Chapitre 41-1

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Je déboulai dans une pièce carrée entièrement bétonnée, divisée en quatre cellules par des barreaux d'aciers. L'espace restant formait une sorte de couloir d'environ deux mètres de large terminé par une nouvelle porte. Shane et Storm, le regard braqué sur l'une des cellules, étaient prostrés en plein milieu et me bouchaient la vue.

Le cœur battant à mille à l'heure et l'esprit paralysé par l'angoisse, j'avançai d'une démarche incertaine vers les deux loups. Ils s'écartèrent en m'entendant approcher et je fis les derniers pas me séparant de la porte fracassée de la cellule, mon cerveau peinant à analyser la scène qui me faisaient face. Mon regard papillotait, sans parvenir à se fixer sur quelqu'un ou quelque chose en particulier.

Le visage tuméfié de Thomas, les éclaboussures de sang sur les murs, les sanglots déchirants de Lyn, tout cela me frappa de plein fouet, semblant parvenir en désordre à mon cerveau traumatisé. Puis mes yeux acceptèrent enfin de se poser sur Nicolas. Me tournant le dos et à genoux sur le sol crasseux, il se balançait d'avant en arrière en tenant dans ses bras un corps inanimé. Le soulagement de les savoir en vie et relativement indemne me sembla durer le temps d'un battement de cœur, lorsque ce dernier comprit qui se trouvait dans les bras de Nicolas.

Fébrile et ayant l'impression que mes jambes venaient de se transformer en plomb, je m'avançai, et avec mille précautions pour ne pas l'effrayer, posait doucement une main sur l'épaule de Nicolas.

— Que s'est-il passé ? demandai-je d'une voix aussi légère qu'un souffle, mes yeux embués incrédulement fixés sur le corps sans vie d'Aaron.

— Ils l'ont abattu alors qu'il était maîtrisé, sans aucune raison, juste pour faire un exemple, dit Thomas d'une voix vibrante de rage. C'est Ivory qui a donné l'ordre, j'ai reconnu sa voix même déformée par le téléphone.

Le son déchirant et effrayant qui s'échappa de la gorge de Nicolas, ressemblait plus à un hurlement lupin qu'à un cri humain. Quelque chose au fond de moi, eut envie de joindre ma voix à cette mélopée entêtante et funèbre. Une drôle d'énergie se répandit autour de nous, hérissant les poils de mes bras et deux nouvelles voix vinrent s'unirent à la sienne. Surprise, je tournais la tête vers Shane et Luc qui hurlaient la tête levée vers le ciel.

— Nicolas il faut que tu te calmes, lui dis-je d'une voix frémissante, tellement je luttais pour ne pas me joindre à eux. Nicolas... sinon tu vas entraîner tout le monde avec toi.

Il ne me répondit pas, mais cessa aussitôt son chant lugubre. L'atmosphère demeura électrique et lourde de colère et de chagrin, mais aussitôt plus respirable.

— Nous n'étions peut-être pas toujours d'accord et il a souvent été dur avec moi, mais il était comme un père... il ne méritait pas de finir comme ça.

Son chagrin, sa rage et sa colère se déversèrent dans ces simples mots, semblant leur donner du pouvoir, tandis qu'il caressait une dernière fois le visage du vieux tigre. Puis il le déposa sur le sol avec une douceur infinie avant de se relever et de se tourner vers nos deux nouveaux loups, des éclats meurtriers dans le regard.

— Où sont les prisonniers ? Vous nous avez affirmé qu'ils seraient là !

— Ils y étaient, il y a encore quelques heures, lui répondit Shane en lui indiquant d'un geste, l'une des trois autres cellules vides.

— Il dit vrai, j'ai perçu l'odeur de Grant en arrivant, dit Lyn d'une voix que j'eus du mal à reconnaître tellement elle était ravagée par les larmes.

— Qui sont ces loups ? gronda Thomas en commençant à se relever. Ils sentent comme ceux qui nous ont attaqué.

— Ils étaient contrôlés par une sorcière. Mais à présent ils sont mien et ne sont donc plus une menace dans l'immédiat. Nous t'expliquerons plus tard.

— Ils nous ont aidé à vous tirer d'affaire. Sans eux, pas certain que nous aurions fait le poids, intervint Storm en lui tendant la main.

Thomas, bien que mal en point, n'accepta pas l'aide de Storm et mit un point d'honneur à se remettre debout tout seul, son regard suspicieux braqué sur Luc. Cet homme savait reconnaître le danger et les brebis galeuse en un clin d'œil, pas de doute là-dessus.

— Où mène cette porte ? demanda Nicolas à Shane en s'approchant du vantail en métal cabossé.

— Dans les profondeurs de l'usine. C'est un vrai labyrinthe là-dedans.

— Des issus ?

— Aucune idée. Nous autres, les esclaves, n'étions pas dans le secret des dieux, ironisa Luc de l'autre bout de la pièce. Mais à votre place, je ne me risquerai pas là-dedans tout seul.

— Je ne t'ai pas demandé ton avis. Mon loup et moi avons soif de sang et de vengeance, alors ne me tente pas, gronda Nicolas.

Il n'avait même pas jeté un coup d'œil au jeune loup-garou que ce dernier se recroquevillait sur lui-même, terrassé par l'aura de violence et de mort que dégageait Nicolas. Pourtant, malgré sa posture soumise, sa voix ne l'était pas lorsqu'il reprit la parole.

— Pour info, cette porte est piégée et, si cela vous intéresse, l'un des gardes de la pièce voisine a survécu, balança-t-il comme si cet état de fait l'indifférait totalement.

— Comment peux-tu savoir cela ?

— Quoi ?

— Cesse de me défier, où ce sera la dernière chose que tu feras.

Et en l'espace d'un battement de cil, il fut sur lui, les griffes de sa main semi-transformé à un centimètre de la peau tendre et vulnérable de sa gorge. La peur et un soupçon de respect traversèrent subrepticement les iris couleur de ciel de Luc tandis qu'il déglutissait avec effort.

— C'est le mage qu'il a tué qui me l'a dit, mais je ne le crois pas, intervins-je pour désamorcer la situation.

Je n'aimais peut-être pas ce nouveau loup, mais nous aurions besoin de tout le monde si nous voulions avoir une chance de sauver Grant et la prisonnière inconnue.

— Qu'est-ce qui te rend si sûre de toi ? me demanda Thomas.

— Si la porte était réellement piégée, comment passeraient-ils d'une section du bâtiment à l'autre ? Sans compter qu'en me donnant cette information, qu'il aurait pu sans problème garder pour lui, il perdait sa meilleure chance de nous éliminer. Ce qui était complètement idiot, ce qu'à l'évidence, il n'était pas. Je suis quasiment certaine que c'était une ruse pour que nous n'allions pas fouiner de l'autre côté.

— Ce qui voudrait dire qu'Ivory est peut-être toujours là ?! gronda Storm en rejoignant la porte, la main déjà sur la poignée.

— Shane, Thomas, retournez dans la pièce voisine. Si le loup est lucide et coopératif, prenez-le avec vous et allez protéger Jenny, et...

— Je ne te laisserai pas traquer ce monstre sans moi, réagit Thomas d'une voix peu amène en foudroyant Nicolas du regard.

— Je préfèrerais grandement t'avoir à mes côtés mais tu es blessé, et j'ai besoin de quelqu'un de confiance pour gérer le jeune loup et veiller sur Jenny et... sur son corps, ajouta-t-il d'une voix serrée son regard s'attardant une brève seconde sur le corps sans vie de son ami.

Je vis l'effort que cela demanda à Thomas de rester en retrait, mais il finit par accepter d'un hochement de tête raide.

— Lyn, tu te sens assez d'attaque pour nous accompagner ?

— Je n'ai qu'une envie, pouvoir arracher quelques morceaux choisis de ce salopard avec mes crocs ! Et ces derniers ne se trouve pas dans la partie supérieure de son anatomie !

Même si le lieu et les circonstances ne prêtaient en aucun cas à rire, sa remarque allégea légèrement la tension et je lui en fus très reconnaissante.

— Quant à toi, reprit aussitôt Nicolas en s'adressant à Luc qu'il tenait toujours par le col, tu viens avec nous. Et à la moindre entourloupe, au moindre signe que tu ne joues pas dans le bon camp, je te bute. C'est assez clair pour toi ?

— Limpide, chef. J'étais peut-être un mercenaire, mais je n'ai jamais retourné ma veste, répondit-il d'un ton vexé alors que Nicolas le lâchait. Si j'étais si cher et si demandé, c'est que j'étais fiable. Dans notre milieu, les lâches et les retors ne faisaient jamais de vieux os.

— Très bien, alors. Récupérez tous une arme et allons-y.

Whisper - Ombre Fauve Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant