Plus tard, la même journée.
Le soleil est encore haut dans le ciel quand la végétation commence à se densifier de part et d'autre de la route. Bientôt, Choco sinue au milieu des arbres de la forêt qui abrite la plus grande réserve naturelle de Croatie. La température est agréable à l'ombre des grands pins, l'air humide assainit les poumons. Le bruissement des feuilles a remplacé le roulis des vagues. Nous espérons trouver une aire de camping, possiblement près d'un des fameux lacs qui font la renommée du lieu. Nous nous imaginons déjà nous baigner dans l'eau douce, écoutant les bruits de la forêt en nous endormant... Quelle déception quand nous réalisons que le parc est entièrement entouré de grillage. L'unique accès est l'entrée principale, qui ressemble plus à l'entrée du parc Disneyland qu'à une réserve naturelle. Nous faisons tout de même halte pour quelques renseignements.
Nous nous approchons d'une hôtesse à la carrure franchement masculine, protégée derrière son plexiglas. Dans l'air, une odeur de friture me donne le haut-le-cœur. Le visage de notre interlocutrice est aussi accueillant que l'endroit en lui-même. Après un entretien en anglais approximatif, nous obtenons, non sans difficulté, les informations suivantes :
1. Les entrées ne sont pas autorisées après seize heures (sa montre affiche seize heures douze).
2. Nous pouvons cependant acheter nos entrées maintenant et revenir demain matin pour éviter de faire la queue.
3. Les visites sont accompagnées d'un guide et partent par groupes d'une vingtaine de personnes, toutes les demi-heures.
4. Il est fortement conseillé de se munir de chaussures résistantes à l'eau, de crème solaire et d'une bouteille d'eau.
5. Le parking est payant.
À défaut d'un sourire, nous repartons avec un dépliant, dans lequel nous trouvons des photos de cascades envahies de touristes, le nom des différents lacs et un plan des zones de visite, parsemé d'étoiles jaune et bleu, qui indiquent les points de restauration rapide et les WC.
J'essaye, sans trop de conviction, de voir le positif ; de me convaincre que la régulation de ce lieu le préserve des abus des touristes peu scrupuleux. En vrai, j'ai envie de pleurer. Comment en est-on arrivé là ? Pour « protéger » une création de Mère Nature, il faut l'entourer de barreaux et y faire entrer des groupes les uns derrière les autres en leur rappelant d'utiliser les poubelles mises à leur disposition devant chaque stand de malbouffe. J'en ai mal au cœur. L'odeur rance des beignets frits couvre celui de la résine des pins. Je croise le regard de Roxane, elle aussi est navrée. Nous ne comprenons que trop bien, il est trop tard pour cet endroit, il est déjà dans les mâchoires féroces de la machine mondiale. Le développement de l'économie par l'ouverture au tourisme, puis le besoin de protéger les trésors de nature de ces mêmes touristes. Il faut avouer qu'il y a comme un os dans l'équation !
Nous rebroussons chemin entre les résineux et les hêtres, observant depuis la fenêtre défiler les troncs de cette forêt primitive majestueuse, déçues de ne pouvoir en profiter pour la nuit. Nous devons désormais trouver un endroit pour dormir puisque nous ne pouvons pas passer la nuit dans la forêt comme nous l'avions imaginé. Le problème, c'est que nous n'avons pas vu de parking, d'aire de repos, ni même un petit village depuis que nous avons quitté la côte. La priorité est tout de même de sortir le véhicule de la route principale, qui défile sans aucune intersection depuis bien des kilomètres.
Nous nous engageons dans une allée, qui a l'air de mener vers un champ, mais nous nous rendons compte après environ trois cents mètres qu'il mène à une habitation. C'est en faisant demi-tour que Choco se bloque soudain. Impossible de le faire avancer. Pourtant, le moteur s'emballe quand j'appuie sur la pédale, on dirait que les roues tournent dans le vide. Je sors du véhicule et c'est exactement ce que je constate. Le van est bloqué sur une petite butte qui l'immobilise ; désormais dépendant de cet amas de terre, qui le soulève en partie. Pas suffisamment gros pour me permettre de le repérer avant de rouler dessus, mais assez pour que nous nous retrouvions bloquées, les roues avant à patiner dans le vide.
À force de faire du raffut, les habitants de la maison s'approchent. D'abord une dizaine de chiens, tous aux abois, n'ont pas l'air des plus accueillants. Un clopine sur trois pattes, un autre a l'oreille sectionnée, certains ont l'air faméliques et tous montrent d'avantage les crocs qu'ils ne remuent la queue. Cette escouade peu rassurante est suivie par deux hommes, celui en salopette crie sur les chiens pour les faire taire, alors que le maigre à bretelles ajuste la bandoulière du fusil qu'il tient à l'épaule. Les deux titubent jusqu'à nous.
Ils essayent de communiquer avec nous, mais sans succès, car c'est du croate qui s'échappe de leurs mâchoires édentées. Bien qu'ils ne parlent pas un mot d'anglais, la situation est assez claire pour être comprise en un coup d'œil. Après avoir fait le tour du véhicule, ouvert grand leurs bouches pour rigoler de l'accoutrement de notre van recouvert de chocolat fondu, ils se mettent chacun d'un côté du coffre, poussent, soulèvent, font gigoter le van, mais ne le débloquent toujours pas. Au bout de dix minutes, à force d'efforts, et peut-être en réponse à nos prières, Choco bascule juste ce qu'il faut vers l'avant pour que la roue avant droite morde suffisamment l'herbe pour activer la force de traction du moteur. Enfin débloquées, nous les remercions. Un signe de la main me semble suffisant, mais le gros en salopette s'approche de la fenêtre, que j'ouvre tout de même par politesse en tendant la main, mais le voilà qui approche son visage comme pour vouloir m'embrasser. Je recule, ferme la fenêtre et démarre sans attendre.
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Love
ChickLitOn en connaît tous des histoires d'amour qui commencent bien et qui finissent mal. Mais des ruptures qui commencent bien, vous en connaissez beaucoup ? Et bien, c'est le cas pour Alexandra. Après avoir claqué la porte sur trois années de vie de c...