Chapitre 29 ; Un espèce de flou

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Première semaine d'octobre.

En voiture direction la Normandie ; pensive, dans l'habitacle rassurant de ma voiture. L'odeur si familière de tabac froid et de cuir me réconforte. Je pousse le sound-system au maximum sur l'album « Division Bell » des Pink Floyd. De part et d'autre de la route, les arbres défilent avec leur parure d'automne, les merveilleuses teintes d'ocre et de brun me font remarquer que les cinq derniers mois sont passés à une vitesse folle.

Depuis quelques jours, je ne peux m'empêcher de penser à Marc. Je ressens l'envie d'être avec lui, de l'enlacer, de m'endormir près de lui et me réveiller blottie dans ses bras. Je repense au chatouillement de son souffle dans mon cou quand nous nous endormions serrés l'un contre l'autre et son rire qui égaillait toujours nos conversations. J'aimerais avoir de ses nouvelles, mais je me reprends en me disant que s'il ne m'en donne pas, c'est qu'il n'en éprouve pas le besoin. Déjà que je lui ai fait la vacherie de le quitter, je me dois bien de lui laisser le temps de passer à autre chose avant de venir le titiller avec un message sitôt que mon spleen se manifeste. J'ai déjà vu ce que ça donnait !

Parfois, je me sens coupable d'avoir lâché l'affaire, d'avoir abandonné la lutte, de ne pas avoir trouvé le moyen d'endiguer le mal qui nous consumait. À d'autres moments, je me dis que cette séparation était un soulagement pour nous deux, que nous étions arrivés au bout d'une impasse. Que nous ne pouvions plus nous laisser ainsi aller à ternir une entente qui avait été légendaire. Nous ne méritions pas de nous déchirer, de nous blesser autant.

N'avais-je pourtant pas été claire en lui disant que j'avais plus que jamais besoin de transparence et de complicité plutôt que de cachotteries et de soirées enivrées? Mais, lui avais-je au moins laissé le temps d'opérer quelconque changement ? Ou avais-je irrévocablement pris conscience de sa lâcheté et de la récurrence de ses mensonges ? En fait je n'en sais rien. Je ne suis même pas sûre qu'il ait conscience des raisons qui m'ont amené à le quitter.

Il n'a pas dit grand-chose pour se défendre après le dernier ultimatum que je lui ai concédé pour faire amende honorable. Je lui ai demandé de faire ses affaires et de partir et il s'est exécuté sans rien dire.

J'essaye de faire avancer la vie dans le bon sens désormais, mais sans lui.

Cette semaine Ezra m'a envoyé plusieurs messages... pas le temps, pas l'envie non plus. Mon beau Ezra, même de toi, je me suis lassée.

Arrivée à destination, j'ai le plaisir de découvrir qu'un feu crépite déjà dans l'âtre de la cheminée, il me suffit d'allumer la stéréo pour que la voix de Bob Dylan envahisse le salon, mon cœur se serre. Ce CD, le premier cadeau que Marc m'ait offert pour Noël, passé ici dans la belle maison en colombages, à nous enivrer de champagne et de Calvados et à danser toute la nuit, rien que tous les deux, devant les flammes...

"It's all over now baby blue..."

J'ai beau sonder ma mémoire, les seules images qui me reviennent en haute définition sont celles des bons moments. Je sais pourtant qu'il y en a eu des mauvais, et de très mauvais même. Je me doute bien que si j'en suis arrivée à la décision de le quitter, c'est bien parce que quelque chose n'allait pas. Mais c'est justement ce quelque chose sur lequel je n'arrive plus à mettre le doigt. Si seulement j'avais poursuivi l'écriture de mes carnets, j'aurais les souvenirs écrits là, à ma portée. La seule chose qui me reste pour me raccrocher à cette pensée, c'est un sentiment, une impression à peine palpable, mais qui m'est désagréable, dérangeante, aliénante. Une amnésie sélective des mauvais moments, une espèce de flou.

Je me souviens des heures passées à pleurer silencieusement sur l'oreiller alors qu'il me pensait endormie. Mais pourquoi ces larmes ?

Je me souviens des cris et des portes qui claquent. Mais pourquoi tout ce bruit ?

Je me souviens me sentir seule et trahie. Mais de quoi ?

Le cerveau a ce pouvoir de trier et transformer les souvenirs, prenant le fait réel, puis le modifiant à sa guise, pour en construire un souvenir. Une cicatrice, au moins, c'est plus franc, ça laisse une trace, un témoignage concret. Le souvenir d'un moment blessant lui, ne garde aucun stigmate visible et s'efface, à l'honneur de la mémoire joyeuse. Une hypocrisie volontaire, orchestrée à mon insu par son subconscient ; si bien, que cinq mois plus tard, me revoilà la tête remplie des bons moments avec Marc.

À force de ruminer ces pensées, je finis par lui envoyer un message, j'y vais mollo et lui demande simplement des nouvelles.

« Don't think twice it's alright »

Comme s'il s'attendait à ce message depuis des mois, il me répond dans la foulée, le plus simplement du monde. J'aime la simplicité de nos échanges, la sensation d'être sur la même longueur d'onde.

Je me sens bêtement et complètement heureuse d'avoir de ses nouvelles, comme si je me réveillais de cinq mois de sommeil.

En quelques échanges de messages, l'envie de le prendre dans mes bras et d'effacer les derniers mois me prend comme une envie de pisser. J'ai pourtant été heureuse cet été, je n'y comprends rien.

Nous convenons de dîner ensemble la semaine prochaine.


LoveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant