𝟏𝟎 - 𝐒𝐚𝐮𝐯𝐞́𝐞 - 𝐨𝐮 𝐩𝐫𝐞𝐬𝐪𝐮𝐞.

8.1K 793 33
                                    

𝐄𝐥𝐥𝐲. 

M-2, Elly, et tu seras libéré du diable au regard saphir.

C'est assez exceptionnel pour être évoqué : j'ai hâte d'être dehors, même fouettée par le vent hivernal new yorkais. Même baignée par l'obscurité de la nuit tombée, puisqu'il est plus de vingt heures quand je glisse, dans une grande pochette molletonnée, le smartphone, la clé USB et tout ce que je devais rendre à M. Darmont. Dans le couloir désert, je dépose le tout dans une boîte aux lettres dédiée à côté de son bureau.

Ce brave DRH ne doit pas pouvoir être sur le front pour les départs successifs des assistantes de M. Walsh. Mon désormais ex-boss, que je n'ai pas revu depuis hier soir, m'a simplement envoyé un texto hier, tard, pour me demander de le représenter à une réunion tôt ce matin. Je n'avais rien de mieux à faire alors je m'y suis volontiers collée. Une tâche en entraînant une autre, j'ai passé ma journée à naviguer entre plusieurs étages et services, profitant d'un calme qui n'existe ici que les week-ends. Me voilà définitivement sur le départ après deux semaines de contrat, mue d'un sentiment étrange que je ne parviens toutefois pas à définir.

— Bonne soirée Clayton.

Je tends mon badge jaune à l'agent de sécurité du Hall 2 ; il le fixe d'abord avec scepticisme. Loin d'être aussi peu sociable qu'une porte de prison – ou qu'un certain PDG que je ne nommerai pas –, l'homme en uniforme sombre a toujours un petit mot sympathique pour chacun. Or, ce soir, il me dévisage l'air passablement surpris.

— Tout va bien ? tenté-je d'investiguer.
— Bien sûr mademoiselle Elly, me rend-il finalement ma politesse. Bonne soirée à vous aussi. Et couvrez-vous bien, la neige n'est pas loin de nous.
— Je n'y manquerai pas ! confirmé-je en enroulant ma grosse écharpe noire autour de mon cou.

Je passe le portique suivant menant au hall 1 et remets mon badge blanc à sa collègue, Rori. J'inspire une ultime fois l'oxygène de la tour KMC, me prépare à affronter cet extérieur plus hospitalier que... vous savez qui.

Rien ne sera plus froid que l'Iceberg qui règne sur cette société.

Comme prévu, les températures négatives cinglent ma peau mais me revigorent aussi. J'emplis mes poumons avant de pénétrer les méandres malodorants du métro, prie pour que Mme Darmont me propose une mission plus près de chez moi dès la semaine prochaine. Et quand on pense à la fée Marraine de mon compte en banque, ma sauveuse, mon téléphone se met à sonner.

— Mademoiselle Johnson ? claironne-t-elle. Comment allez-vous ?
— Fraîchement ! m'esclaffé-je tandis que je sautille sur place pour faire circuler mon sang. J'ai encore une bonne heure de marche et de métro mais je vais survivre. Je peux vous aider ?
— Février est notre mois le plus froid, m'indique-t-elle gentiment, mais vous verrez dans quelques semaines la douceur sera de retour. Bien, je ne vais pas vous faire languir plus longtemps. J'ai une mission pour vous dès lundi matin, si toutefois vous l'acceptez. C'est un contrat de trois semaines, un mois peut-être. Un remplacement de congés maladie. C'est dans Vinegar Hill, vous connaissez ?
— Non, mais envoyez-moi l'adresse et les informations par mail, s'il vous plaît.

Impression de tourner une scène de Mission Impossible ? Totalement. De pouvoir tourner la page diable au regard océan rapidement ? Aussi.

— Je viens de le faire. Vous n'avez toujours pas d'imprimante ?

Il va falloir investir, donc.

— Non, mais je vais me débrouiller, lui assuré-je. Je vous le renvoie demain sans faute. Merci beaucoup, madame Darmont.
— Merci à vous, vous m'enlevez une belle épine du pied. À très bientôt.

Je la salue et raccroche, un sourire aussi large qu'un croissant de lune accroché sur mes lèvres gelées. Mais mon bonheur n'est que de courte durée. Un homme en trottinette, roulant à vive allure, téléphone vissé à l'oreille, manque de me renverser sur le trottoir. Dans un mouvement brusque pour éviter la collision, mon portable m'échappe et se fracasse sur le bitume. Le chauffard m'engueule mais ne s'arrête pas.

Choquée, il me faut plusieurs secondes pour reprendre mes esprits, remettre en ordre les wagons de la situation et m'agenouiller face à la catastrophe. Je vais bien, mais je n'ai plus de téléphone, l'écran s'est totalement fissuré et n'est plus qu'une image noire. Les larmes au coin des yeux, les lèvres tremblantes et l'estomac essoré, je rejoins ma rame de métro, dépitée. Je me console en me disant qu'au moins, Mme Darmont a pu me contacter et qu'elle m'a envoyé les infos par...

Oh non.

Je crois bien que si Elly... se désole ma conscience.

Adossée à un mur carrelé, le regard hagard, je ne retiens plus mes larmes, mes nerfs lâchent. À quoi bon lutter ? Sans mon portable, plus d'accès aux mails. Plus d'internet à l'appartement. Plus de téléphone, c'est aussi plus de textos avec Mélia ni de séries Netflix sur ma tablette.

Pas de GPS pour me rendre à mon nouveau boulot lundi.
Entourée de 8 millions d'habitants, je ne me suis jamais sentie si seule.

◆◆◆

Vous avez aimé ? N'oubliez pas de voter ♥.

Vous avez aimé ? N'oubliez pas de voter ♥

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.
Devious BOSS | En pause jusqu'au 6 octobre 2024Où les histoires vivent. Découvrez maintenant