Mi-juillet
Je dispose les plantes dans la baignoire et veille à leur laisser suffisamment d'eau pour tenir jusqu'à mon retour. Je préfère ça plutôt que de laisser les clés à la voisine. Je n'aime pas l'idée qu'elle puisse s'immiscer chez moi en mon absence et fouiner dans mes affaires. Je prends quelques minutes pour vérifier les derniers détails de ma valise, débranche les prises, avale un expresso corsé, coupe l'eau au compteur et roulez jeunesse ! Lunettes vissées sur la tête, je claque la porte de mon petit nid douillet en prends le métro direction la gare Montparnasse.
Ces vacances, c'est ma chance de faire une coupure nette entre cette année scolaire et la prochaine et essayer de recommencer du bon pied ! L'esprit léger qui plus est, car je viens de recevoir mon bulletin scolaire confirmant la validation de mon année !
Le projet a germé dans ma tête peu avant la rupture ; des mois en amont, j'avais su évaluer ce dont mon corps et mon esprit auraient besoin en cette période précise. Comme une prémonition du type de remède qu'il faudrait à un mal qui n'était même pas encore présent ; et ce remède, c'est plus qu'un voyage, c'est un road trip. Une bouffée d'air frais, un bol de vitamine D, un retour au sentiment de liberté qui m'est si cher, un chemin tracé vers la découverte de mon nouveau moi !
Ce n'est qu'en arrivant devant le panneau d'affichage des trains que je commence à déchanter. La SNCF prévient les usagers que suite à de violents orages sur la voie Paris-Bordeaux, le trafic est fortement perturbé. Je lève les yeux pour plus d'informations, mais seule l'heure initialement prévue de mon train est affichée ; et contrairement à d'autres, aucune mention de retard n'est précisée. J'ai encore espoir.
Après d'innombrables allers-retours entre le parvis de la gare pour fumer des clopes dont je n'ai pas envie, le kiosque à journaux pour feuilleter les magazines de psychologie féminine et la buvette pour hésiter entre un croissant et un jambon-beurre, la sentence tombe. Mon train affiche un retard de quatre heures.
Si je me retrouve dans cette galère, c'est parce que j'ai prévu de rejoindre Roxane à Biarritz, où elle passe la première partie de ses vacances en famille, puis rouler avec la voiture de ses parents jusqu'en Italie pour récupérer un « camper van » et aller passer quelques semaines à crapahuter sur les rives de l'Adriatique.
Plus de quatre heures après le départ initialement prévu du train, une voie s'affiche enfin sur l'immense panneau. Je ne désire plus qu'une chose : prendre place à bord, dormir jusqu'à destination et oublier cet accroc au parcours des vacances.
Si seulement ... J'ai pris le départ de mon train pour un retour à la normale sur la ligne. Mais loin de là ! Pendant la majeure partie du trajet, le train circule au ralenti, quand il n'est pas carrément arrêté en pleine voie.
La prise de parole à répétition du personnel SNCF m'empêche de dormir comme je l'aurais souhaité et pour couronner le tout, mon téléphone ne capte aucun réseau pour me sortir de l'ennui.
Déjà plusieurs heures se sont égrainées avec lourdeur et pessimisme, telle une peine d'emprisonnement injustifiée ; l'agacement des passagers devient contagieux à mesure que le wagon-bar se remplit de personnes et se vide de vivres. Je m'occupe en dessinant des petits soleils sur la buée de la vitre et suis du regard les lignes blanches des avions dans le ciel. Le plus exaspérant dans tout ça, c'est qu'il n'y a pas un seul nuage. L'orage s'est volatilisé après avoir ruiné ma journée. Si ce n'est pour la présence de grosses branches déblayées sur le côté de la voie, je pourrais croire que toute cette histoire d'intempéries n'est qu'un mensonge.
Avançant toujours au ralenti quelque part entre Poitiers et Angoulême, je remarque qu'il commence à se produire un phénomène étrange. Au lieu de s'énerver de plus en plus, l'humeur générale commence à s'égailler. Conscients du sac de nœuds indémêlable dans lequel nous sommes bloqués, plus aucun incident n'étonne. C'est même avec une franche tranche de rire qu'on accueille les trois notes de musique si caractéristiques qui précèdent l'annonce d'information aux voyageurs. La situation devient de plus en plus farfelue :
« Mesdames, Messieurs, le chef de gare nous informe que toutes les voies sont occupées en gare de Bordeaux. Nous devons attendre qu'une voie se libère pour entrer en gare. Pour le moment, notre train est arrêté en pleine voie, ne tentez en aucun cas d'ouvrir les portes pour sortir du train. Merci de votre compréhension. »
« Mesdames Messieurs, la buvette du wagon-bar va fermer, car il n'y a plus aucun produit à vendre. Une fois arrivés en gare de Bordeaux, nos services mettront gracieusement à votre disposition des bouteilles d'eau et des en-cas. »
« Mesdames, Messieurs, notre train est immobilisé en gare de Bordeaux. Notre conducteur, ayant fini sa journée, est rentré chez lui. Nous essayons de trouver un autre conducteur pour que notre TGV puisse finir son trajet jusqu'à la gare d'Hendaye. »
C'est justement en gare de Bordeaux, alors que nous attendons qu'un autre conducteur ait la bonté de venir nous sauver, que l'ambiance a complètement basculé. Une grande partie des jeunes présents à bord devaient se rendre aux fêtes de Bayonne, où leurs amis les attendent déjà. Considérant l'ampleur du retard et face à l'impossibilité de pouvoir prédire notre hypothétique arrivée à destination, le groupe prend le parti de commencer à festoyer directement dans le train. Dans une espèce de consensus mutuel, nous acceptons la situation et nous nous attelons à redresser la barre pour que cette journée de galère se finisse dans la bonne humeur. Après tant d'heures passées dans le même espace restreint, les visages ne sont plus tellement étrangers.
Nous sommes tous dans la même galère. Individuellement, nous avons attendu, râlé, ruminé ; ensemble nous avons espéré, désespéré et subi, si bien qu'aux premiers décapsulages de bières, un groupe d'une nouvelle force prend naissance. Des dialogues entre voisins s'échappent les anecdotes « des fêtes » des années précédentes. Les foulards rouges commencent à sortir des sacs. Résignés, mais lucides, cette année, la fête se passera ici, assis sur le quai de la gare de Bordeaux.
Derrière les murs de la gare, le soleil se couche déjà, la vie continue.
Il est toujours agréable d'assister à des revirements de situation telle que celle-ci, où plutôt que de s'enfoncer encore plus bas dans la frustration et le dégoût, les âmes s'allient et prennent le contre-pied d'un désagrément afin d'offrir un moment unique de complicité et de partage.
C'est donc dans une ambiance festive et joviale que se termine ce périple qui aura duré plus de quatorze heures !! De Paris pour enfin, arriver à Biarritz, et retrouver Roxane pour commencer le road trip.
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Love
ChickLitOn en connaît tous des histoires d'amour qui commencent bien et qui finissent mal. Mais des ruptures qui commencent bien, vous en connaissez beaucoup ? Et bien, c'est le cas pour Alexandra. Après avoir claqué la porte sur trois années de vie de c...