Pour situer Ezra, il faut remonter à l'année de mes dix-sept ans. J'étais alors en première année en école de com'. Ayant sauté une classe en préparatoire et vogué sans trop de souci jusqu'à l'obtention, à seize ans, de mon baccalauréat, j'ai commencé mon premier cursus en école supérieure en 2007, à l'âge de dix-sept ans. Première année qui se terminait par un stage en entreprise de trois mois.
En juin de cette année-là, je rentrais comme « stagiaire trafic » au pôle création d'une célèbre agence de pub. Mon poste était simple, je devais aider les deux « responsables trafics » à organiser l'emploi du temps des créatifs entre les différents dossiers (budgets), rendez-vous internes (points), rendez-vous externes (prez client) et les rendus (deadlines).
Chaque lundi, Séverine et Anna fouillaient les mails de la semaine passée et la pile de post-it à la recherche de données utiles. Elles reportaient les changements ou les nouvelles priorités dans le tableau Excel qui comprenait autant de signets que d'employés au pôle création (environ quarante). Suite à quoi elles en imprimaient un exemplaire complet pour chacun. « L'entreprise mène la bataille de la transparence au sein des équipes plutôt que celle de l'économie de papier » m'avait expliqué Séverine en réponse à mon regard surpris face à la pile monumentale de papier. Exemplaires qu'elles prenaient soin d'agrafer en présentant le créatif concerné en première page, « pour éviter qu'il se trompe de planning, tu comprends ».
Une fois ce rituel chronophage et papivore achevé, commençait alors la ronde de commérages. Elles auraient pu se diviser l'étage en deux et se répartir le travail pour gagner du temps, mais non, elles visitaient chaque bureau en binôme, profitant de « l'importance de la tâche » pour s'arrêter bavarder quelques minutes et parler des activités du week-end passé et à venir. Ça rigolait, a pavanait, ça parlait boulot, enfants, amours, pluie et beau temps. Astucieusement chronométré, le manège durait jusqu'à l'heure de la pause déjeuner.
La première semaine, je les avais accompagnées, profitant de la ronde générale pour être présentée au service et familiarisée à la routine hebdomadaire. La semaine suivante, j'étais restée devant mon ordinateur, à travailler sur une autre tâche. Le bureau que je partageais avec Séverine (mon maître de stage) et Anna (son assistante), était sobrement aménagé, comparé à d'autres, et donnait sur une cours intérieure verdoyante. Pour m'accueillir, elles avaient dû rajouter un bureau, une chaise et un ordinateur dans un espace déjà bien rempli. La disposition du troisième bureau (le mien) était peu conventionnelle, due au manque d'espace, je me retrouvais presque entièrement cachée derrière la porte — qui restait le plus souvent ouverte — puisqu' « ici au trafic, nous devons pouvoir répondre aux interrogations des créatifs à toute heure, il est donc primordial que la porte leur soit ouverte à tout moment de la journée ». Il faut dire qu'à l'époque, les open-spaces n'étaient pas encore à la mode et le tout numérique n'avait pas encore envahi les process.
Le lundi suivant, Ezra était entré comme un pétard dans notre bureau, pour râler à propos du planning, qu'il trouvait trop chargé pour son retour de vacances. J'étais aux premières loges pour observer silencieusement la scène de colère d'Ezra et les répliques de ses collègues, vaines à le calmer. Quand il en eut fini avec Séverine et Anna, il était tout aussi remonté qu'avant, mais fit demi-tour et se dirigea en une enjambée vers la porte. C'est seulement à ce moment-là qu'il remarqua ma présence et eut ce petit mouvement singulier : il s'arrêta dans son élan, juste au moment de passer la porte, fit un pas en arrière, m'adressa le plus charmant des sourires, se rendit compte presque instantanément de son attitude niaise et partit sans même se présenter, l'air gêné.
Le même jour, il revint deux fois dans notre bureau, d'une humeur résolument plus joyeuse. Je voyais bien qu'il essayait de capter mon attention. Il se savait bel homme, mais se comportait comme un ado. J'avais joué le jeu, qui était plus de mon âge que du sien — puisqu'il était de douze ans mon ainé.
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Love
ChickLitOn en connaît tous des histoires d'amour qui commencent bien et qui finissent mal. Mais des ruptures qui commencent bien, vous en connaissez beaucoup ? Et bien, c'est le cas pour Alexandra. Après avoir claqué la porte sur trois années de vie de c...