Chapitre 32 ; Tattoo shop

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Depuis ma rencontre avec Fred la veille de la rentrée, nous avons un peu échangé par textos jusqu'à la date du premier rendez-vous. Évidemment, je n'avais pas du tout prévu d'arriver en super gueule de bois, après une nuit passée avec Marc, à démanteler méthodiquement tous les raisonnements qui m'ont poussé à le sortir de ma vie.

Je passe la porte du shop à treize heures, avec une tête terrible. Fred comprend de suite. Heureusement, il m'a réservé le reste de sa journée. Au lieu de commencer le tatouage, il commande des sushis, que j'avale avec plaisir, puis me propose de me reposer quelques heures sur le canapé à l'étage, pendant qu'il peaufine le dessin. Une fois requinquée, il commence à préparer la table et son matériel, nous sommes enfin prêts vers dix-sept heures.

Comme il me tatoue les côtes, je suis à moitié nue devant lui ; je couvre néanmoins ma poitrine, consciente que cela ne rajoute qu'un peu plus à la tension sensuelle, déjà palpable. Quand l'aiguille commence à s'immiscer bruyamment sous ma peau, un plaisir douloureux vient tétaniser mon épiderme et dessiner un sourire crispé sur mon visage. Le temps d'apprivoiser la sensation de brûlure électrique, je me perds dans la contemplation du décor environnant : des planches de dessins et des calques accrochés au mur, des têtes de mort, des carpes, mais aussi des objets étranges disposés sur les étagères : un crâne de casoar sous une cloche de verre, un bouledogue en capsules de bières, des bouteilles d'encre multicolores et, au fond de la pièce, un squelette à taille humaine portant une casquette de marin... Un univers plutôt divertissant quand on doit rester immobile pendant plusieurs heures dans la souffrance. Je sens Fred concentré et ne souhaite pas perturber les premiers instants de tracé par une conversation futile.

Au bout d'une bonne heure, je demande une pause clope. Surtout une excuse pour briser le silence. Je me suis mise en tête que ce premier rendez-vous serait en quelque sorte notre premier « date ». J'ai donc apporté avec moi une petite bouteille de Jack Daniel's, que je sors de mon sac avec une moue coquine, confirmant dès lors mes intentions peu conventionnelles. Il me taquine en me disant que ce n'est pas super prudent de le faire boire pendant qu'il me tatoue. J'ignore le commentaire et nous partageons tout de même la bouteille au goulot, puis il rajoute sur le ton de la plaisanterie que si j'ai vraiment envie de rigoler, il a quelques buvards dans un tiroir. Et par cette petite phrase lâchée comme un défi, il réussit à m'avoir à mon propre jeu.

Je voulais le surprendre par mon indécence, voilà qu'il monte la barre encore plus haut. D'habitude, c'est MON astuce drague : appâter en épatant ; en étant celle qui pousse le jeu encore plus loin. Là, c'est Fred qui vient de remporter la partie, en me proposant un buvard en pleine séance de tatouage. Évidemment, cette folle idée me semble être la meilleure du monde.


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