Toujours ce foutu son strident. A chaque fois, elle se dit qu'elle le changera. A chaque fois, elle se dit qu'il est impossible de commencer une bonne journée avec un bruit pareil. A chaque fois, elle se promet à elle-même d'acheter un radio réveil ou bien un de ces simulateurs d'aube à la mode. À chaque fois elle oublie. Anna fait glisser son doigt sur l'écran pour éteindre cette horrible alarme, elle fait ensuite en sorte de regarder ses notifications, un œil fermé et l'autre à moitié ouvert. Elle va se lever pourtant, elle déteste commencer sa journée tard même lorsqu'elle n'est pas obligée de se réveiller tôt. C'est comme ça, c'est Anna. Elle prend quelques secondes pour émerger avant de se lever, la tête déjà préoccupée. Elle a pu dormir au moins cette fois et même sans trop de problème. Elle a décidé de mener l'enquête de son côté, au moins quelques temps histoire de voir où tout ça la mène et d'en tirer ses propres conclusions. Alors elle s'habille et prends ses clés de voiture direction la maison de famille de Laura. Elle n'a aucun droit de faire ça. Absolument aucun. Ce n'est pas dans ses habitudes d'enfreindre les règles comme ça mais elle s'est inconsciemment beaucoup investie dans le début de cette enquête et elle aurait aimé pouvoir continuer à l'élucider. Sur le chemin, un coup de fil de sa sœur. Anna laisse sonner mais elle rappelle, elle finit par décrocher en soupirant et se gare au bord de la route.
- Bonjour Myriam, je sais que j'ai pas rappelé mais j'ai eu du boulot, alors...
- Ferme-là.
Ah, pas de doute. Il s'agit bien de sa sœur et de son tact légendaire. Les doigts d'Anna tapotent le volant, elle se décide à chercher une station radio convenable en attendant que l'orage passe.
- C'est toujours pareil. T'as du boulot, t'as une amie qui ne va pas bien, tu dois aider un collègue pour un déménagement, ton chat a crevé, tu t'es fait renverser par un camion, toutes les excuses sont bonnes pour m'éviter. Qu'est-ce que je t'ai fait au juste ?
Pour sa défense, les premières excuses étaient vraies.
- Rien. Rien du tout Myriam mais la vérité, c'est que je suis vraiment occupée. D'ailleurs j'ai du boulot, alors...
- T'as du boulot. Bien sûr. C'est exactement ce que je te disais. Tu sais que mes gamins te connaissent presque pas ? Ils commencent presque à se dire que t'existes pas. Tu te rends compte ?
Mais Anna n'est pas tout à fait connue pour sa patience légendaire et à vrai dire, elle n'est pas d'humeur pour tout ça.
- Très bien, eh bien c'est parfait comme ça. Dis leur que je n'existe pas et qu'en fait, je suis ton amie imaginaire. Ça te va ?
Un long silence au bout du fil alors que les stations de radio défilent sans qu'elle ne les regarde vraiment, sans qu'elle ne prenne la peine de les lire.
- Mais qu'est-ce qu'on t'as fait, Anna ?
Et là encore, un long silence. Il n'y a que ça dans sa famille, des silences, des non-dits. Elle a envie de lui crier :
- C'est à cause de papa. Tout est à cause de papa.
Mais au lieu de ça elle se tait. Elle mord sa langue très fort, jusqu'à sentir le gout du sang contre ses dents.
- A plus tard, Myriam. Faut vraiment que j'y aille là.
Et elle raccroche avant de se remettre en route. Elle sait qu'elle devrait lui parler mais quand elle essaie, les mots n'arrivent pas à sortir. C'est comme si elle avait une boule qui pesait au fond de sa gorge, qui écrase ses cordes vocales et tous les mots qu'elle pourrait prononcer. Alors elle se tait, même si elle sait que ça lui fait du mal. Que ça leur fait du mal. Anna se gare devant la vieille maison bardée de protection. Après la perquisition qu'ils ont fait la veille, Anna est presque sûre qu'elle ne risque rien en revenant jeter un coup d'œil sans le reste de l'équipe. Elle est persuadée qu'ils ont manqué des choses et égoïstement, elle trouve ça très bien comme ça. La blonde fait le tour de la maison et retrouve sans mal la fenêtre qu'elle avait laissée ouverte pour l'occasion. Elle manque de s'ouvrir la boîte crânienne en entrant mais réussit à s'engouffrer par l'ouverture sans trop de mal après ça. Ses pas sonnent différemment sur le carrelage de la maison maintenant qu'elle est entièrement vide, il y a quelque chose de sinistre ici. Elle ressemble à une sorte de musée d'antiquités complètement abandonné, une vieille relique du passé qu'aucun collectionneur ne se bat pour obtenir désormais. Cet endroit, c'est surtout un lieu de vie qui a été déserté et Anna aimerait beaucoup découvrir pourquoi. Elle dépasse la pièce à vivre et se retrouve nez à nez avec les escaliers, ceux qui mènent à l'étage.
Hier, l'équipe scientifique a investi la salle de bains et par extension la chambre des propriétaires de la maison. Cette partie de la demeure lui reste donc presque étrangère, elle n'a pu en observer que les contours sans parvenir à déterminer son contenu. Les marches grincent beaucoup lorsqu'elle pose le pied dessus et il lui semble presque que la maison répond à l'unisson. Elle sent une vibration, quelque chose qui ne lui dit rien de bon et qui lui rappelle sa dernière conversation avec Odile. Foutue journaliste. Elle se décide finalement à monter les marches en ignorant son instinct qui lui dit que quelque chose cloche et atteint l'étage supérieur et le papier peint fleuri. Bon sang, pourquoi toutes les maisons de vieux doivent se ressembler à ce point. Tout est ordonné, elle y distingue sans mal les habitudes de ses occupants. Des lunettes posées sur la table de chevet, un peu inclinées. Un bouquin bien entamée posé à l'extrémité, un marque-page planté à l'intérieur. Un tapi au pied du lit, sûrement pour éviter d'avoir froid en sortant de la salle de bains, pour meubler un peu. Anna respecte l'intégrité du lieu et ne touche à rien jusqu'à parvenir au bureau. Il y règne une lumière incroyablement grise qui entre par une petite fenêtre inclinée car installée dans les charpentes de la maison. Anna en regarde les murs, la décoration, tous ces papiers entassés et remués de partout par les flics qui sont passés avant elle. Son regard est néanmoins attiré sur une chose. Un cadre, entourant une gravure. Une vieille gravure. Elle date de 1983. En plissant les yeux, elle parvient à lire le lieu qu'elle représente. En fouillant un peu dans le meuble qui se trouve en dessous, elle découvre une carte postale pour chaque année depuis 1978. L'année 2020 manque cependant. Celle de 2021 aussi. A nouveau, le même lieu.
- Saint-Gervais-les-Bains.
Et c'est à cet instant précis qu'elle entend quelque chose dans la chambre, ou peut-être dans la salle de bains. Anna se redresse d'un coup, tous ses muscles tendus et prêts à agir. Sa main veut trouver son arme de service mais elle ne l'a pas sur elle, elle jure. Et puis le bruit s'accélère, merde, ce sont des pas. Anna sort de la chambre sans hésiter une seconde de plus et se précipite en bas, mais la porte claque, c'est terminé. Son pouls bat si fort dans ses tempes que sa vision s'obscurcit un instant, elle relâche finalement le souffle qu'elle retenait. Bon sang, c'était quoi ça ?
- Saint-Gervais-les-Bains. D'accord, très bien.
Alors c'est là qu'elle ira.
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Memoriae
Mystery / ThrillerGare de Genève, 8 août. La chaleur est insupportable. Onze sexagénaires disparaissent sans laisser de trace. Le seul témoin présent ne se souvient de rien. Absolument de rien. Et puis il y a ces deux-là, celles qui n'ont jamais vraiment su commen...