Chapitre 24 ; Apocalypse

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La découverte de Dubrovnik et de ses environs compte parmi les plus beaux trésors de cette escapade. Une route défilant le long d'une falaise vertigineuse, les bateaux de plaisance traçant des lignes abstraites sur l'eau, les îles se détachant de la brume au loin et la vieille ville, forteresse théâtralement perchée sur les hauteurs. La pierre, qu'elle soit travaillée par la main de l'homme ou conservée en son état naturel, s'allie à merveille pour offrir, en plus d'un retour vers le passé, une impression d'éternel. L'ombre dans les ruelles étroites, le vent qui s'infiltre de façon ingénieuse dans quelques fissures ou portes laissées ouvertes, quelques linges blancs qui sèchent et saupoudrent l'air d'un parfum de propre ; le tour de maître de rendre une ville aussi ludique qu'un labyrinthe dont tous les coins seraient des issues possibles.

Nous découvrons avec plaisir le frisson des perspectives exiguës et de la pierre polie ; les balcons toujours fleuris et les chats affalés sous la chaleur de midi. Après avoir déjeuné d'un succulent calamar grillé à l'ombre d'un grand tilleul, il est grand temps d'entamer la remontée vers l'Italie.

Après deux journées passées principalement à rouler, nous voilà quasiment de retour à la civilisation quand un vent puissant se lève. Les coups de tonnerre résonnent au loin et la lumière de fin de journée teinte les nuages d'un violet pourpre tout à fait magistral. Nous nous arrêtons pour passer la nuit sur les rives d'un lac d'eau douce, observant comme des petites scientifiques en herbe la foudre strier le ciel à intervalles irréguliers.

Derrière nous, une montagne dont nous ne percevons pas la cime défie l'orage d'approcher, nous plaçant ainsi dans une position neutre, entre les deux forces de la nature. L'air électrique a tu le piaillement des oiseaux, quand soudain, un craquement sourd secoue le sol sous nos pieds, parcourant nos corps d'un courant puissant, hérissant tous nos poils en un instant. Le spectacle est si beau, les sensations pourtant décuplées ne laissent même pas place à la peur.

Rox se charge de ramasser des brindilles et des branches afin de confectionner un feu pendant que je prépare le dîner. Des feux, nous en avons allumé des paquets en colonie de vacances, il en faut plus que l'approche d'un orage pour nous faire renoncer ! Et puis, quand la tempête aura fait baisser la température, nous serons ravies de pouvoir nous réchauffer les mains en regardant les premières gouttes tomber.

Plusieurs heures passent sans qu'une goutte ne soit lâchée du ciel tourmenté ; lourd, vivant et colérique. Le feu a baissé d'intensité au moment où je récupère les grosses pommes de terre et les aubergines qui ont rôti dans les braises. Nous sommes toutes deux conscientes que nous partageons là notre dernier repas dans la nature ; notre dernière nuit de liberté. L'orage nous accorde le temps de profiter de ce dernier moment avant de nous obliger à nous enfermer de nouveau entre quatre murs.

Une odeur très particulière règne ce soir, la fumée de notre modeste feu de camp, mais aussi d'autres branches calcinées au loin par la foudre. Arrive aussi, des berges opposées du lac, une odeur de foin mouillé ; c'est peut-être l'odeur de l'apocalypse, si ce n'est celle de la fin des vacances.


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