Chapitre 38-1

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Environ quarante minutes plus tard, je me trouvais au volant du vieux pick-up cabossé, Jenny à mes côtés. Tendue à l'extrême elle scrutait avec fébrilité l'obscurité du parking où nous attendions le signal de Thomas. Se tordant les mains, sursautant au moindre bruit, son anxiété saturait l'habitacle d'un fumet acre qui me foutait les nerfs en pelote.

— Tu ne pourrais pas essayer de te calmer un peu ? persiflai-je en jetant un coup d'œil réflexe à l'écran du portable posé entre nous.

— Comment fais-tu pour être si calme ? J'ai toujours la sensation d'être épiée et qu'ils risquent de nous tomber dessus d'un instant à l'autre.

— C'est parce que tu ne vois rien. Avec le stress et l'adrénaline, ton imagination s'emballe, mais je peux t'assurer que, mis à part nous et quelques rats, cet endroit est vide.

— Dit nonchalamment celle qui a une vue bionique et un odorat de limier, balança-t-elle d'un ton acrimonieux et suintant d'envie, le regard toujours braqué sur la vitre enténébrée.

Je ne répondis pas, ne souhaitant pas augmenter la colère qui commençait à tourbillonner autour d'elle. Cette attente commençait à me peser lourdement, augmentant mon stress et mon appréhension. Mais il était impératif que nous attendions que tous les autres soient en place avant d'entrer en scène. Même si, soyons parfaitement honnête, j'aurais cent fois préféré être coincée dans cette vieille poubelle sentant le cendrier froid avec Nicolas plutôt que Jenny.

— Pourquoi toi ? marmotta-t-elle entre ses dents avant de se tourner brusquement vers moi. Pourquoi t'a-t-il transformé toi, alors qu'il me l'a refusé ? Tu étais bien humaine avant, comme moi ?

— Tu sais très bien pourquoi, j'étais mourante ! lui répondis-je, sentant ma dernière once de patience s'évanouir.

— Parce que tu penses vraiment qu'il me transformerait si j'étais à l'article de la mort ?!

Je réfléchis sérieusement à la question et ne parvins pas à une réponse franche et claire. Serait-il tenté de le faire si elle était en train de mourir devant lui ? Sûrement, car c'était dans sa nature cachée de Saint-Bernard, mais le regretterait-il ensuite ? Encore plus certainement, vu le caractère de Jenny. Ne pouvant pas risquer de lui dire cela de peur qu'elle ne tente un truc mortellement stupide, je cherchai mes mots pour trouver un mensonge crédible.

— Tu sais, j'ai conscience de passer pour une gamine stupide et irresponsable, murmura-t-elle soudain d'une voix fragile. Mais cela n'a rien d'un caprice irréfléchi.

— Comme dérober le seul moyen de communication de la personne sensée de protéger, avant de te cacher dans le coffre de notre voiture, n'en était pas un ?! Ce que tu as fait était dangereux et totalement irresponsable.

Durant un instant, elle me fixa d'un regard dur et coléreux, avant de finalement baisser les yeux.

— Avec le recul, je ne suis pas fière de ce que j'ai fait. Mais quand j'ai compris que Waahana allait me droguer, je me suis sentie trahie et... je n'ai pas réfléchi.

— Tu comprends quand même, que c'est ton comportement général qui nous a poussé à faire ça ?

— Ah bon ! Et quel comportement exactement ? Hormis mon désir de devenir un loup-garou, je n'ai jamais rien fait pour trahir votre confiance. Je suis même venue vous voir dès que ces salauds m'ont contacté ! C'est vous qui avez un a priori sur moi depuis le début !

Je m'apprêtais à répliquer et me rendis compte, qu'elle avait raison. Nous l'avions tenu à l'écart de tout comme une pestiférée alors que son père venait juste de disparaître et qu'elle se retrouvait seule avec une bande d'inconnus. L'aurions-nous traité de la même façon si elle, n'avait pas été humaine ? Certainement, et cette constatation me remplie de honte.

— Ne te fatigue pas, j'ai l'habitude. J'avais juste espéré que tu serais différente, ou que tu verrais au moins les choses autrement, vu qu'il y avait encore peu de temps tu étais humaine. J'ai merdé, j'en ai bien conscience, surtout maintenant que je vais me jeter dans la gueule du loup, mais vous aussi !

— C'est vrai, tu as...

La vibration s'élevant du portable, résonna soudain dans l'habitacle nous faisant sursauter et me coupant la parole.

— C'est parti, dis-je après avoir lu le SMS laconique de Thomas et enclenché le contact.

Le bruit du moteur se réverbérant sur les murs de béton à travers les niveaux vides, me sembla assourdissant et fit grimper mon anxiété et mon taux d'adrénaline dans le rouge en moins d'une demi-seconde. Je sentis Jenny se raidir à mes côtés tandis que nous sortions enfin du souterrain abandonné. J'entrouvris légèrement les vitres, laissant l'air frais de la nuit pénétrer dans l'habitacle et chasser les relents nauséabonds d'humidité, de moisissure et d'urine.

— C'est la seule chose qui me dérangerait, je pense, dit Jenny d'une voix pensive alors que nous nous arrêtions à un feu rouge dans l'attente de tourner à droite.

Nous devions contourner au moins trois pâtés de maisons et revenir sur nos pas pour ne pas éveiller les soupçons en arrivant du mauvais côté.

— Quoi ? lui demandai-je, plus pour faire la conversation qu'autre chose, les yeux rivés aux rétroviseurs tandis que je redémarrais.

— L'odorat. C'était déjà limite irrespirable pour moi dans ce parking, alors je n'ose même pas imaginer avec un odorat de loup !

— Il parait qu'avec de l'entrainement, j'aurais pu te donner le nombre exact de personne ayant uriné, vomi, ou pire encore, dans l'entièreté du bâtiment ! Sans parler du décompte des colonies de champignons !

Du coin de l'œil je vis les yeux de Jenny se plisser et les commissures de ses lèvres se relever tandis qu'elle luttait pour ne pas rire. Je quittai la route des yeux un quart de seconde et croisait les siens. Nous nous sourîmes brièvement et l'atmosphère s'allégea aussitôt.

— Tu sais, lorsqu'on se sera sorti de ce guêpier, si tu es patiente et que tu laisses à Nicolas le temps de te connaître peut-être... qu'il pourrait changer d'avis ? lui dis-je doucement.

— J'ai conscience d'avoir été trop insistante et... mais lorsque j'ai découvert votre existence, c'était comme un rêve qui devenait réalité. Tu comprends, si je devenais un loup-garou, mon père ne serait pas obligé de me voir vieillir et mourir...

— Non, mais tu inverseras les rôles, c'est toi qui devras assister à sa vieillesse et à sa mort. Tu es vraiment prête à cela ?

— Il a déjà perdu ma mère et a renoncé à sa vie pour m'élever et me protéger. J'aimerai justement être en mesure d'inverser les rôles et qu'il n'ait plus à s'inquiéter pour moi.

— Un parent s'inquiétera toujours pour son enfant, qui que celui-ci devienne, lui dis-je avec douceur. Mais je comprends ce que tu ressens. Si on s'en sort vivant, je te promets de parler à Nicolas.

— Tu penses vraiment que l'on a une chance ?

— On va très vite le savoir, lui dis-je en lui tendant le portable. Planque-le, on arrive.

Je tournais une nouvelle fois dans la rue menant aux docs et parvenue à l'aplomb des deux immeubles de trois étages formant l'entré des quais, tournai à gauche. La voiture n'avait pas parcouru trois mètres que deux hommes sortirent de l'ombre me forçant à piler pour les éviter.

Intégralement vêtus de noir, capuches rabattues surla tête, ils ressemblaient à deux ombres silencieuses. Ils contournèrent lavoiture sans un bruit avec une synchronisation et une rapidité dérangeante. Puissans que nous ayons le temps de comprendre ce qu'il se passait, les vitres explosèrentet nous nous retrouvâmes avec les canons de leurs fusils braqués sur la tempe.

Whisper - Ombre Fauve Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant