Plusieurs semaines se sont écoulées depuis la fermeture du Comptoir. Comme c'était à prévoir, ma vie de quartier est devenue tout à coup plus calme. J'évite de passer devant le « nouveau » Comptoir qui est envahi par une foule d'inconnus. Beaucoup des habitués ont choisi de ne plus y aller après la passation. Le fait que les nouveaux propriétaires aient choisi de garder intacte la décoration me parait presque morbide. Un peu comme si je visitais la maison de mon enfance, habitée par une autre famille, sans qu'ils aient pris soin de changer la décoration de ma chambre, disposé de mes souvenirs ou remplacé mes jouets.
Les journées de boulot sont longues et productives, entre les évènements de la rentrée et la préparation des évènements de Noël. La complicité grandissante avec Axelle a rendu les journées plus gaies, je peux lever la tête de l'ordinateur à tout moment et trouver son sourire malicieux en réponse.
Grâce à un rythme plus sain, je parviens même à me concentrer sur mes études et rendre des devoirs corrects et dans les temps. Le soir, je rentre le plus souvent directement à la maison, accélérant le pas dans les rues humides, emmitouflée jusqu'aux yeux dans mon écharpe.
En arrivant à la maison, j'enfile un jogging confortable, me réchauffe une soupe au four à micro-ondes et me glisse sous la couette. Sur ma table de chevet, une tasse de thé a remplacé le verre de vin estival. Les séries du moment accompagnées du bruit de la pluie sur les vitres m'aident à trouver le sommeil. Je dîne une à deux fois par semaine chez mon père et c'est seulement à ces occasions que l'envie de cuisiner me prend. À force de me nourrir principalement d'alcool et de glace pilée durant l'été, j'ai beaucoup maigri, m'obligeant à investir dans une toute nouvelle garde-robe pour l'hiver. Un style résolument rock, avec le sempiternel slim noir/bottines qui me va à ravir.
Petit à petit, j'ai changé la décoration de l'appartement, acheté de nouvelles plantes, remplacé un tableau, dégoté de nouveaux poufs pour mettre autour de la table basse. Je suis finalement parvenue à réapprivoiser mon chez-moi et cette nouvelle condition m'a aidé à ne pas précipiter les choses avec Marc. Nous nous parlons toujours, souvent d'ailleurs ; il a passé quelques week-ends à la maison, comme avant, comme s'il n'était jamais parti ; mais je l'ai prévenu que je ne souhaitais pas prendre de décision hâtive. Cependant, pas une semaine ne passe sans qu'il ne me rappelle à quel point il m'aime, que je suis la femme de sa vie et qu'il est prêt, à n'importe quel moment du jour ou de la nuit, à reprendre la conversation de notre vie à deux. Ces déclarations me flattent, évidemment, mais m'obligent justement à réfléchir plus posément à la situation.
Je ne veux pas me retrouver dans la même impasse qui m'a poussé à le quitter sept mois plus tôt, et à part ces paroles si douces, aucun moyen de savoir si le schéma qui m'a rendue malheureuse ne se reproduirait pas.
L'impression d'être à un claquement de doigts de me retrouver dans la situation qui m'avait fait fuir me tétanise. Mon cœur s'emballe à tout rompre à chaque moment passé dans ses bras ou même à discuter dans l'insouciance naïve d'un dîner en tête à tête, mais mon sang se glace dès que je l'imagine s'installer à nouveau dans ma vie. Je ne lui fais pas part de la contradiction de ces deux sentiments, mais veille à garder la main pour ne pas avoir à avancer mes pions trop vite.
Depuis la fermeture du Comptoir, j'évite le quartier des Batignolles. Les rues rougeoyantes et animées de Pigalle sont désormais le théâtre de mes rares sorties. Depuis que nous avons terminé le tatouage, je continue à voir Fred de temps en temps. Mon cœur oscille entre l'excitation de cette nouvelle rencontre et la passion ravivée avec Marc.
Avec Fred, je passe de très bons moments ; à rire et vagabonder, insouciants, dans les rues de Pigalle. Son grain de folie me parait toujours aussi divertissant, de quoi alimenter juste à point mon besoin de transgression. Nous nous entendons bien, mais j'essaye de ne pas m'enticher depuis qu'il m'a annoncé la nouvelle.
J'étais de retour dans le shop à Pigalle, pour la dernière session ; offerte et silencieuse sous son aiguille, laissant l'artiste incruster de façon indélébile et douloureuse les dernières touches d'encre sous ma peau. Il était tard, la boutique était déjà fermée, tous ses collègues étaient partis. Une bouteille de Sailor Jerry à moitié vide reposait sur le rebord de la fenêtre, le néon de l'enseigne extérieure emplissait la pièce d'une lumière rouge bucolique qui donnait au teint de Fred un hâle de soleil couchant. Ses longs cils bruns couvraient pudiquement son regard concentré. La moue sérieuse qu'il affichait m'inspirait le calme nécessaire pour supporter la douleur, quand soudain, sa voix avait interrompu le bruit électrique de la machine :
— Alex, je peux te poser une question ?
— Vas-y.
— Tu penses avoir un bon fond ? Parce que ce serait plus simple si tu me disais que tu n'es qu'une salope de passage.
Mon regard soutenait le sien, sans trop savoir où il voulait en venir. Cette question n'attendait pas vraiment de réponse, je le voyais chercher ses mots.
— Alex, je t'aime beaucoup, mais il y a une chose qu'il faut que je te dise.
Quiconque a déjà entendu cette phrase sait qu'il y aura un avant et un après. Que vraisemblablement, la réalité du moment présent s'apprête à être chamboulée à jamais.
— J'écoute...
— Je ne t'en ai pas parlé avant, parce que bon, on ne se connaissait pas. Mais je t'aime bien, vraiment bien, et j'ai vraiment envie de te revoir. Mais d'un autre côté, je me dis qu'on ne devrait pas, puisque je pars... Je déménage à Londres dans trois semaines.
Il m'avait fallu quelques secondes pour évaluer la situation, peser le pour et le contre, considérer mes options, examiner les pièces du puzzle... Je m'étais accordé une pause clope au bord de la fenêtre, entrecoupée de longues gorgées de rhum. J'avais essayé de ne rien laisser paraitre, mais je digérais la nouvelle. Il est vrai que nous venions à peine de nous rencontrer et que j'avais peut-être pris notre entente pour un début de romance, servant la cause d'attirer mon attention sur autre chose que Marc.
Mais après tout, n'était-ce pas exactement ce qui manquait à mon hiver ? Une raison de partir en week-end à Londres !
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Love
Romanzi rosa / ChickLitOn en connaît tous des histoires d'amour qui commencent bien et qui finissent mal. Mais des ruptures qui commencent bien, vous en connaissez beaucoup ? Et bien, c'est le cas pour Alexandra. Après avoir claqué la porte sur trois années de vie de c...