Whisper - Ombre Fauve Tome 2

Chapitre 4-1

Waahana, rompue aux situations d'urgences, ne perdit pas une seconde et au lieu de céder à la stupeur et à la panique, se précipita vers Thomas.

— Viens m'aider, il faut le mettre sur le lit.

Surprise mais légèrement rassurée par son ton calme et professionnel, j'obtempérai aussitôt. A deux nous n'eûmes aucune difficulté à transporter le corps inerte et pourtant lourd de Thomas jusqu'à son lit, où nous l'allongeâmes.

— Ne te laisse pas intimider par le sang. Un métamorphe peut en perdre beaucoup plus qu'un humain sans que sa vie n'en soit pour autant en danger.

— Il va s'en tirer, alors ?

— Il est jeune et en bonne santé, il n'y a aucune raison du contraire. Ce qui me dérange plus, c'est que tu n'aies pas voulu me dire comment il s'était blessé, ajouta-t-elle en me lançant un bref coup d'œil appuyé tandis qu'elle écartait les pans souillés et déchiré de la chemise de Thomas.

L'exclamation de stupeur sourde qu'elle poussa valait tous les discours et n'augurait rien de bon quant à la suite des événements.

— Qui de vous trois a fait ça ? C'est toi ?

— Non, bien sûr que non...

— Alors pourquoi n'as-tu rien dit ?

— Thomas me l'a fait promettre. Il ne voulait pas semer la panique si par mégarde l'information fuitait.

— Il a voulu vous éviter de vous faire lyncher, oui ! Qui est-ce ? Cooper ? Storm...c'est Storm c'est ça ? me demanda-t-elle après un temps d'arrêt, les yeux plissés et un trait soucieux barrant son front.

— Comment le savez-vous ?

— Cette blessure n'est pas naturelle. Quelque chose l'empêche de cicatriser.

— Quelque chose comme quoi ? Du poison ? Une bactérie ?

— Non, rien d'aussi ordinaire. Cette blessure sent...la magie.

La magie ! Comment était-ce possible ? pensai-je en me repassant la scène en accéléré. Storm n'avait fait aucun geste étrange, ni prononcer aucune formule ? De toute manière, il n'aurait pas su faire ! Avant de devenir un loup garou, il était humain et inspecteur de police. Je n'avais moi-même appris que la magie et les sorciers existaient que récemment, de la bouche de Waahana. Elle avait affirmé à Thomas et Nicolas que j'étais une sorcière. Mais, jusqu'à présent, rien n'était venu étayer son affirmation et je n'avais pas chercher à en savoir davantage.  Soudain, le souvenir des yeux rouge de Storm s'imposa à mon esprit.

— Storm, ses yeux sont devenus rouge et...ce n'était plus lui, murmurai-je avec effort.

— Pendant qu'ils se battaient ?

— Non, après. Nous n'étions que tous les deux. J'en ai tout de suite parler à Thomas mais...il ne m'a pas cru. Pourtant...

Je me tus, ne sachant pas si je devais partager mon sentiment avec Waahana.

— Pourtant quoi ? insista-t-elle avec un claquement de langue.

— Sur le moment, j'étais certaine que...c'était Ivory en face de moi. Mais c'est impossible, il est mort.

Waahana resta un instant, figée, me fixant étrangement. Puis elle se retourna d'un mouvement vif et, fermant les yeux, commença à promener ses mains en un ballet étrange au-dessus de la blessure de Thomas.

— Lyn ! Cesse d'écouter aux portes et va me chercher la grande trousse de soin de l'infirmerie ! dit-elle soudain, me faisant sursauter. En restant discrète, ajouta-t-elle alors que j'entendais déjà des pas s'éloigner dans le couloir. Rose, je vais avoir besoin de ton aide.

Un peu honteuse de ne pas avoir perçu la présence de Lynda de l'autre côté de la porte, je rejoignis Waahana, me demandant bien quelle sorte d'aide j'allais bien pouvoir lui apporter.

— Tu ne savais pas qu'elle était là ? affirma-t-elle en ouvrant doucement les yeux. C'est ton hyper contrôle qui te bloque. Tu dois laisser ta louve fusionner avec toi.

— Je ne peux pas, répondis-je aussitôt sans réfléchir.

— Pourtant tu le fais sans t'en rendre compte, par moment. Quand le souvenir t'est revenu, c'est ta louve qui a permis que tu t'en souviennes, je l'ai senti. Ce sort est insidieux et très puissant. Il est conçu pour ne laisser aucun souvenir et qu'on ne le remarque pas.

— Pourquoi y parvenons-nous alors ?

— Tu le sais, même si tu refuses de l'admettre.

— Je ne refuse rien, m'emportai-je. Je...

— Si Rose. Ouvre les yeux. Depuis la disparition de Nicolas, tu refuses et cadenasse tout ce qui confine à ta nouvelle nature. C'est le seul mécanisme de défense que ton psychisme à trouver pour t'aider à surmonter la perte et le chagrin. Nous t'avons laisser faire, nous avons eu tort.

— Ce sort, c'est Ivory ? Il est toujours vivant ? lui demandai-je d'une voix rendue sourde par la rage et le désespoir.

— C'est une possibilité, me répondit-elle prudemment alors que Lyn entrait dans la pièce aussi silencieuse qu'une ombre.

Elle me lança un regard et un petit sourire d'encouragement alors qu'elle me dépassait pour aller poser la trousse aux pieds de Waahana. Cette dernière s'empressa de l'ouvrir et commença aussitôt à remplir un bol avec différentes herbes et végétaux pris dans une boîte en bois ouvragée. Elle réduisit le tout en poussière à l'aide d'un pilon avant de déchirer un lambeau de la chemise de Thomas qu'elle enfouie dans la poudre ainsi créée. Puis, sortant un récipient en verre, elle y déposa le morceau de tissu avant d'y mettre le feu.

Une odeur acre et désagréable emplie presque aussitôt la pièce, piquant les yeux et me faisant suffoquer. J'essayai aussitôt de respirer par la bouche mais la fumée invisible s'insinua dans ma gorge paraissant la recouvrir d'un film épais et collant.

— Non, n'ouvre pas la fenêtre ! ordonna Waahana à Lyn, d'une voix rauque. Le sort sera plus facile à contrer s'il est piégé dans cette pièce. Respirez normalement, ce que vous ressentez n'est pas réel. Regardez le récipient, il n'y a presque pas de fumée.

En effet, réalisai-je lorsque mon regard se porta sur le bol transparent. Seul un mince filet blanchâtre s'élevait du tissu noirci, presque déjà intégralement consumé. Dès que mon cerveau eut conscience de la réalité, la sensation d'étouffement et de suffocation cessa aussitôt. Je m'essuyai les yeux d'un revers de main et pris une grande inspiration.

— Rose, ouvre ton esprit. Relâche ton contrôle et vois vraiment ce qui nous entoure, me dit Waahana en me faisant signe d'approcher. Les sorts comme celui-ci ont une présence physique pour ceux qui savent regarder.

— Mais je ne sais pas ! Je...

— Rose, j'ai besoin de ton aide ! s'exclama-t-elle en me saisissant par la main. Thomas a besoin de ton aide ! Regarde ! insista-t-elle alors qu'elle m'attirait vers elle d'une traction et sans prévenir me jetai une poudre au visage.