Chapitre 31 ; Better days ?

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Je gare la voiture sur ma place habituelle et reste quelques minutes dans l'habitacle avant de me décider à sortir. J'essaye d'éliminer l'agacement d'avoir passé plus d'une heure dans les bouchons pour venir jusqu'ici, à Vitry-sur-Seine, où vit la mère de Marc.

C'est ici qu'il habite depuis notre séparation, et comme elle est absente ce soir, il m'a proposé de venir dîner dans le confort de cette belle maison.

Je me souviens encore du code du portail, mais je préfère sonner.

En passant le seuil de la porte, la chaleur de l'environnement intérieur met mon humeur au diapason. Je suis venue avec la ferme intention de voler une nuit au passé et de profiter de ce moment pour raviver ma mémoire.

Je pose mes affaires et débouche la bouteille de vin blanc que j'ai apporté. Sans même lui proposer, je nous sers deux kirs framboise pendant qu'il commence à éplucher des carottes. L'habitude est réconfortante.

— Tu as besoin d'aide ?

— Non, ça va. Si tu t'occupes de la musique et de l'apéro, on sera bon.

En attrapant son verre sur la table, il passe sa main sur mes reins. Comme ça, comme il l'a toujours fait.

Mon regard traîne sur l'agenda de sa mère ; l'anniversaire d'une amie, la révision de la voiture et le « devis architecte » souligné deux fois.

— Ta mère a de nouveaux projets travaux pour la maison ?

— Oui, elle veut ouvrir cette cloison et faire une véranda. Enfin, elle appelle ça un jardin d'hiver, mais en fait, c'est une véranda.

Je m'aventure dans le salon, essayant de voir ce qui a changé. Sa mère a toujours eu un goût certain pour la décoration d'intérieur et souvent, rien qu'en changeant la disposition de quelques éléments, arrive à modifier l'énergie d'une pièce.

Les vieux briquets en argent sont toujours disposés sur la table basse, à côté du cendrier marocain. Je remarque que la cheminée a été remise en marche, sûrement le week-end dernier, sous l'orage qui a fait frissonner toute la région parisienne. Je les imagine ici, le dimanche, Marc à jouer aux échecs ou au backgammon avec son beau-père, sa mère à retoucher le vernis sur ses ongles. Les images de week-ends passés ici avec eux viennent me flouer le regard, j'avais été heureuse ici, j'avais eu l'impression fugace de faire partie d'une famille paisible.

L'odeur de l'ail revenu à l'huile d'olive me ramène vers la cuisine. Marc est en train de détailler le veau en gros dés. Il se balance d'un pied à l'autre en rythme avec la mélodie entêtante de Logical Song des Supertramp, marquant la batterie par un tapotement du pied droit. Un mouvement subtil de sa tête accompagne ses petits pas de danse. Je souris de le voir décontracté. Je m'approche de lui, grimpe sur la pointe des pieds et lui chuchote à l'oreille « je suis contente d'être ici avec toi ». Il se retourne et m'embrasse. Le temps d'un instant suspendu, je maintiens ma joue contre la sienne, puis l'embrasse en retour. 

La routine est connue, nous laissons la blanquette mijoter à feu doux et nous installons devant l'impressionnante stéréo pour choisir le prochain CD. Nos douces chamailleries sont le prétexte parfait pour faire monter l'excitation. Après s'être mis d'accord pour le « Best of » de Cat Stevens, Marc m'invite à monter à l'étage. La sono est astucieusement reliée aux enceintes de la salle de bain. Laquelle, spacieuse et aménagée comme une pièce à vivre, respire le calme et le cocooning. Des plantes grasses et des parasols aux couleurs chaudes viennent égailler le carrelage clair, une large desserte permet de poser tout le nécessaire sans avoir à se relever : bougies parfumées, cendrier, briquet, éponges, savons et lait de corps. Il fait couler l'eau puis commence à me déshabiller. J'entre dans le bain, la peau mordue par la chaleur, au moment où commencent les premières notes de « Lady D'Arbanville ». Il descend chercher deux verres de vin et des cigarettes ; je me demande si je suis sa Patti D'Arbanville, à jouer avec ses sentiments. 

Quand il revient, il se déshabille à son tour et s'installe derrière moi. Comme mon corps lutte encore pour s'acclimater à la température, il utilise une large éponge pour me mouiller les épaules, le cou, les seins, jusqu'à ce que je me laisse complètement aller, allongée entre ses jambes, les épaules reposant sur son ventre. La lumière douce des bougies fait danser l'ombre des feuilles de Yuka. J'ai tout à coup le sentiment d'appartenir à ce corps, de m'être égarée tout ce temps. Mais pourquoi l'ai-je quitté au fait ? Peut-être m'étais-je endormie ici dans ce bain, six mois plus tôt ? Peut-être que tout ceci n'était qu'un rêve ?

Je lâche complètement ma garde et laisse l'intimité de ce moment raviver notre passion. Différant nos retrouvailles sexuelles dans la chaleur reposante de l'eau, idéalisant par la pensée le moment où nos corps ne formeraient plus qu'un.

Une cigarette fumée à deux, les verres presque vides, il amorce le mouvement vers la chambre. Recouverte d'une serviette aux parfums de jasmin et de mûre, je m'allonge encore mouillée sur les draps fraîchement changés.

Ses gestes sont précis, doux. Dans le noir complet de la chambre, sa main trouve ma peau. Chacune de ses caresses est chargée d'émotion, de pardon et d'avenir.

Je jouis sous ses baisers de velours, contrainte par la précision de sa langue, laissant les spasmes cambrer mon corps sans retenue. Je me redresse et fixe son regard dans le noir. Sa main immobilise ma nuque et sans attendre que mon corps ait fini de frémir, me pénètre sans hésiter, obligeant mon corps à retomber sur les draps, paralysé de plaisir.

Il est déjà deux heures du matin quand nous nous installons finalement à table devant la blanquette. J'ouvre une deuxième bouteille de vin pendant que Marc change la musique. Il choisit notre groupe préféré, Edward Sharpe and the Magnetic Zéro. Une nouvelle chanson, en acoustique, que j'ai le plaisir de découvrir à cet instant avec lui :

"I've seen better days, dripping down your face

We don't have to talk, let's dance

For all the times you felt alone,

Dreaming better;

I see better, better days

Too dumb to say goodbye,

Now that's some cliché shit, make me wanna cry

Just know that every time I look in your eye,

I see better, I see better, better days."


LoveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant