Devious BOSS | En pause jusqu'au 6 octobre 2024

𝟏𝟒 - 𝐏𝐨𝐢𝐧𝐭

𝐋𝐢𝐚𝐦.

— Je pense qu'il y a un risque à procéder ainsi, tranche finalement mon père, mais il est calculé et vaut la peine d'être pris. C'est du bon travail, les garçons. Qu'en penses-tu, Pharell ?

Il avise mon oncle, dont le regard ambré, identique à celui d'Ethan, passe de lui à moi à plusieurs reprises. Toujours sceptique, il desserre sa cravate, termine cul sec son verre d'eau gazeuse puis s'éclaircit la voix. Je déteste ce suspense qu'il laisse traîner, mais je crois que l'infime rictus qu'il entend contenir est, en soi, une réponse.

— Je suis d'accord avec toi, Sully. Nous avons souvent été réticents à fonctionner ainsi et savons aujourd'hui que parfois, notre jeu n'a pas été suffisamment offensif. Mais il faut vivre avec son temps et se battre avec les armes à disposition. Qu'en penses-tu, ma chérie ?

Il interpelle ma tante Maureen, son épouse et sœur de mon père, qui épluche toujours le dossier, à la recherche de je ne sais quoi. C'est une femme intelligente, et bien qu'ils nous aient cédés la direction il y a cinq ans, ils font toujours partie du conseil d'administration. Nous ne prenons aucune grande décision sans les avoir consultés. Leur avis est précieux, même quand il diffère du nôtre.

— J'aimerais l'avis de notre Directeur Financier Junior, déclare ma tante.

À ma gauche, Neve sort le nez des chiffres, après avoir néanmoins cherché l'accord visuel de son mentor et formateur. Mark Williams ne se languit que d'une chose : que ma cousine ait validé son cursus pour le remplacer. Il attend la retraite et compte les jours. Malheureusement pour lui, Neve a dû interrompre ses études durant une année. Heureusement pour nous, Mark a bien voulu rester – en échange d'un beau chèque le jour de son départ.

— Je suis pour. Cette fusion-acquisition va nous permettre d'étendre notre empreinte sur un marché en pleine expansion.
— Nous avons deux chaînes jeunesse je te rappelle, tempère Ethan.
— Je suis au courant, lui rétorque-t-elle en le fixant, pleine d'aplomb. Mais j'ai toujours soutenu que le format devait être revu, et ajouter Teens Entertained à notre catalogue est le moment idéal pour une refonte.
— Je ne comprends pas, interviens-je à mon tour. Comment veux-tu faire plus ? La chaîne T-E a l'une des plus grosses parts de marché sur le créneau des 11-16 ans, c'est pour cela que j'entends la racheter. Je ne comptais pas changer le format.

Je me lève, relance un diaporama sur l'écran géant de la salle de réunion.

— Quant à nos deux chaînes enfants, les chiffres sont bons, les pointé-je.
— Depuis quand on ne vise que le bon ? marmonne une voix qui n'a pourtant pas l'autorisation de se faire entendre.

Je me tourne prestement vers l'assistante d'Ethan, installée avec Aaron au fond de la salle. Elle ne semble pas avoir remarqué qu'elle vient de parler à voix haute, occupée à taper à toute vitesse sur son PC portable. Ethan me fait signe de la main de la fermer, mais l'occasion est trop belle et il le sait.

Cette fille est inexpérimentée pour assumer un tel poste. Bien qu'il vante sans relâche ses mérites, il a lui-même admis qu'elle n'a pas le profil sur le papier. Ses connaissances sont limitées dans quasiment tous les domaines que nous exploitons chez KMC.Corp. Cela ne me gênait guère lorsqu'il changeait chaque semaine d'assistante, mais cette fille est là depuis près de deux mois maintenant. Une assistante digne de ce nom se doit d'être autonome sans avoir besoin de cours de soutien sur le vocabulaire et les fonctionnements d'une société telle que la nôtre.

Et au-delà de ça, elle n'est pas dans le moule.
Elle soutient mon regard aussi souvent qu'elle le peut, use d'insolence, ne comprend pas où est sa place ; loin d'ici.

Si seulement.

Bon, je suis hypocrite et je me dois d'être honnête au moins envers moi-même : je lui reconnais sa persévérance et son opiniâtreté malgré tout ce que je lui balance et ce que ses collègues disent d'elle. Elle a au moins ces deux qualités. Mais je préférerais qu'elle en eût été dépourvue, car elles nourrissent la voix de son impertinence.