Chapitre 15-2

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Un feulement sourd et courroucé résonna sombrement derrière moi mais je n'en tins pas compte, continuant à courir ventre à terre, slalomant entre les arbres et les troncs couchés. C'était ma première course sous ma forme de louve. La première fois que j'acceptais vraiment ma seconde nature, que j'y cédais sans me poser de question. Même si quelque part au fond de mon esprit j'avais conscience que ce n'était pas le bon moment pour ça, je prenais un plaisir fou à sentir mes nouveaux muscles puissants rouler sous ma peau à chaque nouvelle foulée. Mes coussinets épousaient les aspérités du sol avec aisance et confort, j'étais efficace, puissante et sûre de moi. J'étais enfin Whisper, pleinement et entièrement, et c'était... bon.

Un hurlement retentit dans le calme relatif de la forêt, faisant cesser tous les autres petits bruits nocturnes. Un hurlement qui signifiait « Stop – Attend-nous ». Ordre donné par Thomas, à qui je ne devais aucune obéissance. Du moins pas ici et encore moins maintenant ! Mes pattes continuèrent à m'entraîner plus loin au cœur de la forêt sur encore plusieurs mètres, avant que la sagesse et la rationalité de ma partie humaine ne parvienne à nous freiner et à nous stopper.

Les quelques minutes qu'ils mirent à me rejoindre me semblèrent des heures. Je me mis à gronder lorsque le museau de Thomas sortit d'un taillis. Mon odorat et mon ouïe m'avaient déjà informé de son identité, mais j'avais besoin de lui faire connaitre mon mécontentement. Il grogna à son tour en réponse, retroussant même les babines, avant de s'approcher de moi. La différence de taille entre nous était flagrante, mais malgré ma stature bien supérieur à la sienne, il continua de grogner à mon encontre tout en avançant. S'il voulait que je me soumette à lui, il pouvait toujours courir, pensai-je en faisant claquer mes mâchoires à quelques centimètres de sa truffe.

Il ne réagit pas et se contenta de s'assoir sur son arrière-train, en me fixant de son insondable regard mordoré. Je sentis la tension s'apaiser d'un coup. Nous étions tous deux dominants, mais comme nous ne faisions pas partie de la même meute, problème réglé. Je couinais doucement à son attention et repartis comme une flèche à la seconde où j'entendis Lyn et Aaron arriver. Ce dernier suivait ma course folle sans aucun soucis, bondissant au-dessus des obstacle avec grâce et souplesse, ce qui n'était pas le cas de Lyn dont la forme animal n'était pas coutumière de ce genre de forêt. Je continuai néanmoins à courir sans plus me préoccuper d'eux, entièrement concentrée sur ma traque... qui s'interrompit brusquement quelques mètres plus loin, stoppé par un grillage de plus de deux mètres de haut.

Mes compagnons déboulèrent derrière moi, dérapant légèrement sur les feuilles mortes et humides recouvrant le sol. Nicolas se trouvait quelque part, plus loin, derrière ce rempart de métal. Frustrée je commençai à longer le grillage, cherchant une faille et testant sa résistance en lui donnant de violents coups d'épaules, sans résultat. Cette barrière ne semblait pas avoir de fin.

Nous arrivâmes finalement en vue d'un petit chemin forestier désert menant à l'enceinte grillagée, à cet endroit aménagé d'une porte. Bien que cette dernière soit fermée, je m'en approchai précautionneusement, tous mes sens en alerte. Ça sentait le piège à plein nez. Durant un instant je songeai à me retransformer, mais la forme sombre qui tomba de l'arbre juste devant moi, ne m'en laissa pas le temps.

La silhouette atterrit accroupis et se redressa lentement un sourire goguenard sur ses lèvres minces.

— Deux loups, une hyène et un tigre sont dans les bois, dit-il soudain d'une voix mezzo étrangement très agréable, nonobstant le ton sarcastique qu'il employait. Cela pourrait faire le début d'une très bonne blague, malheureusement pour vous, je n'ai pas d'humour... et mes hommes non plus, ajouta-t-il en portant deux doigts à sa bouche.

Le sifflement strident m'arracha un grognement étouffé tandis qu'une demi-douzaine d'hommes armés surgissaient, se plaçant à intervalles réguliers de l'autre côté de la clôture. Mon échine se dressa et un grondement sourd commença à sortir de ma gorge. Pattes fléchies et babines retroussées, j'étais prête à bondir. Ces soldats d'opérettes avaient beau tous être des métamorphes, ils ne seraient pas assez rapides pour m'atteindre si l'envie me prenait de sauter à la gorge de leur chef. Car même si j'étais sous ma forme de louve, mon cerveau d'humaine carburait à plein régime et je savais très bien qui j'avais devant moi.

— Ooh, on est contrariée à ce que je vois ? me railla-t-il en s'approchant d'un pas. Et bien sachez que je le suis encore plus que vous ! Surtout qu'en plus de me mentir, vous m'avez pris pour un idiot ! Vous croyiez vraiment pouvoir pénétrer sur mon territoire sans que je ne m'en aperçoive ? cracha-t-il avec colère en direction d'Aaron, qui feula en réponse.

La rage de notre hôte paru se propager à notre petit coin de forêt et nous nous regroupâmes pour faire front commun. Un tigre et une hyène, encadrés de deux loups. D'une vue extérieure, le tableau devait être assez comique ! ne pus-je m'empêcher de penser, même si l'homme qui nous faisait face ne semblait pas trouver cela drôle du tout.

— Cette conversation à sens unique commence vraiment à me courir, siffla-t-il entre ses dents d'une voix hargneuse. Transformez-vous ! gronda-t-il en faisant subitement éclater son aura.

La vague invisible qui me percuta était identique à celle que Thomas avait projeté sur nous lors de la cérémonie d'Alpha, mais bien loin d'être du même calibre ! Grant Richardson était puissant, à son niveau, mais à côté de nous, c'était un petit joueur. Il se rendit compte qu'il nous avait grandement sous-estimer lorsqu'aucun de nous ne frémit sous sa tentative de prise de contrôle. La colère traversa ses iris et il redoubla d'acharnement, concentrant tous ses effort... sur moi ! Mauvaise pioche, pensai-je en lui montrant les dents dans un grognement sourd. Il fixa sur moi un regard hargneux et incrédule et c'est à cet instant que je choisi d'attaquer.

D'un bond je lui sautai à la gorge. Mes pattes avant heurtèrent son torse et ma mâchoire claqua à quelque centimètre de son cou, mais comme je ne voulais pas le tuer, je me contentai de le déstabiliser avant de changer brusquement de direction et de partir ventre à terre en direction de la porte. Ma manœuvre n'avait pas dû durer plus de quelques secondes, durant lesquelles, comme je m'en doutais, aucun des gardes n'avaient eu le temps, ou la présence d'esprit, de faire feu. Pas plus, lorsque je heurtai à pleine charge la porte grillagée, qui s'ouvrit sous le choc.

Sans perdre une seconde je détallai en direction des arbres, au milieu desquels je disparus presque aussitôt, avalée et dissimulée par la végétation dense.

J'étais inquiète pour les autres, mais Whisper ne me laissa pas m'embarrasser de ces considérations humaines et remobilisa toute notre attention sur la traque de Nicolas. Je courus encore un certain temps, slalomant entre les arbres, puis stoppais net dans une sorte de clairière. La piste s'arrêtait à cet endroit et semblait se poursuivre... sous mes pieds ?!

C'est à cet instant que le terrain se déroba sous moi, et que je fus avalée par le sol dans une pluie de terre et d'humus.

Whisper - Ombre Fauve Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant