Je m'étire de tout mon soûl sous les draps, après une nuit sans rêves et une grasse matinée bien méritée. Seule la lumière qui perce les stores parvint à me donner la force de me lever.
La journée se poursuit par une après-midi de cours durant laquelle toutes les conversations sont portées sur le rendu dudit mémoire. Je n'éprouve vraiment aucun plaisir à parler de ce sujet qui m'irrite encore et quitte le campus dès la fin du dernier amphi pour me rendre au Comptoir.
L'envie d'André est toujours présente, mais les pulsions sont désormais plus contrôlables. Ses allusions m'émoustillent toujours autant et il en joue. Je ne suis pourtant pas en manque, puisqu'Alexandre, qui bosse juste en face, répond présent au moment où je quitte le Comptoir et me permet d'assouvir mon désir de chair. C'est ce point-là, justement qui m'excite plus que tout. Qu'ils travaillaient en face l'un de l'autre. Je sais qu'Alexandre peut me voir de la fenêtre du restaurant quand je suis au Comptoir ; de même qu'André n'est pas dupe quand je m'éclipse avec Alexandre en fin de soirée. Le sujet n'a jamais été abordé cela dit. Ni avec l'un, ni avec l'autre. Mais je les vois se toiser, se lancer des regards sombres quand ils se croisent. Évidemment, les savoir jaloux ne fait qu'augmenter mon plaisir. Mis bout à bout, cela ressemble à une relation normale, qui commence par un jeu de la séduction et se termine au lit. Mais, dans ce cas précis, je flirte avec l'un et couche avec l'autre. Le fait qu'ils passent leur soirée à se jauger de part et d'autre de la rue n'est qu'un bonus que me permet l'agencement coquin du quartier.
Cela dit, il est vrai que toute cette organisation commence à sérieusement puiser dans mon énergie, les journées bien pleines au boulot, le rendu du mémoire, les soirées passées au Comptoir et les nuits sauvages avec Alexandre, finalement il n'y a bien que pendant les heures d'amphi que j'arrive à me reposer !
J'ai grand besoin d'une bonne nuit de sommeil. Et puis, il faut bien que je commence à me réapprivoiser mon lieu de vie. Je n'ai pas réussi à y passer une seule soirée seule et sobre depuis que Marc est parti. Je me souviens encore de la première fois que j'ai visité cet appartement, un coup de cœur immédiat, avec sa jolie cheminée en marbre, le parquet ancien et le bar séparant la cuisine de la pièce à vivre. Depuis que Marc a déménagé, je n'ai rien changé de la décoration intérieure, qui ressemble encore au nid douillet que sa mère avait en grande partie décoré. Si, un détail a changé tout de même ; le grand miroir posé à même le sol de la chambre ne renvoie plus les scènes câlines d'un couple amoureux. J'ai eu beau enlever les cadres de photos en espérant dédiaboliser le lieu, il manque tout de même une présence. L'air est lourd de souvenirs et du spectre des temps à deux. Je vais devoir apprendre à y vivre seule. Me réinstaller chez moi une seconde fois, cette fois en tant que jeune fille célibataire.
J'avais prévu de voir Ezra ce soir, mais j'annule, cause de fatigue et surtout manque d'envie. Bien que j'aie apprécié la remise en selle, Alexandre s'avère désormais être la monture la plus adéquate.
Tout de même, si je fais un topo de la situation, je me considère heureuse. Je ne suis ni fâchée, ni en colère, ni triste. Seulement, parfois, j'ai l'impression d'un grand vide dans mon ventre. Comme une partie de moi-même que j'aurais oubliée, un sentiment d'amnésie partielle. Je me sens détachée, amortie, comme sous anesthésie. Mon cœur a été recouvert de papier bulle à mon insu. J'attends, farouche, le jour du réveil de mes sens.
J'imagine que ça doit faire ça, aux personnes qui se réveillent du coma, la tête vide de souvenirs et à qui on raconte leur paisible vie de famille d'avant le drame. Ils regarderaient les albums photos qu'on leur montrerait, les vidéos prises sur caméscope, ils seraient bien obligés de reconnaitre qu'il s'agit d'eux. Ils auraient peut-être même l'impression qu'ils s'en souviennent, des déjeuners près du lac ou des premiers pas de la petite, mais une fois tout le monde parti, les laissant seuls sur le lit d'hôpital, ils sauraient au fond d'eux que tous ces souvenirs ne leur appartiennent pas. Ils ne se souviennent pas. Ce ne sont pas vraiment eux qui ont serré ces corps quand ils partaient au travail ou à l'école, pas eux non plus qui veillaient la nuit quand l'ainé avait de la fièvre. Seul le néant du coma est leur vérité. Un vide, un froid, une interrogation.
Si j'essaye de décrire ce sentiment, l'image qui s'en rapproche le plus est celle d'une poule qui continue à courir après qu'on lui ait coupé la tête.
Ce fameux mal que je suis censée aller chercher au fond de moi pour exorciser ma rupture, comment localiser ma souffrance si je ne la ressens pas ?
Pour une fois, comme il est encore tôt quand je quitte le Comptoir, j'emprunte les petites rues pour rentrer jusqu'à chez moi. Passant devant mon caviste habituel, que j'ai boudé depuis la rupture, je décide de m'y arrêter et de m'offrir une bonne bouteille pour fêter en solitaire le rendu du mémoire. Malgré le fait qu'il ne m'ait pas vue depuis des semaines, il me salue d'une accolade amicale. Il faut dire qu'on se connaît bien, depuis le temps. Il a compris pour Marc et moi, à force de ne plus nous voir, mais il se demandait si nous avions carrément déménagé tous les deux ou s'il allait revoir une de nos têtes réapparaître un de ces quatre.
S'il ne m'a pas vu depuis si longtemps, c'est parce que je suis au Comptoir tous les soirs.
Il ne me pose aucune question sur Marc, mais me demande de patienter « attends une seconde Alex, j'ai quelque chose pour toi », avant de ressortir de l'arrière-boutique avec une bouteille à la main. Pas n'importe laquelle ! Une bouteille d'Insolite, le vin qu'avait choisi Marc pour l'anniversaire de nos deux ans ! Il ne peut évidemment pas savoir que ça me rappelle ce souvenir en particulier, il avait juste marqué sur son fichier (à notre demande) : commander Insolite, mettre une bouteille de côté pour Marc et Alexandra.
Je sors de la boutique et traverse la rue sans regarder. Je monte les marches deux par deux jusqu'à l'appartement, débouche la bouteille, range un peu le salon en laissant le vin s'aérer ; j'allume quelques bougies parfumées, tire les rideaux et m'assois confortablement sur le canapé. Je me sers, fais tourner le liquide quelques secondes, bats des cils au-dessus du verre en humant son parfum, y trempe mes lèvres.
Cette saveur de poire acidulée et de jasmin, une robe chaude, un voyage dans le temps.
Au fond de mon verre, je redécouvre les images de cette soirée en question. L'arrivée les yeux bandés à l'hôtel Amour, les pétales de roses sur le lit et un seau à champagne sur le bar. Marc avait sorti de son cabas deux bouteilles d'Insolite et avait dit : « Une pour notre anniversaire, l'autre parce que je t'aime. Alex, tu es la chose la plus merveilleuse et la plus insolite qui me soit arrivée dans la vie. »
La suite qu'avait réservée Marc était sublime. Notre immense terrasse privative surplombait la cour intérieure et quelques parasols ouverts remplissaient à merveille leur mission de nous isoler complètement du monde extérieur, des Autres. Le mur végétal nous avait enveloppés dans un drap de verdure, à l'occasion de cette soirée magique, en plein milieu de la capitale.
Nous avions dîné sur la terrasse en commandant au room service, avant de rejoindre la chambre où la fête avait duré toute la nuit.
Nous avions déjà commencé à consommer la soirée quand l'idée d'honorer le nom du vin s'était présentée de la façon suivante : j'avais renversé la moitié de mon verre sur mon torse. Tout avait dégouliné entre mes seins et sur son ventre, jusqu'à mon entre-jambe. Invitant Marc à boire le vin à même ma peau.
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Love
ChickLitOn en connaît tous des histoires d'amour qui commencent bien et qui finissent mal. Mais des ruptures qui commencent bien, vous en connaissez beaucoup ? Et bien, c'est le cas pour Alexandra. Après avoir claqué la porte sur trois années de vie de c...