28. Le début de ma fin

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Chez moi, je pris une voix enrouée et faible pour prévenir mon père.

Ce n'était pas si compliqué que ça, sachant que je m'étais faite lacérer la trachée une vingtaine de minutes plus tôt.

Il me cru immédiatement, me demanda si j'avais besoin de lui, je lui dis que non, mais il insista pour venir me voir rapidement ce midi avec de la soupe.

Je le remerciais dans un souffle.

Je retrouvais Maddison dans la salle à manger, qui étudiait avec intérêt chaque détail de la maison.

- Il faudra que tu te caches ce midi, mon père passera rapidement.

- Tu ne voudrais pas me le présenter? me demanda-t-elle, malicieuse.

- On est pas ensemble depuis assez longtemps je pense et... Ah oui, il me foutrait dehors.

- Quoi? Pourquoi ? s'écria-t-elle.

- Parce que les homosexuels n'ont aucun droit selon les saintes écritures. Dieu n'en veut pas et je finirais en Enfer. Enfin, selon le pape, les pasteurs et mes parents qui y croient dur comme fer.

- Ah ouais, tes parents sont un peu vieux-jeu...

- Ouep.

Nous avons passé le reste de la journée ensemble, au calme chez moi. Maddison est allée se cacher dans ma penderie lorsque mon père est passé m'apporter une soupe et quelques médicaments qu'il était allé prendre à la pharmacie du coin avant de repartir.

Mon père est plutôt cool, il est plus patient et posé que ma mère.

L'après-midi, nous avons regardé un film toutes les deux, assises l'une contre l'autre sous un plaid avec du pop-corn.

J'aurais aimé faire ça le soir, sans pour autant risquer de me faire prendre par mes parents...

Je me sentais toujours prisonnière, mais ça n'allait pas être mon plus gros problème.

Mardi non plus je ne suis pas allée en cours, déjà car mes parents pensent que je suis malade et car je ne me sentais pas d'affronter les regards du lycée.

J'espérais qu'en laissant passer un peu de temps, les rumeurs s'estomperaient, que le monde aurait oublié...

Mais non. Mercredi, lorsque je suis arrivée sur le parking, ma place était occupée par la voiture d'Alicia.

Ça s'annonçait mal.

En entrant dans le lycée, je me sentais plus vulnérable qu'un chaton sur l'autoroute.

Je m'étais efforcée de m'habiller comme à mon habitude, sans pour autant être trop tape-à-l'oeil. J'avais donc un jean gris avec un t-shirt bleu ciel noué, une veste noire simple.

Mais je sentais les regards des quelques 400 élèves posés sur moi. En arrivant à mon casier, je vis un post-it avec marqué en gros "GAY" dessus.

Je le retirais en tentant de garder mon calme, mais du coin de l'œil, je vis Alicia rigoler avec quelques garçons de l'équipe de football et ses groupies. Ils me regardaient.

Dans mon casier, je trouvais une lettre. Je ne me sentais déjà plus d'assumer d'autres insultes alors je la fourrais juste dans mon sac, cachée entre deux livres.

Je claquais la porte de mon casier et tournais les talons.

Je me suis réfugiée dans une cage d'escalier, seule à l'abri des regards. J'avais envie de me rouler en boule et de disparaître, de partir vomir aux toilettes, ou d'aller à l'infirmerie et dire que j'étais malade... Mais si je pouvais tromper mes parents, je ne pouvais pas tromper l'infirmière.

Vous me direz peut-être, pourquoi ne pas rejoindre Maddi?

Elle m'a prévenue qu'elle serait absente quelques jours à cause de "comptes à régler".

Elle avait refusé de m'en dire plus. Pour me protéger ou pour me tenir à l'écart de sa vie 'professionnelle'? J'en sais rien.

Je lui en voulais de me laisser seule après m'avoir mise dans la merde... Mais elle était aussi la seule personne qu'il me restait, je ne pouvais pas me permettre de lui tourner le dos...

Prisonnière.

Tristant et Eden étaient aux abonnés absents. Pour tout vous dire, je ne les avais même pas cherché. Ils m'en voudraient sûrement de leur avoir caché quelque chose d'aussi gros... Je ne pouvais pas les affronter. Imaginer le regard triste et déçu d'Eden, la voir me tourner le dos sans un mot me détruirait définitivement.

Chris, quant à lui, avait été réquisitionné par Maddison. Donc absent, lui aussi.

Je me sentais seule au monde.

Les cours ne commenceraient que dans une dizaine de minutes.

Quelle idée d'arriver aussi tôt...

Je décidais alors de lire cette fameuse lettre. Je la sortis de mon sac. Il n'y avait aucune insulte dessus, juste écrit " À Emy" avec une écriture que je ne saurais reconnaître.

J'ouvris mon agenda. La plupart de mes amis avaient écrit des conneries dedans, mais j'eus beau comparer, aucune n'y ressemblait.

Je finis par ouvrir l'enveloppe et déplier le papier :

"À Emy,

Tu ne me connais pas, je suis de ses élèves invisibles du lycée qui n'ont pas d'histoire, mais moi je te connais. Je t'ai toujours admiré pour ta beauté et ta confiance en toi, je voulais être comme toi...
Tu dois me trouver étrange de te le dire que maintenant.
Je fais partie de la communauté LGBT+, et je pensais que nous étions les seuls, mon amie et moi. Nous avons toujours fait profil bas, mais lorsqu'on t'a vue avec ta petite amie, on a réalisé que nous n'avions pas à avoir honte de nous. On peut être soi-même et avoir la classe.
Alors merci.
Je ne sais pas si cette lettre fera une quelconque différence mais peu importe. Si jamais tu as besoin d'aide, je vais souvent au centre Lgbt de San Francisco, tu devrais y faire un tour un de ces jours.

Merci encore!"

Je restais sans voix devant cette lettre transpirante de gentillesse.

Moi? J'étais une source d'inspiration ?

Des gens m'admirent?

Je fixais le mur en face de moi.

Le centre lgbt? C'est quoi ce truc?

Je pris mon téléphone pour chercher et, oui, il y a des centres exprès pour la communauté lgbt dans les grandes villes, des lieux où chacun semblait pouvoir être soi-même et ne pas se cacher.

En cherchant encore des infos sur ces centres, je vis que certains faisaient même l'accueil à des personnes en difficulté, reniés par leurs familles.

Devrais-je y aller?

Pour quoi faire ?

Leur parler de ma vie? En quoi pourraient-ils m'aider?

Après tout, je ne suis pas dans une situation si catastrophique que ça.

Pour le moment, à part que j'ai perdu mon statut social pour devenir un objet de ragot, ça va. Je me sens seule mais... Pour le moment il ne m'est rien arrivé de grave.

Calme-toi, ce n'est que la première heure que tu passes au lycée depuis cette révélation... Tout n'est pas encore gagné.

Where Life BeginsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant