Chapitre 38-2

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— Sortez du véhicule, les mains en évidence. Et à votre place, j'éviterai de faire des gestes brusques.

La voix féminine qui émit cet ordre d'un ton calme et agréable n'appartenait à aucune des deux brutes qui nous tenaient toujours en joue, aussi muets que des carpes. J'en cherchai aussitôt la source et ne tardai pas à apercevoir une silhouette longiligne drapée dans un imperméable noir, postée à environ trois mètres de nous. Une secousse désagréable contre mon crâne me rappela à l'ordre avant que le garde ne commence à ouvrir doucement la portière.

— Au risque de me répéter, pas d'acte de bravoure stupide, ni de mouvement suspect, car Milou et Rintintin, là, n'hésiteront pas une seconde à tirer.

Les noms des deux gardes, crachés avec un mépris et un sarcasme évident, ne pouvait être que des sobriquets dégradants, me laissant à penser que nous avions à faire à des métamorphes loups ou a des loups-garous. Pourtant aucun ne réagit et j'avais beau me trouver à un mètre de l'un deux, son aura était comme inerte et ne m'apprenait rien. Nous finîmes par nous retrouver hors du véhicule et les deux hommes nous poussèrent en avant de leurs armes pour nous faire avancer et stopper à quelques mètres de la silhouette enténébrée qui semblait nous attendre.

À notre approche, elle sortit de l'ombre et marcha à notre rencontre d'un pas tranquille et assuré. Elle était grande et svelte avec de magnifiques cheveux bruns cascadant dans son dos en ondulations soyeuses, mais son visage gâchait l'ensemble. Ses traits quelconques ne semblaient pas cadrer avec son corps de top model et quelque chose dans son regard vous glaçait, la rendant presque laide. Je frissonnai imperceptiblement alors qu'elle me détaillait de son regard étrange, un sourire inquiétant étirant ses lèvres molles.

— Et si nous abrégions ce suspens insoutenable, qu'en pensez-vous ? Dites à vos amis de sortir de leurs cachettes. Quoi qu'ils aient en tête, ils ne passeront pas notre système de sécurité.

— Je ne vois vraiment pas de quoi...

— Arrêtez ce petit jeu, Rosaline, me balança-t-elle sans se départir de son sourire. Comme vous pouvez le constater, nous savons très bien qui vous êtes.

— À l'évidence, non, puisque je m'appelle Rose, lui rétorquai-je aussitôt pour tenter de masquer ma surprise et ma peur.

— Allons, nous savons tous ici que ce n'est pas votre nom de baptême. Votre mère nous a beaucoup parlé de vous, vous savez ?

À l'entente de ces mots, mon cœur me remonta dans la gorge et je chancelai. Ça ne pouvait pas être vrai, c'était forcément du bluff.

— Elle est encore en vie ? m'entendis-je demander malgré tout, d'une voix que je ne reconnus pas.

— Et mon père ? demanda à son tour Jenny.

La femme s'esclaffa d'un rire faux et méchant, tout en s'approchant de quelques pas, faisant claquer ses talons hauts sur le bitume humide.

— Expliquez-moi pourquoi nous aurions dû vous faire cette faveur, jeune humaine ? Puisque vous n'avez même pas daigné répondre à notre proposition, s'enquit-elle d'une voix mielleuse, faisant courir ses ongles rouge sang manucurés sur la joue de Jenny.

La jeune fille tremblait comme une feuille, inondant les alentours des relents de sa peur. Pourtant elle soutint le regard de la femme sans faillir et je dus faire un effort surhumain pour ne pas me jeter sur elle.

— Parce que je lui aie dit de ne pas le faire, me contentai-je de dire d'une voix que la fureur rendait tremblante.

— Oh ça, je veux bien vous croire, minauda-t-elle en se tournant vers moi. Après qu'elle soit aller cafter, ce que nous lui avions expressément demander de ne pas faire ! Ne vous fatiguez pas à essayer de me baratiner. Je sais exactement qui est présent et combien vous êtes. Dites-leurs de se montrer ou je les ferais abattre sur le champ malgré les ordres que j'ai reçu.

Perdue et paniquée, je ne parvenais pas à déterminer si elle mentait ou non. Mon cerveau saturé d'adrénaline cherchait désespérément quoi dire ou faire pour nous sortir de ce pétrin, mais mon instinct semblait m'avoir abandonné.

— Alors, on a perdu sa langue ? siffla-t-elle méchamment, m'envoyant son haleine chaude à la figure.

L'odeur étrange, à la fois sucrée et acre, sembla s'accrocher à ma peau comme une brume nauséabonde et collante. L'aura de cette femme était dérangeante et bizarrement absente. Je la ressentais mais sans pouvoir la percevoir. Tout en elle me hérissait et activait tous mes signaux d'alarme sans que je n'arrive à déterminer ce qu'elle était exactement.

— Tu te demandes si je bluff et à qui tu as à faire, hein petite louve ? Sache que tu n'as jamais rencontré quelqu'un comme moi et que je ne bluff jamais, me dit-elle en entaillant ma joue de son ongle acéré.

Je sursautai et retins de justesse le cri qui avait failli jaillir de ma gorge. Elle me fixa, un sourire démoniaque sur les lèvres tandis qu'elle portait son doigt à sa bouche et le léchait d'un mouvement de langue obscène.

— Humm... délicieux.

Jenny devint soudain aussi blanche qu'un cadavre et je crus qu'elle allait s'évanouir. Elle vacilla et l'un des gardes, que j'avais presque oublié, dû la stabiliser pour ne pas qu'elle ne s'écroule.

— Maintenant, fini de jouer ! reprit-elle d'un ton dur, son sourire disparaissant enfin de son visage. Montrez-vous ! Si à trois, je n'en ai pas au moins un devant moi, je fais tuer les quatre autres.

Elle s'immobilisa soudain et son regard se fixa sur l'horizon. Ses yeux se vidèrent de toute humanité et un vortex de pouvoir commença à se former autour d'elle. Mes poils se hérissèrent et je dus lutter pour ne pas fuir devant cette débauche de puissance noire et corrompue.

Profitant de la diversion qu'elle m'offrait, je me laissai soudain tomber au sol et d'un mouvement circulaire envoyai ma jambe faucher les pieds de l'homme me tenant en joue. Mais malgré ma vitesse, le garde évita ma jambe en sautant négligemment par-dessus avant de m'empoigner par les cheveux et de glisser une lame sous ma gorge. Le fusil ayant mystérieusement disparu entre-temps.

— Vous me décevez, jeune fille, soupira la femme d'un ton théâtral, son regard toujours plongé dans le néant. Dommage, vous venez de faire tuer l'un de vos amis...

— Arrêtez ! rugit soudain la voix de Nicolas, alors qu'il se laissait tomber du surplomb caché dans l'ombre sur lequel il se dissimulait.

— Aaah ! Le grand méchant loup se décide enfin à venir jouer ? ronronna-t-elle en se tournant aussitôt dans sa direction, les yeux à présent fermés.

Lorsqu'elle les rouvrit, ils avaient repris leur teinte marron habituelle et elle les braquait sur Nicolas en se léchant les lèvres dans une moue plus ridicule qu'aguicheuse.

— Maintenant, dit aux autres de nous rejoindre ici. Contrairement à tes... amies, tu dois savoir ce que je suis et donc, ce dont je suis capable ?

— Les abominations comme toi, n'existent plus.

— Ah ! Dois-je te rappeler que tu fais aussi parti du bestiaire des espèces disparues ? ironisa-t-elle dans un rire de gorge qui claqua comme un coup de fouet dans le silence. Pourquoi seriez-vous les seuls à avoir survécu à... l'épuration ?
— Parce que, contrairement à vous, nous n'avons pas choisi de devenir des monstres. Vous, si.

— Toujours ce jugement, souffla-t-elle en s'approchant de Nicolas. Pourtant, je ne suis qu'une simple humaine. Pas un monstre bestial comme toi, ronronna-t-elle en avançant la main vers son visage.

Sans pouvoir m'en empêcher un grondement sourd s'éleva de ma gorge. Je ne voulais pas qu'elle le touche. Quoi qu'elle puisse affirmer, cette chose n'était pas humaine et le regard ambré rempli de haine et de dégout que Nicolas fixait sur elle, confirmait mes pensées. Pourtant lorsque sa paume toucha sa joue, il ne bougea pas.

— Ne le touchez pas ! rugis-je en tentant de me dégager.

Mais l'homme renforça sa prise sur mes cheveux et enfonça un peu plus la lame dans ma chair, me forçant à rester en place dans un gémissement d'impuissance et de douleur.

— S'il ne bouge pas, c'est parce que c'est un bon toutou et qu'il sait très bien ce qu'il t'arrivera s'il se dérobe.

— Touche à un seul de leurs cheveux, sorcière, et je n'aurais plus aucune raison de me retenir.

Whisper - Ombre Fauve Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant