34. Exil

791 51 10
                                    

- Tu sais ce qu'il te reste à faire.

Il sortit en claquant la porte, je baissais les yeux vers la valise vide. Je ne réfléchis pas une seconde, la colère m'aveugla. J'ouvris violemment mes tiroirs pour en sortir le maximum de fringues que je fourrais dans la valise, puis j'arrachais mes centaines de robes de leurs cintres pour finalement me rendre compte que tout ne logerait pas là-dedans.

Je m'assis par terre, les larmes au bord des yeux, épuisée. Où irais-je de toute façon ? Qu'est-ce qu'une ado de 17 ans peut faire seule dans le vaste monde?

Où irais-je? me répétais-je.

J'en avais une vague idée.

C'était peut-être l'occasion de changer de vie, de ne plus être la condescendante gosse de riche.

Je regardais ma valise, remplie de dentelle, de robes de soirée et de beaux tissus.

Je devais dire adieu à tout ça.

Je jetai son contenu au sol pour privilégier le nécessaire. Je ne pourrais jamais revenir ici, il fallait optimiser.

Je pris des jeans, des t-shirts, des sous-vêtements. Deux vestes. Mes vieilles converses. Rien que le nécessaire.

Je pris également mon eastpak pour y ranger mes affaires de cours en totalité, mon ordinateur portable, mes chargeurs, ma trousse de toilette.

J'étais prête.

Je descendis les marches, accompagnée de mes deux seuls bagages.

Mon père m'attendait devant la porte. Je m'arrêtais devant lui pour lui faire face. En tournant la tête, je vis dans le salon ma mère, pleurant à chaudes larmes et répétant "... Elle n'ira pas au Paradis, pardon Seigneur... Elle n'ira pas au Paradis..." en se balançant d'avant en arrière sur son fauteuil, les mains plaquées l'une contre l'autre devant son visage.

La porte d'entrée était ouverte. À peine je la passai qu'elle se claqua derrière moi. Et c'est à ce moment là que je sentis toute la tristesse du monde s'abattre sur mes épaules. Les larmes que je retenais sortirent d'un coup, les vannes étaient ouvertes je ne pouvais plus m'arrêter.

Je pleurais en mettant ma valise dans le coffre, je pleurais en posant mon sac à côté de moi, et je pleurais en quittant ma maison d'enfance.

C'était un tourbillon d'émotions dans mon cœur.

Je freinais soudainement en arrivant à un carrefour. J'avais failli rentrer dans une autre voiture. Je devais me reprendre, je ne pouvais pas laisser la colère appuyer sur l'accélérateur pour moi et mon chagrin m'empêcher de voir la route.

Je séchais mes larmes avant de repartir. Une idée folle et déchirante m'avait traversé l'esprit, mais je ne pouvais supporter de devoir dire au revoir à ceux que j'aimais.

Je me dirigeais vers le gymnase de Parker. Je n'y passerais qu'une seule nuit.

Il écarquilla les yeux en me voyant arriver avec ma valise et mon sac à dos dans sa salle.

- Emy? Qu'est-ce que tu fous? C'est quoi ça?

- J'ai besoin de ton aide, Park'.

Il m'accueilla finalement dans son studio. C'était à l'étage, dans une petite pièce au dessus de son bureau. J'y posais mes valises et m'assis sur son lit.

- Raconte moi tout.

- J'en ai pas la force...

- Raconte ou je te mets dehors.

- Tu ferais pas ça.

- On parie?

Je balançais ma tête en arrière, exaspérée.

- D'accord, mais j'ai besoin d'un truc.

On sortit, je pris mon paquet de cigarette secret dans ma boîte à gants et m'en allumais une.

- T'en veux?

Il me fit un petit signe de la main pour refuser puis on s'appuya tous deux contre la façade pour que je lui raconte l'histoire.

Il émit un sifflement de consternation.

- Et maintenant ? Tu vas faire quoi?

- Je vais essayer d'aller vivre chez mes grands-parents, à Portland.

- Tu veux partir aussi loin? Personne ne peux t'héberger plus près ? me demanda-t-il l'air inquiet.

- Y'a ma sœur à Los Angeles, mais je ne sais pas si ce serait une bonne idée... On ne s'entend pas super bien.

- Je vois...

Il se tut un moment avant de reprendre :

- Je ne peux pas te dire quoi faire, je ne connais pas ta famille et tout ça... Mais si tu comptes partir, ne le fait pas comme une voleuse. Tu devrais l'annoncer à Maddison.

Sur ces mots, il tourna les talons et rentra dans la bâtisse.

Moi, je pris le temps de finir ma clope avant de prendre mon courage à deux mains pour appeler mon grand-père.

Appel : Grampa
Tuuut... Tuuut... Tuuut.
[voix de répondeur : Votre correspondant n'est pas disponible pour le moment, veuillez laissez un message après le bip sonore. Tuuut.]

- Salut papy, je voulais savoir si ça vous dérangeais, mamy et toi, si je venais passer quelques temps chez vous? Seulement jusqu'à la fin de l'année scolaire, promis! ... Voilà... Bisous.

Et je raccrochais.

Je me demandais si c'était une bonne idée... Peut-être mes parents les avaient-ils déjà appelé pour leur dire que j'étais éradiquée de la famille.

J'allais rentrer lorsque mon téléphone se mit à vibrer.

Papy me rappelle? Ah, non c'est ma soeur...

- Yop, tu veux quoi?

- C'est vrai ce que m'ont dit les parents? hurla-t-elle dans le combiné.

- Euh... Ils t'ont dit quoi?

- Que t'étais gay et que t'étais partie de la maison ?

- Ah, c'est leur version alors? Je suis "partie"? Pour tout te dire, ils m'ont trèèès légèrement foutue dehors.

- Ho ma pauvre... Mais t'es où du coup?

- Euh... Pour le moment chez un ami, mais je compte pas y rester. J'ai essayé d'appeler papy à Portland mais il m'a pas répondu. J'ai laissé un message.

- Il risque pas de te répondre... Je crois que toute la famille est déjà au courant que t'as déserté, forcée ou pas.

- Ah.

Merde. Ça contrecarrait mes plans. Et confirmais mes doutes.

- Emy, si tu veux, Luis et moi on a de la place dans l'appartement. Tu pourrais venir à LA.

- T'es sérieuse?! Ce serait génial, merci Lila!

Je sais, je sais. J'ai dit à Parker y a pas 5min que je ne m'entendais pas avec elle, mais là maintenant je suis officiellement SDF. Je peux pas me permettre de faire la fine bouche.

- On te prépare la chambre et je vais voir quel lycée est le plus proche...

- Ho merci, Lila, vraiment tu me sauves... J'arrive demain dans l'après-midi. J'ai toujours ma voiture.

- Super! Alors à demain!

Je soupirais de soulagement. Los Angeles était à moins de 6h de voiture d'ici, c'était faisable. Je pourrais venir voir mes amis le week-end et pendant les vacances...

Même si je me voyais mal finir l'année sans mes eux... Sans Maddi...

Ils me manqueraient tous.

Et me faire une place dans un nouveau lycée à deux mois des examens sera difficile... Mais avais-je le choix?

Ce n'est pas comme si j'avais un putain d'ange gardien qui allait tomber du ciel et me dire "Tout va bien j'ai tout arrangé tu peux rentrer chez toi!"...

Haha... Ridicule.

Where Life BeginsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant