pas le fixer ni laisser transparaitre ma détresse, même s'il l'a perçue sans peine. Il me fixa dans les yeux, puis avança de quelques pas chancelant sous le jet brulant. Je le rejoignis bien vite, shampoing et gel douche, trouvés dans le sac de Lyn, à la main.
— Tu veux le faire ? Ou...
— Tu vas tremper tes vêtements, m'interrompit-il d'une voix sans timbre.
— Je m'en fou, lui rétorquai-je en faisant couler une noisette de gel douche dans ma main, avant de commencer à passer avec mille précautions mes paumes sur sa peau abîmée.
Une riche odeur d'abricot envahit l'espace, odeur chaude et réconfortante, qui ne fit que me plonger un peu plus dans le désespoir face à l'état de Nicolas. Soudain ses jambes le lâchèrent et je l'accompagnai doucement vers le sol carrelé. Au moment de me redresser, il me retint d'une poigne d'acier, me fixant d'un regard empli d'horreur.
— Mais qu'est-ce qu'ils t'ont fait ? chuchotai-je dans un sanglot retenu, comme pour moi-même.
— Ils me battaient et m'affamaient durant des semaines, me répondit-il à ma grande surprise. Et quand j'approchai du point de non-retour, ils faisaient entrer les humains.
Je commençai à secouer la tête, ne voulant pas admettre, ni comprendre ce qu'il était en train de me dire.
— Je les ai attaqués, Rose. Tous. Je ne pouvais pas m'en empêcher, ajouta-t-il dans un murmure horrifié tandis qu'il éclatait en sanglots.
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Whisper - Ombre Fauve Tome 2
ParanormalLe monde a changé, les métamorphes sont enfin sortis au grand jour et l'adaptation est chaotique. Au milieu de ce tumulte, certains clan jouent profil bas et attendent de voir l'évolution des événements pour se dévoiler ou non. A moins que d'autres...