Chapitre 10 ; Rêve de nature

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Les graviers crissent sous les roues de la voiture, brisant le silence de la campagne normande. J'arrive chez ma mère, pour faire une pause loin de Paris, du Comptoir et de Marc. Dès que j'éteins le moteur, le piaillement des oiseaux reprend de plus belle. Il m'est toujours plaisant d'arriver dans ce petit paradis de nature, d'apparence si calme, mais qui à y regarder de plus près, grouille de vie. Mon œil et mon oreille sont habitués depuis petite à déceler tous ces fourmillements dissimulés, un véritable écosystème imperceptible au premier coup d'œil. Pour que la magie se révèle à l'œil novice, il faut regarder ce jardin comme on admirerait un tableau de Seurat, apprécier la vision d'ensemble, qui, sans exagérer, est d'une rare somptuosité, pour ensuite prendre le temps d'étudier, petit bout par petit bout, les complexes combinaisons élaborées entre le végétal, l'animal et le minéral. La complétude de cette bulle de nature est accentuée par le fait qu'elle n'a pas été contrariée par la main humaine, mais plutôt cajolée par la main experte de ma mère, sa gardienne.

D'un besoin de m'isoler pour rédiger mon devoir et changer d'air après les évènements récents, j'ai fui Paris pour venir me réfugier dans cette maison que je connais si bien. J'aurais pu m'y rendre plus tôt, mais mon hésitation était causée par la triste constatation que si je veux passer le week-end dans la maison, il faut aussi que je le passe avec ma mère. Or, les relations que j'entretiens avec elle ne sont pas de nature à m'aider durant les phases de vie que je considère comme fragile. Étant d'une dextérité quasi-irréprochable quand il est question de s'occuper des plantes, elle s'avère être aussi subtile qu'un éléphant dans un magasin de porcelaine quand il s'agit d'être présente et à l'écoute de mes tracas. Une relation maternelle, qui est dans la plupart des cas le garant d'un cocon de sécurité et d'amour, a toujours été pour moi un talus épineux duquel j'ai dû me garder d'approcher. Quand d'autres enfants trouvent refuge dans les conseils et l'écoute de leur mère quant à leurs problèmes de cœur ou même de vie en général, j'ai été obligée de me construire en me protégeant du dialogue sourd et dévastateur qu'a ma mère à l'égard de mes sentiments.

J'entre sur la pointe des pieds, espérant ne pas tomber nez à nez avec elle de suite.

Raté, elle est dans la cuisine.

Je dépose ma petite valise dans l'entrée du salon et la salue. La bouilloire est déjà en marche, je profite pour lui demander une tasse de thé. « Verveine du jardin ça te va ? » « Très bien merci ».

Je m'installe sur la table de la terrasse, laissant ma mère vaquer à ses occupations. Apparemment, elle a eu un souci avec les canalisations de la buanderie. Je perçois effectivement la fin de sa conversation avec le monsieur à genoux sous l'évier. N'y prêtant pas plus d'intérêt, je me penche pour caresser le poil soyeux de l'adorable chatte venu me saluer. Appréciant d'autant plus sa venue qu'elle ne se hasarde que rarement en pleine journée devant la maison. Le plaisir de la voir s'aventurer en terrain exposé pour saluer mon arrivée s'accompagne de celui de la voir se rouler dans l'herbe grasse, laissant apparaître sous son ventre offert au soleil, un pelage clair immaculé ; récompense d'un sentiment bref de sécurité à mes côtés. Le bruit d'une caisse à outils refermée bruyamment interrompt ce moment délicat, la chatte file se cacher sous un buisson.

En sortant de la maison, le plombier me salue d'un «'jour » à peine audible et promet à ma mère de revenir le lendemain avec la pièce nécessaire.

Ma mère me rejoint sur la terrasse, tasse de thé à la main et me demande dans un enchaînement maladroit de questions si je ne souffre pas trop de la chaleur à Paris, si tout se passe bien au boulot et si Marc a décidé de revenir.

— Alors premièrement maman, et comme je te l'ai déjà expliqué, Marc n'a pas décidé de partir, alors je ne vois pas pourquoi il pourrait décider de revenir, et deuxièmement, je te serai reconnaissante de ne pas mettre ton nez dans mes histoires.

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